Gantry 5

 

Le plan de partage de la Palestine par l’ONU et la guerre de 1948-1949
Les forces en présence et les contradictions de la situation
La position de l’URSS à l’ONU, durant la guerre de 1948-1949 et après
La situation du peuple palestinien et des pays arabes de la région
Dans cette seconde partie, nous abordons le plan de partage de la Palestine voté par l’ONU, la guerre de 1948-1949 et ses conséquences pour la Palestine.
Mais pour discuter ces questions, il est nécessaire de les replacer dans leur contexte historique, et donc  d’essayer de caractériser de la façon la plus succincte possible la situation internationale durant et à la fin de la seconde guerre mondiale afin de préciser le cadre dans lequel se développent les luttes des peuples de la région et de la Palestine.
La seconde guerre mondiale se termine par la victoire du camp « allié » sur l’Allemagne hitlérienne, sur les pouvoirs réactionnaires d’Europe Centrale et sur le Japon ; cette victoire est surtout celle de l’Union soviétique qui a fourni l’effort le plus important pour la victoire militaire, mais qui a aussi subi des pertes en hommes et des destructions économiques très importantes. Le prestige de l’Union soviétique et du socialisme est à son apogée. Cette situation internationale, par la défaite des pouvoirs dictatoriaux, mais aussi par les guerres entre pays capitalistes, les luttes populaires pour l'indépendance dans les pays coloniaux aussi, crée les meilleures conditions pour un essor des mouvements de libération nationale dans les pays colonisés et dominés.
Face à cette situation, les pays capitalistes avec les USA comme puissance dominante vont chercher à limiter, voir contraindre l’influence de l’Union soviétique, et à accompagner, à contrôler les mouvements de libération nationale pour en limiter le contenu anti impérialiste. Tous les éléments pour que le camp impérialiste déclenche officiellement dès 1947 la « guerre froide », guerre idéologique, politique et économique contre l'URSS sont rassemblés. Dans les faits, cet affrontement démarre dès la fin de la guerre. Churchill dans son discours de mars 1946 à Fulton dresse un tableau critique de la situation internationale, du danger que représente, selon lui, l’URSS, et avance la notion de rideau de fer divisant en deux l’Europe et appelle à la formation d’une union des nations de langue anglaise appelées à diriger les destinées du monde entier[1]. L’analyse qu’en fait Staline est claire, précise et indique que l’URSS sait à quoi s’en tenir[2].
Caractérisons brièvement cette situation internationale à la fin de la seconde guerre mondiale. Quelles sont les contradictions fondamentales du monde ?
  • Contradiction entre le camp socialiste (en considérant que les pays d’Europe centrale libérés par l’Armée rouge et devenant des Républiques Populaires vont rejoindre l’URSS) et le camp capitaliste ;
  • Contradiction entre le prolétariat et la bourgeoisie au sein des pays capitalistes ;
  • Contradiction entre les nations opprimées et l’impérialisme ;
  • Contradiction entre pays impérialistes, entre groupes monopolistes.
Voyons à présent la situation en Palestine, resituée dans cette situation mondiale.
Nous avons déjà vu, dans la première partie, les comportements respectifs des dirigeants palestiniens et de l’Organisation sioniste durant la seconde guerre mondiale. Le grand Mufti de Jérusalem s’est rapproché de l’Allemagne hitlérienne, le déconsidérant pour le futur, bien que la France et la Grande-Bretagne l’aient remis en selle après 1945. L’Organisation sioniste, par contre, a fait valoir à la Grande-Bretagne l’importance du soutien des milices armées juives de Palestine contre  les armées allemandes. Ces milices armées se sont donc développées et elles sont expérimentées. Durant cette guerre, aussi, la Légion Arabe, la force armée de la Transjordanie, avec commandant, Glubb Pacha (de son vrai nom John Bagot) et officiers britanniques, a lutté aux côtés des forces britanniques en Irak et en Syrie[3].
Dans le cadre des « grandes manœuvres » qui se préparent dans la région, en remerciements de l’assistance apportée à la Grande-Bretagne lors de la seconde guerre mondiale, l’émirat obtient de ce pays une « émancipation » et le secrétaire des Affaires étrangères britanniques, Ernest Bevin, annonce devant l’Assemblée générale des nations Unies, le 17 janvier 1946, que son pays accordera l’indépendance de la Transjordanie, le mandat prenant fin le 22 mars 1946. Ce mandat est remplacé par un traité d’alliance qui prévoit que des troupes britanniques demeureront dans le pays après l’indépendance, relativisant ainsi l’indépendance du pays. Pour que les formes soient respectées, le 25 mai 1946, l’indépendance du pays est proclamée, prenant le nom de royaume hachémite de Transjordanie, avec une population de 400.000 habitants. L’URSS mettra son veto à l’admission de cet État  à l’ONU, admission n’étant acceptée qu’en 1955.
La Grande-Bretagne, qui avait avancé l’idée d’un État unique arabe au Moyen-Orient lors du dépeçage de l’Empire ottoman en 1920, chose qui n’est plus possible en 1945, décide de mettre en place la Ligue Arabe au Caire le 22 mars 1945, regroupant sept pays, Égypte, Irak, Arabie saoudite, Syrie, Liban, Transjordanie, Yémen (en mai 1945), afin de préserver ses intérêts dans la région ; cette organisation, tout en consolidant les pouvoirs en place, visait aussi à calmer les peuples arabes de la région qui aspiraient à l’indépendance et à l’unité contre les pays occidentaux coloniaux. L’idée de la « nation » arabe est très populaire à cette époque. Une idée de création d’une fédération arabe comprenant l’Irak, la Syrie, le Liban et la Transjordanie est aussi avancée, mais rejetée par l’Égypte et l’Arabie saoudite. Il faut noter que dans cette création de la Ligue Arabe, avec la Grande-Bretagne dans les coulisses,  la Palestine est absente, officiellement car encore sous mandat britannique et non indépendante, alors que la Syrie, formellement est encore jusqu’à 1946 sous mandat français.
Déjà avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale, la Grande-Bretagne, mandataire de la Palestine, cherchait à préserver ses rapports à la fois avec l’Organisation sioniste et avec les pays arabes de la région. Ainsi, des plans de partages créant deux entités furent échafaudés : en 1937, une première proposition de partition, le plan Peel, attribuant un tiers de la Palestine à l’État juif qui, depuis la Galilée, longerait la côte méditerranéenne jusqu’à Jaffa et Tel-Aviv ; le reste, soit les deux tiers de la superficie comprenant la Judée et la Samarie (Cisjordanie), la région du Néguev et Gaza serait un État arabe lié au royaume hachémite de Transjordanie. L’immigration juive d’Europe centrale s’intensifiant, provoquant la révolte du peuple palestinien en 1936-1939, la Grande-Bretagne remet ses plans dans le tiroir.
Certains sionistes étaient contre ce projet de partition de la Palestine, revendiquant toute la Palestine immédiatement. Ben Gourion répond dès 1937 : « après la formation d’une armée importante dans le cadre de l’établissement de l’État, nous abolirons la partition et nous nous étendrons à l’ensemble de la Palestine ».
La Grande-Bretagne, qui avait facilité l’immigration en Palestine des juifs d’Europe dans les années 1920 à 1939, s’oppose à cette immigration à partir de 1945 afin de préserver ses intérêts avec les chefs des pays arabes de la région.  Dès la fin de la guerre, les grandes manœuvres concernant la Palestine sont relancées autour de la question : un seul État ou deux États ?
Une commission Grande-Bretagne – USA propose l’immigration de 100.000 juifs en Palestine dans le cadre d’une Palestine sans partage en deux États. Les pays arabes, comme l’Agence juive représentant les juifs de Palestine s’opposent à ce projet.  Face à ce blocage et aux affrontements armés opposant juifs et palestiniens en Palestine, la Grande-Bretagne décide d’abandonner le mandat sur la Palestine le 15 mai 1948, remettant ce mandat à l’ONU.
Mais à la fin de la guerre, la situation crée par l’extermination nazie des juifs en Europe et la pression pour trouver « un point de chute » pour les juifs rescapés des camps de la mort et de l’extermination - dans la mesure où les pays occidentaux ne veulent pas accueillir des centaines de milliers d’immigrants juifs d’Europe -  font que ces pays penchent pour la solution à deux États.
Gilbert Meynier a bien caractérisé la situation[4] : « le génocide nazi installe en profondeur le traumatisme fondateur qui était destiné à légitimer sans discussion aux yeux du monde le projet sioniste, d’autant plus que les Juifs d’Europe ne purent compter sur une solidarité agissante de personne, ni de l’Église catholique, ni des États occidentaux… Finalement, la légitimation de l’État d’Israël releva d’un processus de projection de leur sentiment de culpabilité sur des Palestiniens absolument innocents des crimes nazis ».
Le plan de partage de la Palestine par l’ONU et la guerre de 1948-1949
Cette échéance relance les affrontements armés en Palestine. Une lutte armée de groupes juifs contre la Grande-Bretagne s’engage aussi du fait de l’opposition de la Grande-Bretagne à l’immigration de juifs d’Europe en Palestine. La Grande-Bretagne enferme dans des camps à Chypre les juifs d’Europe voulant immigrer en Palestine, immigration clandestine organisée par l’Organisation sioniste qui travaille de façon très intense en direction de ces rescapés. Ainsi, cette lutte est présentée, et prend la forme d’une lutte armée anticoloniale des juifs de Palestine contre la Grande-Bretagne coloniale.
Une commission de l’ONU se saisit de cette question en août 1947. Deux positions s’affrontent, présentées par le Président de l’Assemblée générale de l’ONU le 29 novembre 1947[5].
 « Malheureusement, le fossé entre les deux parties était trop grand pour qu'on pût le franchir par voie de conciliation. Les Arabes ne semblaient disposés ni à permettre une immigration juive importante, ni à accorder l'indépendance à un État juif en Palestine. De leur côté, les Juifs ne voulaient pas accepter moins qu'une immigration raisonnable et libre, et il leur fallait pouvoir compter sur l'indépendance. Entre ces deux positions bien définies, on n'a pu trouver de compromis durant l'examen de la question par les Nations Unies ».
Plusieurs plans de partition ont été examinés par l’ONU, mais un seul projet est soumis au vote le 29 novembre 1947. C’est la résolution 181[6] qui prévoit :
  • un État juif couvrant la plaine côtière dont les villes de Haïfa et Tel-Aviv, l’est de la Galilée et le lac de Tibériade, et au sud une grande partie de la région du Néguev. Il représente environ 55 % du territoire de la Palestine mandataire (plus de 50% de ce que prévoyait le plan Peel de 1937) alors qu’à ce moment les juifs représentent 33% d’habitants de la Palestine.
  • un État arabe comprenant une bande de Gaza plus large et plus étendue que l’actuelle, et une zone plus étendue que l’actuelle Cisjordanie comprenant les montagnes de Judée et de Samarie, la majeure partie de la Galilée au Nord, ainsi que la ville de Jaffa. Il représente environ 45 % du territoire de la Palestine, avec 804.000 Arabes et 10.000 Juifs,
  • La ville « sainte » de Jérusalem – ainsi que Bethléem – est placée sous contrôle international. avec 106.000 Arabes et 100.000 Juifs.
Cette résolution précisant le plan de partage est adoptée par 33 voix pour, 13 contre, 10 abstentions. La Grande-Bretagne s’abstient. Si le bloc de cinq voix constitué par celles de l’URSS, la Biélorussie, l’Ukraine, la Pologne et la Tchécoslovaquie s’était porté sur un vote négatif au lieu de positif, cela aurait entraîné un rejet de la résolution car n’ayant pas obtenu les deux–tiers de votes favorables. Cette question très importante et de fait décisive de la position de l’URSS sera discutée un peu plus loin, ainsi que ses conséquences pour les partis communistes palestinien et arabes.
Les pays arabes regroupés dans la Ligue Arabe, ainsi qu’un Haut Comité Arabe palestinien avec à sa tête le Mufti de Jérusalem déclarent ne pas reconnaître cette résolution. Selon l'historien Gilbert Meynier[7] : « Ce faisant, ils épousaient le sentiment des Palestiniens arabes qui refusaient le démembrement d’une Palestine unie au profit des occupants coloniaux. Les Palestiniens étaient encouragés par la solidarité verbale des Arabes pour lesquels Israël était un avatar de l’impérialisme colonial européen ».
Mais l’ONU n’a aucun pouvoir pour appliquer cette résolution et les pays membres de l’ONU ne donnent aucun moyen à l’ONU pour faire appliquer cette résolution, pour l’imposer. Inconséquence ou duplicité ? En 1948, les Juifs ont déjà avec l’Agence juive l’embryon d’un État, une armée, une police issue de la police palestinienne. Par contre, les Arabes de Palestine ne sont en rien préparés ; ils n’ont que le Mufti de Jérusalem comme chef religieux et politique. Le parcours politique de ce « dirigeant »[8] est édifiant !
Dès avril 1948, donc avant la date d’application de cette résolution, les juifs entament les hostilités et occupent des quartiers de Jérusalem-ouest, remettant en cause le contrôle international de Jérusalem prévu par le plan de partage. Cette avancée sur Jérusalem a été précédée, le 9 avril 1948, par le massacre de Deir Yassine, un nettoyage à la mitraillette, à la grenade et au couteau, de 120 civils désarmés, femmes, enfants, bébés. Cette campagne d’extermination, d’évacuation, de refoulement systématique s’est déroulée et systématisée pendant une année, jusqu’à la signature des armistices. C’est la grande tragédie du peuple palestinien, la Nakba, tragédie bien documentée par Ilan Pappé[9] et qui fut à l’époque pour l’essentiel passée sous silence en Europe et aux USA.
Avec la fin du mandat britannique, immédiatement, l’Agence juive proclame la création de l’État d’Israël le 14 mai 1948. Formellement, l’Agence juive accepte le plan de l’ONU puisque le projet sioniste voit un début d’application par la création d’un État juif en Palestine, même si pour le moment cet État n’englobe pas toute la Palestine.
Les armées des pays arabes qui sont peu aguerries entrent en Palestine et occupent la partie de la Palestine prévue pour l’État palestinien selon le plan de partage, l’Égypte par le Sud, la Transjordanie par l’Est, Liban, Syrie et Irak par le Nord. La participation des palestiniens avec le grand Mufti de Jérusalem comme dirigeant fut limitée, contrôlée par les dirigeants arabes, voir même combattue par la Transjordanie qui luttait pour ses propres objectifs. Rappelons qu’un accord secret Transjordanie- Grande-Bretagne prévoit que la Légion Arabe occupe la partie de la Palestine attribuée aux Arabes, sauf Gaza et Haute-Galilée par manque de forces, accord qui sera présenté comme « en réponse aux appels des notables arabes de Palestine ». Cet accord est complété par un accord secret entre la Transjordanie et l’Agence sioniste et Golda Meir : la Transjordanie occupera  la Cisjordanie, mais n’attaquera pas la partie du territoire de la Palestine attribuée à Israël.
Ainsi cette guerre de 1948 qui concernait l’avenir du peuple palestinien est transformée en guerre Israélo-arabe, en conflit judéo-arabe, le peuple palestinien disparaissant.
Le déroulement de cette guerre a été décrit dans plusieurs ouvrages. Nous renvoyons à la somme de Henry Laurens[10] ainsi qu’aux travaux de Gilbert Meynier.
Chaque pays arabe luttant pour ses propres objectifs, sans plan d’ensemble, l’État d’Israël, recevant des aides en armements de différentes sources, réussit à imposer des accords d’armistice bilatéraux avec ses pays voisins, - Égypte, Liban, Transjordanie et Syrie - entre le 24 février 1949 et le 20 juillet 1949. Ces accords mettent un terme à la guerre israélo-arabe de 1948-1949 et établissent des lignes d'armistice provisoires.
Alors que la superficie attribuée à l’État d’Israël par le plan de partage était de 14.000 km2, à l’issue de la guerre et des accords d’armistice, la surface gagnée par la guerre est de  6.000 km2, et la superficie de cet État représente 78% de la superficie de la Palestine[11].
Face à cette question des palestiniens réfugiés, déplacés, l’ONU, lors de l’Assemblée Générale du 11 décembre 1948 a adopté la résolution N° 194[12], qui elle aussi, ne sera jamais appliquée. Cette résolution stipulait : « il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que les indemnités doivent être payées pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en principe du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les gouvernements ou autorités responsables ».
Parallèlement, une commission de l’ONU est chargée de faciliter l’installation et le développement économique des réfugiés palestiniens dans les pays de la région ; ce qui revient dans les faits à chercher à diluer et faire disparaître le peuple palestinien par une intégration, une assimilation dans les pays arabes. Mais ces intentions ne furent jamais appliquées, en partie car les palestiniens voulaient retourner chez eux, ayant symboliquement gardé la clef de leur maison. Et les réfugiés sont toujours parqués dans des camps, misère extrême ; l’ONU décide le 8 décembre 1949 la mise en place de l’UNRWA : Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche Orient. Organisme toujours en place en 2023 et dont le financement dépend du bon vouloir des différents pays…
Revenons sur la Nakba, tragédie du peuple palestinien sur laquelle, dans les faits, les pays ont fermé les yeux. Malgré les points de vue d’historiens cherchant à minimiser les responsabilités de l’armée israélienne[13],  les résultats sont probants : entre 700.000 et 800.000 palestiniens arabes qui vivaient dans les territoires qui seront sous contrôle israélien à l’issue de la guerre, ont été obligés de fuir, chassés de leurs terres, s’ils ne sont pas morts dans cette opération de nettoyage ethnique[14]. Pour réaliser l’importance de la Nakba et de ses conséquences, du nettoyage de la population palestinienne réalisée par les sionistes afin d’assurer la domination numérique en juifs de l’État, il suffit de se reporter aux données concernant la population dans le cadre des « nouvelles frontières » de l‘État d’Israël, en 1949 : la population totale est de 1.178.871 habitants, dont 1.013.871 juifs (dont 340.000 immigrants dans les années 1948 et 1949), 111.500 arabes musulmans, 34.000 chrétiens)[15]. Nous avons vu, un peu plus haut, que selon le plan de partage de l’ONU l’État juif devait comporter 558.000 Juifs et 405.000 Arabes ; de plus cet état a englobé une superficie supplémentaire importante ne comportant précédemment que des arabes… Remarquons que, à cette date et après la création de l’État d’Israël, l’immigration juive est toujours presque exclusivement européenne, les juifs vivant dans les pays arabes continuant à vivre dans leurs pays historiques.
Finalement, le plan de partage décidé par l’ONU, plan qui ne fut jamais appliqué,  et la guerre de 1948-49 a permis de réaliser un grand pas en avant du projet sioniste, dont l’essence est un colonialisme de remplacement, d’expulsion des populations palestiniennes présentes afin de réaliser une unité de peuplement par des juifs, et finalement, avancer dans la réalisation intégrale du projet sioniste : un État juif sur toute la Palestine avec une unité de peuplement par des juifs[16]. Nous sommes en 1949, et cette marche n’est pas terminée… Pour certains sionistes les frontières de cet État doivent correspondre aux frontières du royaume de Salomon (970 à 931 av. J.-C) et donc inclure une large partie à l’Est du Jourdain…
Voilà comment les pays européens, tous responsables à des degrés divers de la situation imposée au peuple palestinien, se sont défaussés sur la Palestine pour implanter les juifs survivants de l’extermination et des mesures d’oppression aux dépens du peuple palestinien. 
Les conséquences pour les pays arabes de la région furent aussi importants, les peuples de ces pays vivant très mal l’épreuve infligée au peuple palestinien et rendant responsables de cette défaite les pays occidentaux, en premier lieu la Grande-Bretagne, mais aussi les dirigeants de leur propre pays.
La Transjordanie, appliquant le plan échafaudé avec la Grande-Bretagne, annexe le 24 avril 1950 Jérusalem-Est, la Samarie et la Judée, régions baptisées Cisjordanie, et prend le nom de Royaume Hachémite de Jordanie ayant à sa tête le roi Abdallah 1er. Cela ne lui portera pas bonheur car il est assassiné en juillet 1951 dans la mosquée de Jérusalem par un palestinien.
L’Égypte occupe Gaza. Et le roi Farouk est renversé le 20 juillet 1952 par les Officiers Libres.
La Syrie est secouée par des coups d’État dès 1949 et le Liban rencontre de grandes difficultés avec l’accueil de plus de 100.000 réfugiés palestiniens.
Le peuple palestinien, quant à lui, se retrouve sans État, écartelé en plusieurs entités en Jordanie, Égypte et les camps de réfugiés en Syrie et au Liban, et surtout nié en tant que peuple par les pays arabes comme par les autres pays. De plus formellement, le Mufti de Jérusalem est encore le dirigeant du peuple palestinien. Le processus qui débouchera sur l’autonomie du peuple palestinien avec à sa tête une organisation et une direction qu’il se sera donné sera encore long !
Le vote de l’URSS à l’ONU et ses conséquences
Nous avons déjà dit que le vote de l’URSS à l’ONU en faveur de la création de deux États avait eu une importance décisive.
Il s’agit ici de discuter cette position, d’essayer de comprendre les raisons d’une telle décision, pour enfin exprimer un point de vue sur cette décision.
Il nous faut rappeler la situation de l’URSS à la fin de la seconde guerre mondiale. L’URSS a vaincu l’Allemagne hitlérienne, a sauvé ainsi l’existence du premier pays socialiste, base d’un possible appui pour les mouvements révolutionnaires dans le monde et les mouvements de libération nationale dans les pays colonisés et dominés. Mais aussi, l’URSS a payé un très lourd tribut pour cette victoire, pertes énormes en hommes et en infrastructures. Il s’agit en premier lieu de reconstruire le pays car le camp impérialiste avec à sa tête les USA cherche par tous les moyens à abattre le pays y compris militairement car les USA sont, à ce moment-là, le seul pays possédant la bombe nucléaire.
A la fin de la guerre, tous les efforts en URSS sont concentrés sur la reconstruction du pays, sur la défense face aux tentatives des milieux réactionnaires  dirigés par l’impérialisme US d’affaiblir et d’isoler l’URSS, et aussi à l’intérieur sur le renforcement de l’éducation idéologique du peuple en faveur du socialisme. Deux ans plus tard, en septembre 1947, une conférence d’information des représentants de quelques partis communistes (Bulgarie, France, Hongrie, Italie, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, URSS, Yougoslavie) se tient à Szklarska Poreba en Pologne. Lors de cette rencontre, il est procédé à une analyse de la situation internationale, au rejet de la doctrine Truman (présentée le 12 mars 1947 et instaurant la politique interventionniste US à l’échelle mondiale contre les mouvements d’émancipation) et de son pendant économique le plan Marshall pour l’Europe, et il est décidé de mettre en place un bureau de coordination de ces partis européens (Kominform)[17]. Cette analyse est confortée par l’exclusion des ministres communistes des gouvernements en Italie et en France en mai 1947, exclusions exigées par les USA.
 Ainsi, les forces sont organisées et il est clair que le Parti Communiste de l’URSS, comme les autres partis communistes ne se font aucune illusion sur l’antagonisme irréductible des deux systèmes, le système impérialiste ayant à sa tête les USA, et le camp socialiste.
C’est en considérant cette analyse qu’il faut discuter le discours de Andrei Gromyko[18], ministre des Affaires Étrangères de l’URSS présentant la position de l’URSS devant le Conseil spécial de l’ONU sur la Palestine le 14 mai 1947.
Gromyko commence par présenter une critique radicale de la Grande-Bretagne pour son exécution du mandat de protectorat de la Palestine. « …Nous ne pouvons manquer de noter, tout d’abord, le fait important  que le système mandataire d’administration de la Palestine, établi en 1922, ne s’est pas justifié. Il n’a pas réussi le test… De nombreux autres faits relatifs à l’histoire de l’administration mandataire de la Palestine pourraient être invoqués pour confirmer la faillite de ce système d’administration ».
Gromyko poursuit : « Pendant la dernière guerre, le peuple juif a connu des souffrances et des chagrins exceptionnels… Les Juifs dans les territoires où les Hitlériens dominaient furent soumis à une destruction physique presque complète. Le nombre total de membres de la population juive qui ont péri aux mains des bourreaux nazis est estimé à environ six millions. Seuls un million et demi de Juifs d’Europe occidentale ont survécu à la guerre… Un grand nombre de Juifs d’Europe qui ont survécus ont été privés de leur pays, de leur foyer et de leurs moyens d’existence. Des centaines de milliers de Juifs errent dans divers pays d’Europe à la recherche de moyens d’existence et d’un abri. Un grand nombre d’entre eux se trouvent dans des camps de personnes déplacées et continuent de subir de grandes privations».
Gromyko fait ici référence à une question que  les médias occidentaux comme sionistes  cachent aujourd’hui et ainsi cette question d’histoire est oubliée… En 1948, trois ans après la fin de la guerre, 250.000 juifs vivent encore dans des camps en Allemagne, en Autriche, en Italie, camps ouverts en 1945 et qui ne fermeront qu’en 1952 ! Ces rescapés des camps de la mort ou sortant de la clandestinité sont rejetés de leur pays d’origine et d’une partie de la population de ces pays (des cas sont rapportés de juifs rescapés retournant vers leur maison occupée en Pologne; les occupants les menaçant de finir le travail d’Hitler s’ils cherchaient à vouloir récupérer un bien familial !), quand des pogroms ne finissent de les tuer. Les pays occidentaux refusant d’accueillir ces juifs, appelés les « DP », les USA refusant de les accueillir jusqu’en 1950, la seule solution restante était d’émigrer en Palestine, ce que la Grande-Bretagne empêchait. Restait l’immigration clandestine organisée par l’Agence juive, immigration qui sera organisée en masse après la création d’Israël en mai 1948. Dès 1945, l’Agence juive a travaillé dans ces camps, avec le soutien des pays occidentaux et de l’ONU faisant tout pour convaincre ces rescapés que la seule solution était l’immigration en Palestine, puis en Israël. L’Agence juive a aussi développé un travail intense pour l’enrôlement des rescapés hommes dans les forces armées juives en Palestine puis en Israël, enrôlement forcé et dénoncé par le Bund[19], Fédération juive du Travail dont il a été question dans la première partie : « Nous avons reçu des rapports authentiques des DP juifs dans les camps de Varion en Allemagne, en Autriche, et en Italie, selon lesquels les agents sionistes de l’État juif en Palestine, soutenus par des organisations de secours juives bien connues opérant dans les camps de DP, font tout leur possible pour enrôler les DP juifs dans la guerre de Palestine… Ce qui est insupportable et incroyable, c’est la cruauté, la coercition et la terreur employées pour forcer les DP juifs à s’enrôler. Chacun de ces malheureux vétérans de la bestialité nazie qui ose refuser l’appel aux armes de l’État juif  se voit refuser sa maigre ration de nourriture et est donc exposé à la famine…». Le Bund a reconstitué son organisation à la fin de la guerre et publié un bulletin de liaison international de 1947 à 1953. Dans le Bulletin n°8-9 d’août-septembre 1948, le Bund réaffirme ses divergences historiques avec le sionisme, tout en critiquant l’Union soviétique et le communisme, et dénonce la création d’un État juif. La déclaration du Bund poursuit : « La création même de l’État d’Israël a marqué le début d’une guerre sanglante en Palestine… Une entente librement consentie entre les deux nations est une condition nécessaire à une solution véritable, stable et durable de l’actuel et tragique problème palestinien… ». Mais il faut relever que le Bund est d’accord pour une immigration libre et non limitée de juifs en Palestine.
Pour plus d’informations sur ces camps de rescapés juifs en Europe (DP), il est possible de consulter le site en référence[20].
Revenons au discours de Gromyko qui poursuit :
« Compte-tenu de la nécessité de se préoccuper des besoins du peuple juif qui se trouve sans foyer et sans moyen d’existence, la délégation de l’URSS juge essentiel, à cet égard, d’appeler l’attention de l’Assemblée générale sur l’importante situation suivante. L’expérience passée, en particulier au cours de la Seconde Guerre mondiale, montre qu’aucun État d’Europe occidentale n’a été en mesure de fournir une aide suffisante à l’assistance au peuple juif dans la défense de ses droits et de son existence même contre la violence des Hitlériens et de leurs alliés. C’est un fait désagréable, mais malheureusement, comme tous les autres faits, il faut l’admettre. Le fait qu’aucun État d’Europe occidentale n’ait été en mesure d’assurer la défense des droits élémentaires du peuple juif et de le protéger contre la violence des bourreaux fascistes explique les aspirations des juifs à établir leur propre État. Il serait injuste de ne pas en tenir compte et de nier le droit du peuple juif de réaliser cette aspiration. Il serait injustifiable de refuser ce droit au peuple juif, surtout au vu de tout ce qu’il a subi pendant la seconde guerre mondiale ».
Et il poursuit :
« Il est essentiel de garder à l’esprit le fait indiscutable que la population palestinienne est composée de deux peuples, les Arabes et les Juifs. Tous deux ont des racines historiques en Palestine. La Palestine est devenue la patrie de ces deux peuples dont chacun joue un rôle important dans l’économie et la vie culturelle du pays… Une solution équitable ne peut être trouvée que si l’on tient suffisamment compte des intérêts légitimes de ces deux peuples. Tout cela conduit la délégation soviétique à la conclusion que les intérêts légitimes des population juive et arabe de Palestine ne peuvent être dûment sauvegardés que par la création d’un État arabo-juif indépendant, double, démocratique et homogène. Un tel État doit être fondé sur l’égalité des droits des populations juive et arabe, ce qui pourrait jeter les bases d’une coopération entre ces deux peuples dans leur intérêt et avantage mutuel. Il est bien connu que ce plan pour la solution de l’avenir de la Palestine a ses partisans dans ce pays même ». [souligné par nous]
Nous sommes évidemment d’accord sur le fait que la solution d’un seul État arabo-juif avec des droits égaux pour les juifs et les arabes est « dans l’intérêt de l’ensemble de la population palestinienne et de la paix et de la prospérité de l’humanité, de la sécurité au Proche-Orient ». Il faut toutefois relever que Gromyko commet une erreur lorsqu‘il parle des liens historiques de la population juive en Palestine, sans considérer l’afflux récent et important de centaines de milliers de juifs d’Europe qui n’ont pas  de « racines historiques », à moins de tomber dans le piège messianique du sionisme ; et dans le prolongement de cette erreur, l’immigration de centaines de milliers de juifs qui attendent la création de l’État juif pour s’établir en Palestine, remettant en cause, dans les faits les plans échafaudés par l’ONU est aussi passée sous silence. Gromyko ne dénonce pas l’idéologie sioniste comme un obstacle irrémédiable à une solution harmonieuse en Palestine avec une vie commune aux deux populations. Il parle de population juive en Palestine, ce qui est correct ; mais il parle aussi de peuple juif, ce qui est contraire à la position constante  du Parti Communiste de l’URSS. De plus, et il faut le souligner, les intérêts du peuple palestinien sont absents de ses réflexions.
Gromyko termine son intervention :
« Si ce plan s'avérait impossible à mettre en œuvre, compte tenu de la détérioration des relations entre les Juifs et les Arabes - et il sera très important de connaître l'avis du comité spécial sur cette question - alors il faudrait considérer le deuxième plan qui, comme le premier, a ses partisans en Palestine, et qui prévoit la partition de la Palestine en deux États autonomes indépendants, un juif et un arabe. Je répète qu'une telle solution du problème palestinien ne se justifierait que si les relations entre les populations juive et arabe de Palestine s'avéraient effectivement si mauvaises qu'il serait impossible de les réconcilier et d'assurer la coexistence pacifique des arabes et des juifs ».
Cette conclusion annonce, plus de sept mois plus tard, le vote de l’URSS en faveur de la solution à deux États. L’intransigeance des sionistes guidés par leur idéologie messianique comme les positions réactionnaires des dirigeants des pays arabes appelant à la guerre sainte ne pouvaient que déboucher sur l’impossibilité d’une solution pacifique à un seul État. Mais deux États voulaient dire aussi la guerre… Un rejet par l’ONU du plan à deux États et la nécessité alors d’imposer un seul État aurait pu permettre de lutter contre toutes les forces rétrogrades et réactionnaires. Mais les pays occidentaux et les USA voulaient par tous les moyens se débarrasser des centaines de milliers de rescapés juifs en Europe, quitte à ce que cela passe par le transfert du peuple palestinien dans les autres pays arabes de la région. Ils voulaient aussi, dans le contexte de la guerre froide menée contre l'URSS s'assurer dans cette région stratégique entre l'Occident et l'Asie d'une place forte à leur main pour défendre leurs propres intérêts et tout particulièrement dans le domaine des ressources énergétiques
Le rôle de l’URSS sur cette question de la Palestine ne s’est pas limité au vote favorable au plan de partage. L’engagement a été important en faveur de l’État d’Israël, engagement qui a pris un contenu militaire. A ma connaissance, nous ne disposons pas d’un document soviétique listant les aides fournies. Il est possible de trouver néanmoins des éléments dans la littérature.
Ainsi, dès mars 1948, la Tchécoslovaquie est chargée de fournir à l’Agence juive, qui deviendra seulement en mai 1948 l’État d’Israël, armement, chars, avions malgré le blocus en armement. Cet armement eut une influence décisive dans l’avancée de l’armée israélienne vers Jérusalem et la prise de certaines villes à population dominante arabe. Plus tard, le secrétaire du PC israélien Mikounis (nous reviendrons plus loin sur ce parti) obtient l’envoi d’une brigade de 2.000 volontaires juifs tchécoslovaques en Israël, soldats versés dans l’armée israélienne. Les livraisons d’armes tchécoslovaques se poursuivront jusqu’en février 1951.
Une aide d’un autre type a eu aussi une importance décisive. Nous avons dit que lors du plan de partage, il y avait de l’ordre de 660.000 juifs en Palestine.  L’agence juive veut changer le rapport de force démographique et a besoin de soldats. L’Union soviétique a laissé se développer dans les pays libérés par l’Armée rouge un mouvement de déplacement des rescapés juifs vers les zones occupées par les armées de Grande-Bretagne et des USA. Ainsi, de l’ordre de 150.000 juifs polonais vont, en 1946 dans les camps de personnes déplacées situés dans les zones d’occupation britannique et US. Et nous avons vu que ces réfugiés sont soumis à une propagande sioniste intense présentant que, dans les faits, la seule solution est l’immigration en Palestine. Après mai 1948, plus de 300.000 juifs provenant de Pologne, de Roumanie, de Tchécoslovaquie, de Hongrie s’installent en Israël.
Comment expliquer, comment interpréter ces faits ?
Évidemment, tous les politologues antisoviétiques, anticommunistes ont déversé leur fiel pour détruire l’aura de l’Union soviétique à la fin de la guerre et consolider ainsi l’atmosphère de guerre froide.
Ainsi, il est affirmé que la position soviétique est guidée par la volonté de chasser les Britanniques de Palestine afin de miner leur influence au Moyen-Orient. Cela ne tient absolument pas car la position de tous les pays à l’ONU est de mettre un terme au mandat britannique, et cela est renforcé par la volonté des peuples arabes de la région de se libérer du colonialisme britannique. Au sortir de la guerre, l’impérialisme britannique est déclinant, situation reconnue par Churchill lui-même qui dans son discours de mars 1946 à Fulton demande que les USA considèrent la Grande-Bretagne comme sa meilleure alliée, reconnaissant dans les faits une position seconde. La lutte des peuples comme les rivalités entre pays impérialistes se chargent de détruire l’influence britannique dans le Moyen-Orient.
Dans le prolongement de ce point de vue, il est affirmé que la politique extérieure soviétique obéit moins à l’idéologie qu’aux intérêts d’État de l’URSS. Ainsi, l’URSS, comme tous les autres pays, capitalistes,  déterminerait sa politique extérieure en fonction des seuls intérêts du pays, de la classe dirigeante, et non des intérêts des peuples soviétiques comme des autres peuples. En quoi une solution à deux États serait préférable à l’URSS par rapport à un seul État ? Nous avons vu que l’argument « contre l’impérialisme britannique » ne tient pas.
Un autre argument farfelu a été avancé. Hélène Carrère d’Encausse, considérée comme une grande spécialiste de l’URSS du fait de son origine géorgienne, affirme que Staline, car pour elle Staline seul décide de tout…, pensait qu’un État juif se joindrait au camp socialiste. Les dirigeants soviétiques n’étaient pas naïfs à ce point ! Ils ont bien entendu le discours du premier ministre israélien Ben Gourion[21] accueillant le premier ambassadeur  des USA en août 1948 : « Israël salue le soutien russe aux Nations unies, mais ne tolérera pas de domination soviétique. Non seulement Israël est occidental dans son orientation, mais notre peuple est démocrate et réalise qu’il ne peut devenir fort et rester libre qu’à travers la coopération avec les États-Unis. Seul l’Occident lui-même, en humiliant Israël et en l’abandonnant aux Nations Unies et ailleurs, pourrait s’aliéner notre peuple ». Les liens des dirigeants sionistes avec les USA sont connus et historiques. Depuis le début, le mouvement sioniste a compris que le soutien US était indispensable pour mener à bien son projet.
Tous ces politologues se gardent bien de poser la question : en 1948, l’URSS devait-elle voter pour un seul État, ou pour la partition en deux États ? Ce silence vaut réponse….
Cela étant, il nous faut essayer de comprendre les raisons de la position de l’Union soviétique. Principalement, les dirigeants soviétiques n’avaient pas une connaissance suffisamment précise et approfondie de la réalité palestinienne. Pendant les vingt années précédentes, le problème principal était de consolider le socialisme en URSS sur les plans idéologique, politique et économique ; puis de se préparer à la guerre qui menaçait ; puis ensuite tous les efforts furent concentrés sur la guerre afin de vaincre l’Allemagne hitlérienne tout en maintenant une alliance fragile avec les USA et la Grande-Bretagne. Le génocide hitlérien contre les juifs, les épreuves subies par les juifs rescapés des camps, comme la situation imposée aux juifs déracinés en Europe depuis 1945 ont recouvert sur le plan subjectif les analyses sur ce que représente le sionisme, sa nature réactionnaire et coloniale et son projet politique. La critique du sionisme par le mouvement social-démocrate depuis son apparition fin du 19ème siècle, critique reprise par le mouvement communiste ensuite (voir la première partie) a été « oubliée », a été mise de côté dans le discours de Gromyko à l’ONU. Une mise en garde des méfaits ultérieurs du sionisme si le nouvel État juif ne rejette pas cette idéologie n’est pas faite. D’autant plus que le sionisme est justement le guide pour attirer les rescapés juifs d’Europe à venir s’installer en Palestine, à coloniser la Palestine. Ce subjectivisme, cette connaissance superficielle ont fait que l’existence et les intérêts du peuple palestinien ont été sous-estimés. Il est possible aussi que les dirigeants soviétiques aient reçus des rapports, des analyses en faveur de la solution à deux États de communistes d’URSS comme des pays de l’Europe de l’Est et aussi de communistes de Palestine et aussi de certains pays arabes dont les membres juifs sont nombreux. Peut-être aussi les sentiments socialistes affichés par une partie des immigrants juifs d’Europe faisaient croire aux possibilités de développement d’un mouvement progressiste en Israël ? Cela c’était sans compter sur le fait que ces immigrants sont plongés dans une situation coloniale. L’Agence sioniste leur déclare : « si vous voulez cette terre, il faut la gagner contre les arabes », reproduisant ainsi le processus dans lequel furent plongés les immigrants européens fuyant la misère et l’oppression allant sur la terre promise des USA et devant refouler et tuer les populations indigènes d’Amérique. De plus, l’État d’Israël est solidement tenu en mains par une direction politique  avec des dirigeants sionistes bien préparés à leur rôle depuis longtemps.
L’évolution de la situation en Israël et dans la région après 1949 amène les dirigeants soviétiques à revoir leur position, à critiquer de façon de plus en plus précise la politique de l’État d’Israël, sans toutefois remettre en cause le vote favorable à la création de cet État. Parallèlement, en URSS la nécessité d’un approfondissement de la lutte idéologique contre les idées bourgeoises, contre le nationalisme grand-russe, contre l’influence pernicieuse occidentale, conduit la direction soviétique à critiquer l’influence sioniste en URSS même. Un mouvement contre le cosmopolitisme est lancé. Déjà, dans la Pravda du 21 septembre 1948, Ilya Ehrenbourg, intellectuel soviétique d’origine juive dont l’action idéologique durant la guerre fut très positive, mettait en garde : « l’avenir des travailleurs juifs de tous les pays est lié à celui du socialisme. Les juifs soviétiques, avec tout le peuple soviétique, travaillent à la construction de leur mère patrie socialiste. Ils ne regardent pas vers le Proche-Orient – ils regardent vers le futur ». Cet avertissement montre la complexité de la situation en URSS trente ans après la révolution d’Octobre et trente ans d’édification socialiste. Dans des pays comme la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Roumanie, pays dans lesquels la répression juive fut effroyable et l’antisémitisme profond, il ne faut pas être surpris que des communistes soient sensibles au projet d’un État juif en Palestine. Cette critique du cosmopolitisme en Union soviétique comme dans les pays de démocratie populaire fut présentée par les médias bourgeois occidentaux  comme une concrétisation d’un antisémitisme soviétique ancien. Dans les pays occidentaux, un vaste mouvement de protestation contre l’antisémitisme soviétique fut lancé fin des années 1940, début des années 1950, afin de contrer l’influence des idées socialistes. Ce mouvement visait aussi à consolider l’atmosphère guerre froide contre le camp socialiste qui se trouvait fortement renforcé par la victoire de la révolution en Chine en 1949. Il faut reconnaître que cette accusation d’antisémitisme en URSS a ébranlé un certain nombre non négligeable de personnes qui à l’ouest regardaient  l’URSS avec un sentiment favorable du fait de la victoire contre l’Allemagne hitlérienne.
Nous ne disposons pas d’un document soviétique expliquant et analysant la position et l’action de l’URSS durant ces années caractérisée par une situation très complexe.
Le plan de partage de l’ONU et les Partis communistes de la région[22] :
Le Parti Communiste Palestinien (PCP) fut continuellement confronté à une situation complexe entre unir les luttes sociales, impulser un mouvement de libération nationale autonome sans se mettre à la remorque des politiciens nationalistes bourgeois, et la lutte pour le socialisme. Les analyses divergentes étaient souvent portées par les militants communistes arabes et juifs du PCP.
Ainsi, à partir de 1943, certains militants juifs, prenant en considération la situation des rescapés et réfugiés juifs d’Europe, étaient  sensibles à la reconnaissance d’une identité nationale juive en formation et en développement. Déclaration de 1945 : « Le caractère exclusivement arabe du pays s’est effectivement modifié, d’une part dans la composition de la population, et d’autre part dans son économie. La Palestine est aujourd’hui binationale. Voilà le changement historique en cours (…), d’où, s’agissant de notre politique, des conclusions à long terme ». Et le PCP, lors du IXe Congrès tenu en 1945 décide de se prononcer explicitement pour « un État arabo-juif » indivisible qui « doit être fondé sur le principe d’égalité des droits, sans distinction de race, de nationalité, de religion ni de genre, et donc sur le principe d’égalité de droit national des Juifs et des Arabes à un développement national, économique et culturel libre ». Un an plus tard, en 1946, lors du Xe Congrès, il sera finalement décidé que « la Palestine est un pays binational », rejetant toutefois l’ide d’une partition de la Palestine. Dans ces déclarations, il n’est plus question de critique du sionisme et l’ambiguïté sur la liberté d’immigration de juifs d’Europe est maintenue.
Face à cette évolution, dès 1943, une scission  fut menée par des adhérents arabes créant la Ligue de libération nationale (LLN), rejetant ce projet binational, et revendiquant un  État démocratique, « une patrie arabe libre », qui protégerait toute les minorités.
Après le vote de l’ONU décidant la partition, et tenant compte de la nouvelle situation, le Parti communiste palestinien et des membres de la LLN fondèrent le Parti communiste israélien (Maki)  qui apposa sa signature sur la déclaration d’indépendance de l’État  d’Israël. Par contre,  des membres de la LLN et des communistes arabes de Palestine vivant dans la région absorbée par la Jordanie rejoignent le Parti Communiste Jordanien fondé en 1948. Ce parti est composé alors principalement de militants palestiniens. Mais le résultat de ces réorganisations est que le peuple palestinien n’a plus de Parti pour diriger les luttes dans cette situation complexe qui voit le peuple palestinien nié en tant que tel[23]!
Sur ces questions, voir aussi un article paru dans Recherches Internationales de Maher Al-Charif[24] fournissant des éléments d’information nécessaires sur l’histoire du marxisme palestinien.
Quant aux Partis Communistes de la région, ils sont tiraillés dans chaque pays entre la défense de la position prise par l’URSS et le développement de mouvements de libération nationale dans leur pays ; leur travail fut combattu par les forces politiques nationalistes bourgeoises, s’appuyant sur la religion, qui rejetaient ces partis comme complices et responsables de la création de l’État d’Israël.
 
En conclusion, Le vote par l’Union soviétique en faveur d’une division de la Palestine en deux États fut une erreur dont les conséquences en 2023 ne sont pas encore surmontées. La situation du peuple palestinien, quant à elle, après le plan de partage de la Palestine, la guerre de 1948-49, l’immigration très importante de juifs d’Europe centrale, le nettoyage ethnique imposé par l’Agence sioniste durant la guerre et après, l’occupation de Gaza par l’Égypte et l’absorption de la Cisjordanie par la Jordanie, est catastrophique et le mot de Nakba pour caractériser cette situation n’est pas trop fort ! Il faudra une longue période pour que le peuple Palestinien, éclaté en plusieurs morceaux dans plusieurs pays et occupé par l’État d’Israël créé par l’ONU, réussisse à se donner une organisation nationale et une direction issue du peuple pour repartir à l’assaut contre le sionisme agresseur visant un État juif sur toute la Palestine historique avec une unité de peuplement par des juifs et donc vidé de sa population arabe.
[2]  Staline, « au sujet du discours de M. Churchill », Nouvelles Soviétiques, n° 86, 16 mars 1946.
[3]  Glubb Pacha, « Soldat avec les Arabes », Plon 1958, livre décrivant les différentes étapes de la guerre de 48 à partir de sa position pro-Transjordanie.
[4]  Aux origines coloniales de la question palestinienne, 2005 ; https://investigaction.net/aux-origines-coloniales-de-la-question-palestinienne/
[5] Document ONU : https://digitallibrary.un.org › A_PV-128-FR
[9]  Ilan PappéLe Nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2006 ; La Fabrique 2024 ; Noam Chomsky, Ilan Pappé : Palestine l’État de siège, Ed Gallade2013.
[10] Henry Laurens, La question palestinienne, Tome 3, 2007, Fayard.
[11] Le partage de la Palestine de 1947 à 1949, par Philippe Rekacewicz, Le Monde diplomatique, avril 1998).
[14] llan Pappé, « La guerre de Palestine en 48, aux origines du conflit judéo-arabe », La Découverte, 2000 ;  « Les démons de la Nakba », La Découverte 2004.
[16] Jacques Pous, « Palestine (1917-1949) : Figures d’un colonialisme de remplacement », Ed l’Harmattan, 2023).
[17]  Rapport d’Andreï Jdanov : http://librecours.eu.free.fr › spip › spip › article5.
[21] Arnold Kramer, « Soviet Policy on Palestine 1947-1948 », Journal of Palestine Studies , vol. 2, no 2,‎ hiver 1973.
[22] Le mouvement communiste en Palestine 1919-1949 ; http://321ignition.free.fr/pag/fr/ana/pag_003/pag.htm
[23]  Shlomo Sand, « Deux peuples pour un État ? Relire l’histoire du sionisme », Seuil 2024.
[24] Le marxisme palestinien. D’où vient-il ? Où va-t-il ? Recherches Internationales  Année 1997  47  pp. 3-15 ; https://www.persee.fr/doc/rint_0294-3069_1997_num_47_1_2230
Il est aussi possible de consulter cet article en anglais écrit par In Ran Greenstein, Zionism and its Discontents: A Century of Radical Dissent in Israel/Palestine (Pluto Press, 2014, pp. 50-103) (The_Palestinian_Communist_Party_1919_194%20(1).pdf).
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