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N° 872 06/04/2024  Le 25 avril dernier, nous avons atteint le cinquantième anniversaire de la Révolution des œillets qui, le 25 avril 1974, renversa le pouvoir de « l’Estado Novo » et mit fin au régime fasciste du Portugal.
Tous les militants révolutionnaires qui vécurent cette période, même de loin, en France, se rappellent leur enthousiasme. Jean Lévy, alors responsable de la CGT, témoigne de sa réaction le 26 avril en France : « Je me souviens du matin du 26 avril 1974, où à Lille en déplacement syndical, j'appris le "golpe" militaire à Lisbonne, ne sachant pas encore s'il s'agissait d'un "coup" de droite ou de gauche...jusqu'au moment où l'information fut donnée selon laquelle c'était "Grandola" qui en avait signifié le départ. Or, je connaissais la chanson clandestine, fort répandue dans les milieux de la résistance communiste, que je fréquentais au Portugal. D'où ma joie sans borne... ».
Le processus révolutionnaire fut fortement ébranlé le 19 septembre 1975 et définitivement mis à l’arrêt le 25 novembre suivant. Voici un récit qui peut servir de base à une analyse marxiste de ce qui s’est passé.
 
De la fin du fascisme à la démission de Spinola
 L’Estado Novo
Mis en place à partir de 1933, le régime fasciste portugais, baptisé « L’État Nouveau », coche la plupart des critères qui caractérisent le fascisme : la réaction anticommuniste ; l’embrigadement des jeunes ; le corporatisme (organisations regroupant les travailleurs et leur patron ; la place accordée, dans la direction, aux couches moyennes supérieures, voire à la petite bourgeoisie (Salazar est professeur d’université) et la volonté de contrôler tous les leviers de l’État. La premier et le dernier critère, les fondamentaux, sont la preuve que la république « démocratique bourgeoise », qui précédait, ne pouvait être un outil suffisant pour empêcher les menées révolutionnaires, ni pour contrôler idéologiquement le pays. C’est la raison pour laquelle, tant en Italie qu’en Allemagne, le Grand Capital a organisé la prise du pouvoir par les fascistes.
Bien qu’appuyé sur l’armée et la police politique fasciste (la PIDE), le régime n’est pas, comme en Espagne, en Roumanie ou en Pologne, une dictature militaire, mais un État dirigé par une clique petite bourgeoise qui, si elle ne constitue pas officiellement un parti, comme en Italie, en Allemagne ou en Croatie est tout de même une organisation structurée et hiérarchisée.
Elle présente par ailleurs une caractéristique un peu particulière, elle maintient et structure l’empire colonial portugais en Afrique. Et cela revêt une importance essentielle pour ses dirigeants. Mais la mobilisation des armées portugaises dans les colonies atteignit, à partir de 1970, totalement ses limites et des parties entières de ces territoires échappaient au contrôle de l’État fasciste au moment de la révolution.
Président du Conseil de 1933 à 1968, Antonio Salazar dirige le pays, puis, malade, cède sa place à Marcelo Caetano, son ancien ministre des Colonies. Une légende de l’idéologie dominante a consisté à nier le caractère fasciste du régime de Salazar (fortement soutenu par les USA, qui, comme chacun sait, sont une « démocratie ») et à faire croire que Caetano voulait réformer le régime et, en cela, l’opposer aux soi-disant « durs du régime », comme le président de la République, Americo Tomas. En réalité, il était simplement plus libre-échangiste que le protectionniste Salazar, mais n’a jamais eu l’intention de diminuer l’oppression des classes populaires, ni réalisé quoi que ce soit qui puisse en être un semblant de preuve.
 
La Révolution des œillets
La résistance au pouvoir fasciste était d’abord celle du Parti Communiste Portugais clandestin, qui organisait des grèves (interdites) et des luttes diverses.
Mais, un certain nombre de militaires, notamment de jeunes officiers, au contact des militants de libération nationale de Guinée-Bissau et du Cap Vert (le PAIGC[i] d’Amilcar Cabral[ii] surtout, mais aussi, en Angola le MPLA[iii] et, au Mozambique le FRELIMO[iv]), avait sympathisé avec le marxisme, étaient devenus anticolonialistes. Des officiers de plus haut rang, sans forcément être aussi proche des thèses marxistes, avaient compris l’inanité du maintien de la colonisation et la nécessité d’en finir avec l’État fasciste.
Les premiers de ces militaires créèrent clandestinement, le MFA (mouvement des forces armées, à la direction duquel on trouve les capitaines Diniz De Almeida[v], Vasco Lourenço[vi] et Otelo Saraiva De Carvalho[vii]) ; le futur général Vasco Gonçalvès[viii] est également membre du MFA. Le programme clandestin du MFA tient, au début, en trois points : démocratisation (conquête du pouvoir confié à une junte en vue de la démocratisation du pays) ; décolonisation (facilitation de l’indépendance par l’organisation par le gouvernement, sous la tutelle de l’armée, d’élections libres et d’un référendum sur la décolonisation) ; développement économique.
Peu à peu, la question de la constitution d’assemblées populaires décisionnelles, sur le modèle pas forcément avoué des Soviets ou des comités de défense de la Révolution de Cuba, prendra une place importante dans les discussions internes au MFA. Mais la question du sort des prolétaires sera absente, sauf auprès des militaires proches du Parti Communiste.
Les dirigeants du MFA prennent langue avec un certain nombre d’officiers généraux qui contestent de plus en plus le régime : Antonio de Spinola[ix] et Carlos Galvao de Melo[x], réactionnaires voulant se débarrasser du régime fasciste, avec des ambitions personnelles pour le premier et Francisco Costa Gomes[xi], beaucoup plus engagé à gauche.
Le MFA, qui recrute essentiellement dans l’armée de terre, décide de lancer les opérations de renversement du pouvoir fasciste le 25 avril.
Le signal définitif de l’opération militaire est lancé à 0 h 20 par la diffusion de la chanson interdite par le régime Grândola, Vila Morena de José Afonso, par Rádio Renascença, pourtant possédée par l’Eglise catholique, dans l'émission Limite. Ce signal confirme que les opérations sont en marche de manière irréversible dans tout le pays. Les troupes se dirigent vers leurs objectifs.
Des militaires de l’École Pratique de l’Administration Militaire, de l’École Pratique de la Cavalerie, commandée par la capitaine Fernando Salgueiro Maia, basée à Santarem, puis les troupes d'EstremozFigueira da FozLamegoLisbonneMafraTomarVendas NovasViseu, et d'autres points du pays se mettent également en route vers leur objectif entre 0 h 30 et 1 h 00. A 3 h 00, les sièges des radios et télévisions à Lisbonne sont occupés. Le lieutenant-colonel Carlos de Azeredo, commandant de la région Nord, proche des sociaux-démocrates, occupe, avec ses hommes le quartier Général de la région de Porto puis l’aéroport. Le capitaine José Antonio Costa Martins[xii], proche des communistes, s’empare de l’aéroport de Lisbonne à 4 h 20 et fait cesser le trafic aérien au-dessus du Portugal.
A 5 h 00, sur les conseils de la terrible police politique, la PIDE, le premier ministre fasciste Marcelo Caetano se réfugie au quartier général de la Guardia Nacional Republicana (GNR), autant dire la gendarmerie. A partir de 12 h 00, l’endroit est cerné par les militaires du capitaine Salgueiro Maia qui adressent un ultimatum à Caetano. L'ultimatum arrive à son terme à 16 h 00. Caetano fait savoir qu'il est prêt à se rendre à la condition que ce soit à un officier supérieur. Il se rendra effectivement au général Spinola et sera emmené dans un véhicule blindé, puis, plus tard, exilé au Brésil, où il coulera des jours tranquilles.
La PIDE tire sur la foule autour de 20 h 00 et fait quatre morts, ce seront les seuls de la journée. Elle finit par se rendre après l'intervention de Spínola. 
Enfin, les membres de la JSN (Junte de Salut National) se présentent à la télévision à 1 h 30 le 26 avril, il s’agit de l’équipe des généraux réunie autour d’Antonio de Spinola élargie à des officiers supérieurs membres du MFA. Elle est donc composée du général António Ribeiro de Spínola (Président issu de l'armée de terre), du général Francisco da Costa Gomes (armée de terre), du brigadier-général Jaime Silvério Marques (armée de terre), du
général Diogo Neto (absent, au Mozambique) (armée de l'air), du colonel Carlos Galvão de Melo (armée de l'air), tous favorables à l’indépendance des colonies, mais socialement très conservateurs sauf Costa Gomez et du capitaine José Pinheiro de Azevedo[xiii] (marine), futur amiral, proche de Costa Gomes et du commandant António Rosa Coutinho[xiv] (marine), futur amiral, proche des communistes, surnommé « l’amiral rouge ».
 
L’intermède Spinola
La junte exerce le rôle de la direction de l’État et du gouvernement jusqu’au 15 et 16 mai. Le 15, Spinola devient président de la République et le 16 un premier ministre est nommé, l’avocat Adelino de Palma Carlos[xv], qui dirige le premier gouvernement provisoire de la République portugaise.
Bien vite, il apparaît que Spinola souhaite freiner ou faire cesser les mesures révolutionnaires ou progressistes et désapprouve la façon dont se fait la décolonisation.
Mécontent de la direction prise par les événements au Portugal après la Révolution des Œillets (en particulier du virage important à gauche, auquel ont participé un grand nombre de militaires, et la perspective d'indépendance totale pour les colonies), il tente d'intervenir activement dans la politique pour éviter l'application complète du programme du MFA. Opposé à l'indépendance immédiate des colonies, il entend faire durer la guerre jusqu'à ce que les mouvements de libération nationale acceptent des conditions de paix favorables aux intérêts commerciaux portugais.
Malgré lui, le processus est lancé pour que les colonies portugaises deviennent indépendantes à la suite d'un vote du 10 juillet 1974 reconnaissant leur droit à l'autodétermination. Par conséquent, le 10 décembre 1974 la Guinée-Bissau déclare son indépendance, suivie du Mozambique (25 juin 1975), du Cap-Vert (5 juillet 1975), de Sao Tomé-et-Principe (12 juillet 1975) et de l'Angola (11 novembre 1975).
Dirigé par l’avocat Adelino da Palma Carlos, le premier gouvernement provisoire  est constitué d'indépendants, du Parti socialiste (PS), du Parti populaire démocratique (PPD droite), du Parti communiste portugais (PCP) et du Mouvement démocratique portugais (MDP : gauche, proche du PCP). Il compte 15 ministres, dont 4 du PS, 2 du PPD et du PCP, 1 du MDP. Francisco Sa Carneiro[xvi] (secrétaire-général du PPD), Alvaro Cunhal[xvii] (secrétaire général du PCP) et Francisco Pereira de Moura[xviii] (dirigeant du MDP) y sont ministres sans portefeuille, tandis que Mario Soares[xix], le secrétaire général du PS, est ministre des Affaires étrangères.
Après le refus du calendrier de transition constitutionnelle proposé par Palma Carlos, qui prévoyait la célébration d'une élection présidentielle en octobre 1974 et des élections constituantes en 1976, ce qui entrait en contradiction avec le programme du Mouvement des Forces armées (MFA), le Premier ministre démissionne le 17 juillet 1974. 
Vasco Gonçalves, militaire proche des Communistes, devenu général, lui succède et forme le IIe gouvernement provisoire. Ce gouvernement ne compte plus de membre du MDP, le PS ne compte plus que 3 ministres et le PCP toujours 2, mais le second est le capitaine José Costa Martins, qui s’illustra le 25 avril en prenant l’aéroport de Lisbonne. Le PPD n’a plus qu’un ministre, mais le PDC (Parti Démocrate-Chrétien) également de  droite en gagne un aussi. Composé de 17 membres, le nouveau gouvernement compte une femme, Maria de Lourdes Pintasilgo, militante catholique, opposante notoire à la dictature fasciste et proche du Parti socialiste. Enfin, les ministres sans portefeuille, cités en premier dans le gouvernement, outre Alvaro Cunhal et le représentant du PPD, Joaquim Magalhães Mota, sont deux militaires, cadres politiques du MFA, Ernesto Melo Antunes[xx], proche du PS et Vitor Alves[xxi], proche des gauchistes qu’animait Otelo Saraiva de Carvalho puis des sociaux-démocrates.
Les premières nationalisations, les grèves avec occupations d’usine qui démarrent et l’occupation des terres des latifundiaires par les petits paysans et ouvriers agricoles affolent Spinola. Le 28 septembre, il appelle la « majorité silencieuse » à se faire entendre, à descendre dans la rue pour stopper le processus révolutionnaire en cours.  Afin d'empêcher Spinola de prendre le pouvoir et de renverser la révolution, les partis de gauche, PS, PCP et MDP, avec le soutien des militaires, ont érigé des barricades aux principaux points d'accès à Lisbonne, empêchant l'arrivée des manifestants arrivés par camions. Spinola démissionne de la présidence de la République et de la Junte de Salut National, suivi en cela par les généraux Jaime Silvério Marques, Diogo Neto et Galvão de Melo.  Francisco Costa Gomes lui succède comme président de la République et nomme de nouveau le général Vasco Gonçalves comme chef du gouvernement. Celui-ci constitue le 3ème gouvernement provisoire de la République portugaise.
 
Le processus révolutionnaire en cours (octobre 74 – avril 75)
Les forces en présence
A ce moment, on peut considérer que trois forces politico-militaires soutiennent le processus révolutionnaire.
Le parti communiste, son allié du MDP et les militaires qui l’accompagnent constituent le seul « bloc » qui compte des militaires mais aussi des salariés, ouvriers ou paysans, notamment de l’Alentejo, le sud du pays. Les deux autres sont constitués quasi exclusivement de militaires. Aux côtés des militants communistes, on trouvera notamment le général Gonçalvès, premier ministre, le capitaine Costa Martins, acteur du 25 avril et ministre du travail, l’amiral Rosa Coutinho et le général Eurico Corvacho[xxii], commandant de la région militaire Nord.
On distingue un bloc gauchiste, au sens du communisme de gauche défini par Lénine. Mais ce bloc comprend des gens divers. Si les dirigeants du MFA et les capitaines d’avril sont partagés entre les trois « blocs », la majorité se trouve dans celui des « gauchistes ». Mais on y trouve à la fois d’authentique révolutionnaires soucieux de maintenir l’alliance avec les classes populaires et donc le PCP, comme Diniz De Almeida, des gens authentiques, mais qui veulent composer avec les autres militaires, et ont comme boussole le « suffrage universel », comme Vitor Alves et des opportunistes au verbe haut avec un côté anticommuniste non négligeable, comme celui qui apparaît comme le leader de ce groupe : Otelo de Carvalho.
L’un des outils dont dispose alors Otelo est le COPCON (Commandement opérationnel du Continent), un commandement militaire créé aux débuts de la révolution. Le COPCON a été créée le 8 juillet 1974 par le président António de Spínola , dans le but officiel de protéger le processus démocratique initié par la Révolution des œillets. Bien que sa création soit une évidente concession au MFA, Il était composé de forces militaires spéciales telles que des fusiliers marins (proches des Communistes) , des parachutistes (proches des gauchistes), des commandos et de la police militaire. Les sympathies des deux derniers corps étaient bien plus diverses. Pour autant, promu général de brigade, Otelo de Carvalho est le commandant du COPCON, tâche à laquelle s’ajoute celle de commandant de la région militaire de Lisbonne. Il est donc un personnage puissant et incontournable.
Un troisième bloc, alors assez uni, regroupe des militaires sociaux-démocrates, qui sont d’accord pour pousser le processus révolutionnaire, avec des nationalisations et la réforme agraire, même si, sur ces deux questions, ils vont moins loin que Gonçalves et le PCP. Les principaux animateurs de ce groupe sont des participants actifs du 25 avril, les capitaines Melo Antunes et Vasco Lourenço. On peut considérer que le nouveau président de la République, le général Costa Gomes est politiquement proche de ces derniers, sans toutefois faire partie à proprement parler de leur groupe, exclusivement composé d’officiers subalternes et supérieurs.
En revanche, dès le lendemain de la démission de Spinola, le parti socialiste et les militaires qui l’accompagnent commencent à se détourner du processus révolutionnaire et agitent l’épouvantail de l’anticommunisme. Le gouvernement des USA, dirigé par le président Nixon, s’inquiète du risque d’un « coup d’État communiste » au Portugal et se demande s’il peut compter sur Soares pour l’éviter. Au début, la CIA pense qu’il pourrait être le dindon de la farce, une sorte de Kerenski. Mais, Frank Carlucci, l'ambassadeur à Lisbonne, futur directeur adjoint de la CIA  à son retour aux États-Unis, fait peser la balance en faveur du dirigeant socialiste, lui qui sait bien que Soares, « le seul jeu en ville » est digne de confiance, un rusé libéral et quelqu’un avec une grande ambition de pouvoir. Les manœuvres communes entre les USA et Soares commencent dès le mois d’octobre : le président Costa Gomes se rend avec le ministre des Affaires étrangères, c’est-à-dire Soares, à Washington le 18 octobre.
Par ailleurs, les USA agitent tous leurs liens avec la droite portugaise et les nostalgiques du fascisme, y compris au sein de l’armée et envisagent toutes les possibilités. Les stratégies d'ingérence américaine au Portugal ont été définies dès les premiers instants de la révolution. Kissinger établit bientôt « des plans d’urgence, ou de contingence, au cas où le Portugal tomberait entre les mains des communistes ». Ces projets incluent l'occupation militaire des Açores , en vue de maintenir la base de Lages , considérée comme un bastion nord-américain inaliénable, une hypothèse laissée ouverte, pour toute éventualité, lors d'une réunion tenue en janvier 1975 avec le secrétaire à la Défense. James Schlesinger.
 
Les luttes victorieuses et les réalisations des gouvernements Gonçalves
Dans son imparable élan initial, entre mai et septembre 1974, le mouvement révolutionnaire populaire a conquis dans la rue, les usines, les quartiers populaires, les écoles et les zones rurales beaucoup de l’essentiel : les bases de la démocratisation politique, les libertés publiques fondamentales, la liquidation des organes de répression politique et de censure ainsi que des milices fascistes, bien avant que tout cela ne soit consacré par la loi. La démocratie politique au Portugal n’a pas été un cadeau du pouvoir. Ce fut une conquête populaire imposée au pouvoir. Il en va de même pour la démocratisation sociale, le droit de grève, la liberté syndicale, le salaire minimum, les congés payés, la réduction du temps de travail, les fondements d’un système universel de sécurité sociale ou l’occupation des logements vacants par les habitants pauvres. Le mouvement de masse a fait tout cela en affrontant, avec ses instances de la volonté populaire élues dans les usines ou les assemblées de quartier, avec les militants ouvriers, notamment les Communistes, l’opposition systématique de la Junte de Salut National et celle du premier gouvernement provisoire.
À partir d’octobre 1974, la crise économique, la fermeture ou le pillage de nombreuses entreprises par les patrons en fuite, la montée en flèche du chômage, modifient et radicalisent les schémas d’action : les travailleurs occupent les entreprises et, à partir de janvier, les domaines des agrariens de l’Alentejo et du Baixo Ribatejo, expérimentent l’autogestion ou exigent l’intervention de l’État ou du MFA, mettent en place diverses formes de contrôle ouvrier, par le biais de comités de travailleurs ou de comités d’habitants élus par eux. Maintenir les entreprises à flot, vaincre le sabotage économique et garantir l’emploi pose rapidement la question de la nationalisation des secteurs stratégiques de l’économie (à commencer par le secteur bancaire). 
C’est à ce moment-là que les réactionnaires tentent de reprendre la main. En février 1975, on apprend la création d'une organisation d'extrême droite basée en Espagne, liée au général Spínola, qui aurait pour objectif de mener une contre-révolution au Portugal. Plusieurs journaux font allusion à un coup d'État prévu pour mars. Des rumeurs sur un prétendu « massacre de Pâques » commencent à circuler. Tous les officiers liés à la réaction (autant dire à António de Spínola ) seraient éliminés par les secteurs liés au PCP et une partie du personnel militaire du COPCON. Donnant crédit à cette rumeur, des militaires spinolistes prirent les armes et tentèrent, le 11 mars 1975, de commettre un coup d'État. Spínola prend le commandement du coup mais il échoue et s’enfuit en Espagne avec 15 officiers.
Dès le lendemain de la défaite de la deuxième tentative contre-révolutionnaire des spinolistes, le processus révolutionnaire va connaître un nouvel élan et le gouvernement provisoire prendre les mesures les plus révolutionnaires de la période. La nationalisation des banques (en pratique, les grands groupes financiers) est approuvée et la réforme agraire, déjà en cours, est légalisée. Le contrôle ouvrier est à l’ordre du jour. Sont également nationalisées les compagnies d’assurance et, par la suite, la « compagnie de tabac », CUF , Lisnave et d’autres grandes entreprises. Le processus révolutionnaire fait un pas en avant.
Le 14 mars, la Junte de Salut National est dissoute et remplacée par le Conseil de la Révolution, dans le but d'atteindre le plus rapidement possible les objectifs énoncés dans le programme du MFA. Ce conseil comprend notamment Vasco Gonçalvès, Antonio Rosa Coutinho et Carlos Fabiao, proches du PCP, Otelo de Carvalho, bien sûr le général Costa Gomes et un des ses proches l’amiral Pinheiro de Azevedo et, pour les sociaux-démocrates, Melo Antunes et Vasco Lourenço.
Le 26 mars, Vasco Gonçalves donne la démission de son gouvernement et le président Costa Gomes le désigne de nouveau pour diriger le 4ème gouvernement provisoire, qui ne compte pas beaucoup de changements : les ministres sans portefeuille sont désormais tous des civils, représentant de 4 partis politiques (PS, PPD, PCP et MDP), mais le gouvernement compte toujours un nombre non négligeable de représentants du MFA dont Melo Antunes, qui succède à Mario Soares comme ministre des affaires étrangères.
Le Conseil de la Révolution aura pour première tâche de mettre sur place le Pacte MFA/Partis signé le 11 avril 1975 entre les principaux partis politiques et la direction du MFA. Cet accord est une garantie de poursuite du processus révolutionnaire. Et pourtant…
 
Une défaite en trois temps
Premier revers : les élections législatives d’avril 1975
La première défaite du camp de la Révolution est celle des élections à l’Assemblée constituante en avril 1975. Les modestes résultats du PCP (12,5 %), du MDP (4,14 %), et des partis de ce qu’il est convenu d’appeler la gauche radicale [non marxiste] (moins de 5,9 % en tout) sont un premier coup porté au mouvement révolutionnaire, alors que le PS a gagné les élections constituantes avec 37,8 % des voix, que le PPD prend la deuxième place avec 26,39 % et le CDS la quatrième avec 7,61 %. Bref, les partis bourgeois totalisent, si l’on compte les voix du petit parti monarchiste, 4 137 659 voix sur les 5 315 154 exprimés, soient 77,85 %.
La révolution ne pouvait ni les reporter ni les ignorer, encore moins les annuler (ce qui était impensable dans un pays où l’opposition avait fait des élections libres son cheval de bataille de toujours). Elle n’avait pas non plus la force de les gagner ; mais entamer un processus électoral dans un pays sortant du fascisme, où, notamment dans les campagnes du Nord, un nombre important d’électeurs étaient illettrés et votèrent en se référant à la couleur du bulletin de vote est une erreur de la part des révolutionnaires et une manœuvre opportuniste de la part du PS et des partis de droite.
Au-delà des seuls résultats, ce qui est en jeu est le changement en cours du critère de légitimation du pouvoir en gestation et la perception sociale qui en découle de manière incontrôlée.
Le président de la République, le général Costa Gomes, indéniablement attaché au processus issu du 25 avril 1974, aura beau, dans son discours lors de la première séance de l’Assemblée, mentionner la plateforme constitutionnelle MFA/Partis, en réalité, avec les élections d’avril 1975, la légitimité électorale est désormais en train de supplanter la légitimité révolutionnaire.
 
L’affaire « Republica »
« República » est un journal dirigé depuis 1972 par le socialiste Raul Rego et qui critique à la marge le pouvoir de « L’Estado Novo » avant la Révolution des œillets.
Après le 25 avril 1974, la rédaction, antifasciste et unitaire, a constaté que le PS voulait faire du journal son organe et multipliait les pressions en ce sens. Voulant conserver ce caractère unitaire, les salariés (pas seulement les journalistes) ont élu un comité de rédaction. Cette décision n’a pas plu aux dirigeants socialistes du journal. La direction a compris qu'elle n'avait pas le soutien de la majorité et a commencé à faire pression sur les journalistes ; certains ont été invités à partir et, dans les mois suivants, les salariés de l’édition du journal ont contesté le départ d'une dizaine de journalistes.
Comme le PS aggrave le nettoyage depuis sa victoire électorale, les travailleurs de l'imprimerie et des services administratifs, représentés par le Comité de coordination des travailleurs (CCT), et le personnel de rédaction et d'administration se mettent en grève à partir du 2 mai en occupant partiellement les locaux du journal. Le 19 mai, le CCT a décidé de "suspendre de l'exercice de leurs fonctions" l'administration et la rédaction, les accusant de tenter de transformer le journal en un organe lié au Parti socialiste. Les locaux du journal sont occupés par des employés qui informent les journalistes que quiconque souhaite partir ne pourra plus revenir. Personne ne part. L'édition du 19 mai de « República » sort dans les rues à l'heure prévue mais avec une constitution différente : le nom d’un journaliste gréviste Alvaro Belo Marques comme directeur par intérim a été écrit sur l'en-tête et un éditorial « Cher lecteur » explique la raison de la lutte des ouvriers. En réaction, la direction et une partie de la rédaction du journal ont également publié une déclaration protestant contre l'abus de pouvoir d'un « comité ouvrier ».
Nous sommes face à la même question que celle posée par le poème « Andaluces de Jaen » de Miguel Hernandez. Il interroge les travailleurs agricoles qui élèvent les oliviers et leur demande : « A qui sont ces oliviers ? » ; la réponse est évidente pour les marxistes : la terre et ses produits ont à ceux qui les travaillent. C’est la même problématique avec la presse et en particulier « República », le journal n’appartient pas à ceux qui le « possèdent », mais à ceux qui y travaillent. Mais le Parti socialiste de Mario Soares n’est pas d’accord.
A l'extérieur des installations, le PS organise une manifestation de soutien à l'ancienne direction. Mário Soares est présent, ainsi que beaucoup d’autres dirigeants du parti. Des slogans sont proférés contre le PCP, contre Alvaro Cunhal, et contre le MFA, signe définitif que le PS a basculé
A 19 h 30, des militaires du COPCON et de la Police Militaire entrent dans le bâtiment pour protéger les personnes qui s’y trouvent et empêcher une escalade de la violence.
Le gouvernement a agi, le soir même, en envoyant la ministre de la Communication sociale, Correia Jesuíno, dans les locaux de la « República », pour tenter de réconcilier les parties impliquées. Sans cacher une certaine distance par rapport à la crise : « Je précise d'emblée que le conflit entre les travailleurs et l'Administration dépasse le cadre de mon Ministère », le ministre précise tout de même que : « il y a une Loi sur la Presse qui doit être appliquée et elle donne toute raison à l'administration de cette entreprise, qui, à mon avis, a parfaitement le droit de publier le journal comme bon lui semble. ». En voilà un qui n’était pas d’accord avec Miguel Hernandez. Le 20, à six heures du matin, après l'échec des négociations, le ministre a décidé de porter l'affaire devant les tribunaux et a ordonné la mise sous scellés des installations de la « República », malgré les vives protestations de la foule qui l’accusait de « faire le jeu de Cunhal ».
Le journal reste fermé jusqu'au 18 juin. Les revendications des travailleurs concernant le paiement des salaires pour les jours de fermeture du journal, le maintien d'Álvaro Belo Marques dans l'équipe de "República" et la participation de tous à l'orientation politique du journal, ne trouvent aucun écho auprès de l’ancienne direction. Le 18, le COPCON, cédant à la pression du CCT, décide de rouvrir les portes de "República". Le journal, composé principalement d'éléments des forces armées et de la gauche dite radicale, réapparaît dans les kiosques le 10 juillet avec pour directeur le colonel Jorge Pereira de Carvalho.
 
Le PS et les opportunistes organisent la rupture au sein du MFA
C'est depuis cette affaire que s'élève la voix de Mário Soares et, sur un ton dramatique, accuse les Communistes portugais, d'être responsables de l'état du pays. Le thème et le ton resteront longtemps dans d’innombrables discours prononcés partout. L’objectif de Soares est clair, en finir avec le processus révolutionnaire, d’autant plus clair que la plupart des meneurs de la lutte étaient proches ou membre de l’UDP, un parti plus lié à Otelo de Carvalho qu’à Alvaro Cunhal. La manœuvre se poursuit : le 17 juillet, les ministres du PS quittent le gouvernement, bien tôt suivis par ceux du PPD et du CDS.
Le 8 août 1975, Vasco Gonçalves démissionne. Il est réinvesti par le président Costa Gomes, toujours sans ministre du PS ni du PPD.
Le Parti Socialiste poursuit son offensive pour arrêter le processus révolutionnaire. Le 19 juillet, c’est un rassemblement important à Fonte Luminosa à Lisbonne. Ensuite, c’est le rassemblement du PS sur la Praça Humberto Delgado à Porto , le 14 août 1975, au cours duquel Mário Soares a agité le spectre du danger communiste avec les encouragements du gouvernement des États-Unis. Juste à côté et au même moment, sur une place adjacente à la Rua Sá da Bandeira, le siège du parti de gauche Union démocratique populaire (UDP) a été attaqué par des manifestants, à coups de pistolet et de cocktails Molotov.
C'est « l'été chaud ». Les occupations de maisons, d'usines, de grands domaines, etc., prolifèrent. Dans le Nord, qui compte de petites propriétés foncières et est soumis à une grande influence catholique, des groupes contre-révolutionnaires ont émergé, tels que le Mouvement Démocratique pour la Libération du Portugal (MDLP), l'ELP (Armée de Libération Portugaise) et le « Groupe Maria da Fonte ». La violence des fascistes se déchaîne. Plusieurs sièges de partis, du PCP surtout, et de partis de gauche ont été vandalisés et incendiés dans le Nord et le Centre. A Lisbonne, l'ambassade espagnole a été incendiée le 27 et l’Espagne envisage de déclarer la guerre au Portugal.
Le 7août 1975 un groupe de neuf officiers membres du MFA publie dans le Jornal Novo un document qui, prétextant le refus commun des Etats socialistes d’Europe de l’est et celui des Etats sociaux-démocrates d’Europe de l’ouest, de soutenir un projet de transition vers le socialisme qui serait une « troisième voie », prépare l’enterrement du processus révolutionnaire. C’est à la fois la première manifestation publique de divergences au sein du MFA et une charge sans précédent contre le gouvernement qui ne peut qu’aller dans le sens des manœuvres du PS et des partis réactionnaires. Les principaux meneurs de cette opération sont Ernesto Melo Antunes, Vasco Lourenço, Vitor Alves, Vitor Crespo, de la Marine, auxquels s’ajoutent des « nouveaux » : le chef d’État-major de l’armée de l’air, le colonel José Morais Da Silva, et le lieutenant-colonel Antonio Ramalho Eanes[xxiii]. Le groupe des neuf charge Ramalho Eanes de préparer des plans opérationnels pour réprimer une éventuelle tentative de coup d'État des factions les plus radicales des Forces armées , soit la « gauche militaire », formée autour du Premier ministre Vasco Gonçalves et du PCP , ainsi que les « militaires révolutionnaires » qui font partie du groupe dirigé par Otelo Saraiva de Carvalho , commandant du  COPCON.
Le 20 août, le Conseil de la Révolution décide de suspendre de son sein, ceux des militaires qui sont signataires du texte du Groupe des neuf. Si Vasco Gonçalves et Francisco Costa Gomes approuvent cette éviction, Otelo de Carvalho s’y oppose, préparant son adhésion à l’union sacrée contre les communistes.
Le 26 août le même Conseil de la Révolution essaie de concilier tout de même les thèses des neuf avec celles du gouvernement. Beaucoup, dans et autour du Parti socialiste annonçaient la fin du gouvernement et son remplacement par une équipe « modérée ». Le Monde d’alors commente ainsi la réunion : « Tous ceux qui, dans les rangs modérés et à grand renfort de titres, annonçaient lundi la constitution d'un sixième gouvernement provisoire et donnaient même la liste des ministres, seront sans doute déçus. La réunion jugée décisive du Conseil de la révolution n'a pas produit le grand éclat qu'ils attendaient. Mais un point est acquis : le gouvernement du général Gonçalves est, ce mardi 26 août au matin, encore bien en place. L'ultimatum que les modérés auraient adressé au président de la République pour qu'il démette le premier ministre s'achevait lundi à minuit. Le général Costa Gomes n'y a pas répondu. ».
La principale concession aux contre-révolutionnaires est la mise en sommeil de la Vème division, l’organisme de propagande du Conseil de la Révolution, animée par le commandant Ramiro Correia, proche du général premier-ministre. En revanche, le général Eurico Corvacho, très ciblé par les Neuf et par le PS, est maintenu dans le commandement de la région militaire du Nord. C'est une victoire pour l'aile progressiste du M.F.A. et pour le premier ministre.
Pourtant, c’est une victoire à la Pyrrhus, les militaires révolutionnaires n’ont gagné qu’un répit de quelques jours.
 
Deuxième revers : la destitution de Vasco Gonçalves
Le 19 septembre 1975, Vasco Gonçalves est démis de ses fonctions par le président Costa          Gomes.
La deuxième défaite du camp de la révolution socialiste, en août-septembre 1975, a précisément été l’élimination de la « gauche militaire », de l’aile dite la plus proche de Vasco Gonçalves et du PCP, non seulement de la direction du gouvernement provisoire, mais aussi des positions fortes qu’elle occupait au sein de l’appareil militaire : la Ve Division est dissoute, Vasco Gonçalves est démis de ses fonctions auprès du Premier ministre et empêché par l’assemblée du MFA, avec le complicité d’Otelo de Carvalho et de certains de ses partisans, d’occuper le poste de chef d’état-major des FA, Eurico Corvacho est démis de ses fonctions de chef de la Région militaire Nord, les « gonçalvistes » sont mis en minorité au sein du Conseil de la Révolution, perdant 9 conseillers, les conseillers du « groupe des 9 » sont réintégrés, le nouveau sixième Gouvernement est un net virage à droite. Seule consolation, la Marine réélit l’amiral Rosa Coutinho au Conseil de la Révolution, mais les deux commandants qui l’accompagnent sont des modérés, tandis que Ramiro Correia[xxiv] est écarté. Le COPCON restent, mais le siège de ce dernier noyau des militaires progressistes disposant encore d’un certain pouvoir, commence. Ce qui ressort du résultat de l’affrontement est un changement substantiel dans le rapport de forces au niveau politique et militaire : dans la direction des trois branches des Forces Armées et dans le gouvernement, il y a maintenant des opposants au cours révolutionnaire. Ce n’était pas considéré par tous, alors, comme la fin, mais cela l’annonçait fortement.
Le nouveau gouvernement est dirigé par l’amiral José Pinheiro de Azevedo, un proche du président de la République. Le MDP et les quelques militaires proches de Gonçalves à qui on le propose (Costa Martins, Fabiao) refusent d’y participer. Le PCP, lui, reste dans le gouvernement, mais il y est ultra minoritaire. Melo Antunes et Vitor Alves sont récompensés de la manœuvre du Groupe des Neuf par un portefeuille, le PS a 5 ministres et le PPD 3.
Pourtant, il y avait un mouvement de masse prêt à se battre pour ce qu’il avait gagné. La « contre-offensive des luttes populaires », comme l’appellera le PCP, sera forte et prolongée, mais elle représente déjà, malgré sa capacité de mobilisation entre septembre et novembre, un processus clairement défensif face à « l’avancée de la réaction » et à l’imminence d’un coup d’État militaire, préparé par le « groupe des 9 », surtout depuis le nettoyage de l’été du 19 septembre. Les mobilisations importantes de cette période, en général, ne posaient pas la question de la prise du pouvoir : elles récupéraient les positions perdues (la démission de Corvacho, la désactivation de la Vème division, les attentats…), elles dénonçaient les plans politico-militaires, offensifs, du camp contre-révolutionnaire, bref, elles étaient sur la défensive et tentaient de conserver ce qu’elles avaient obtenu.
 
Revers final : le 25 novembre 1975
L’histoire officielle nous dit que certains militaires « d’extrême gauche », selon la terminologie officielle, auraient tenté un coup d’État le 25 novembre, lequel aurait échoué grâce à la riposte organisée par Ramalho Eanes au nom des Neuf ; le président Costa Gomez, avec l’aide de Rosa Coutinho et de Melo Antunes ayant pu éviter tous les affrontements.
La réalité fut toute autre.
Le 12 novembre, des milliers de travailleurs du bâtiment encerclent le palais de Sao-Bento, siège de l'Assemblée constituante et résidence officielle du premier ministre, et qui revendiquaient la signature d'un contrat collectif de travail. Dans la nuit du jeudi 13 au vendredi 14 novembre, le gouvernement portugais cède aux exigences des grévistes au bout de trente-six heures de siège. L'amiral Pinheiro de Azevedo, qui refusait de négocier aussi longtemps qu'il serait séquestré, a fini par accepter toutes les revendications : augmenter de 44 %, à partir du 27 novembre, les salaires des ouvriers du bâtiment ; ouvrir une enquête sur le ministre du travail capitaine Tomas Rosa, et de son secrétaire d'État, M. Marcelo Curto, dirigeant du parti socialiste ; enfin, créer une commission mixte comptant des représentants des syndicats, chargée de définir une nouvelle politique pour ce secteur en crise, qui emploie plus de cinq cent mille travailleurs.
Les PCP et les travailleurs en lutte incriminent ensuite le ministre de la communication sociale qui avait mis fin, la veille, aux fonctions de deux administrateurs, proches du parti communiste, de l'agence de presse ANOP parce qu'ils n'assuraient pas « la rigueur et l'objectivité de l'information ». La commission des travailleurs de l'agence s'est déclarée solidaire des administrateurs.
Ce furent les derniers feux de la révolution. Les administrateurs furent provisoirement réintégrés, mais la social-démocratie et la réaction décidèrent de hâter le moment de la fin. Déjà suspendu de la direction du COPCON, en passe d’être dissout, Otelo de Carvalho est démis de ses fonctions de commandant de la région militaire de Lisbonne par le Conseil de la Révolution et remplacé par Vasco Lourenço, une des Neuf. Ayant contribué à la chute de Gonçalves, il subit le même sort que Billaud-Varenne et Collot d’Herbois dans la France révolutionnaire, alliés aux réactionnaires le 9 Thermidor pour faire tomber Robespierre et déportés à la Guyane deux mois après, par leurs alliés. Le groupe des Neuf, et encore moins le PS et la droite, ne voulaient pas plus de lui que des militaires proches du PCP.
Cette mise à l’écart déclencha les événements du 25 novembre.
Les parachutistes et les unités COPCON de la Région militaire de Lisbonne (RML) avec le soutien de certains secteurs syndicaux liés au PCP, et d’une partie des gauchistes organisent une  défense désespérée en réponse soit tardivement au limogeage du dernier gouvernement révolutionnaire, soit, plus majoritairement, à celui d’Otelo de Carvalho. Des bases aériennes, notamment celle de Tancos, certains points stratégiques de la capitale, de la RTP (Radio Télévision Portugaise) et de la Radiodiffusion nationale (EN) sont occupées. Les RALIS, régiment d’artillerie commandé par une des acteurs majeurs du 25 avril, le major Diniz De Almeida, sont de la partie, contrôlent certains accès à Lisbonne. Tout cela est mal organisé. Durant toute la journée, Otelo de Carvalho est invisible, il ne se mouille pas.
Ce fut le prétexte tant attendu pour déclencher un véritable contre-coup d’État militaire. Eanes, à la manœuvre, envoie en première ligne le colonel réactionnaire Jaime Neves[xxv] et son régiment de commandos d’Amadora. Le Régiment des commandos a maîtrisé une à une les unités rebelles, sans combat, à l’exception du bref affrontement dans la caserne de la police militaire. Neves, qui se fera connaître aussi en faisant exploser avec ses hommes les amplificateurs de son de Radio Renaissance, appartenant à l’Eglise, mais occupée par ses travailleurs et des sympathisants, dernière voix des révolutionnaires gauchistes, abandonnée par le COPCON, est un anticommuniste notoire, qui le 31 juillet, à la demande et avec le soutien d’Otelo, le soi-disant pur révolutionnaire, a repris sa caserne alors que des militaires du PCP ou proches l’avaient destitué et avaient occupé les locaux le 31 juillet 1975.
De son côté, le président Costa Gomes a tout fait pour éviter les affrontements. Quand-au groupe des Neuf, il a fait ce qu’il fallait pour peser sur les PCP et ses amis militaires. La facilité surprenante avec laquelle, les soi-disant putschistes commencent à se rendre, l’absence de soutien clair des sphères gauchistes, et surtout l’intervention télévisée de Melo Antunes (seuls le général Costa Gomes et trois dirigeants des Neuf ont pu y parler) pèsent sur la direction du PCP. Melo Antunes a voulu réagir aux pressions visant à interdire le Parti communiste, venues des militaires soutenant Eanes et des partis politiques officiels, PS et PPD notamment. A la télévision, il a défendu le droit du PCP à l'existence continue en tant que partie intégrante de la démocratie portugaise. Cet acte lui a valu des ennemis tout au long de sa vie, mais a également suscité une grande admiration pour son courage. Et surtout, avec les discussions plus secrètes menées par Costa Gomes, notamment avec Rosa Coutinho, il a déterminé la position finale du PCP, surtout après que les quelques centaines de personnes qui soutenaient les militaires en révolte se sont dispersées et que leurs chefs militaires se sont disciplinés et ont rejoint le palais de Belém.
Alvaro Cunhal et la direction du PCP consultent les unités militaires du COPCON qui ont gardé des liens avec eux, et mesurant la situation et voulant de ne pas tout perdre, décident d’arrêter l’élan des fusiliers marins, qui voulaient se lancer dans l’aventure, par l’intermédiaire de Rosa Coutinho. Cette unité, acquise aux Communistes, était la seule force capable d’affronter les commandos. Cela entraîne la démobilisation de l’Intersyndicale et des comités de défense révolutionnaire. Le PCP n’avait certes pas la main, et il ne s’agissait pas de mettre en péril le parti dans des aventures, quelle que soit la sympathie éprouvée pour les militaires « purs » du 25 novembre, par ceux qui étaient proches du PCP et les travailleurs qui s’en revendiquaient. La manœuvre des sociaux-démocrates et des réactionnaires était trop évidente et le silence de Carvalho confirmait qu’il s’agissait d’un piège, organisé techniquement par Eanes et politiquement par Soares et Lourenço, dans lequel le PCP ne tomba pas.
Néanmoins, la troisième défaite était désormais définitive pour le processus révolutionnaire. Considérer cette radicalisation terminale, presque désespérée et sans direction claire, comme le « moment insurrectionnel » ou « l’assaut final » contre le pouvoir d’État, comme l’ont dit la plupart des media à l’époque, en France comme au Portugal, est une approche qui n’a pas grand-chose à voir avec la réalité. Le Monde du 28 novembre 1975 écrit à ce sujet : « Dès le départ, en effet, l'action engagée par le régiment de parachutistes de Tancos est apparue singulière. Isolée, elle était absurde ; soutenue, elle risquait, en échouant, de compromettre ses partisans. L'appui très limité et désordonné fourni par le Ralis et par la police militaire, la prise de contrôle provisoire - et selon des informations sûres, tout à fait improvisée - de la télévision et des radios par quelques capitaines nostalgiques de la 5e division, prouvent que toute cette affaire a été, soit brisée dans l'œuf dès le début, soit artificiellement provoquée. Dans le premier cas, cela signifierait qu'un maillon essentiel de la chaîne a sauté en route, et ce ne pourrait être qu'à l'échelon supérieur de l'armée, domaine où depuis deux jours le secret le plus absolu est de rigueur. Dans le second, cela conduirait à penser que ces paras, persuadés qu'on ne les laisserait point seuls, se sont retrouvés isolés parce que justement cela était prévu. ». Cet extrait révèle à la fois la préparation du coup par les contre-révolutionnaires sociaux-démocrates et leurs bras armés, Eanes et son sbire Neves, et la duplicité d’Otelo de Carvalho.
 
Les conséquences du 25 novembre
Les résultats ne se sont pas fait attendre. Les responsables du soi-disant coup d'État manqué, cinquante et un officiers et sous-officiers, parmi lesquels le commandant Dinis de Almeida, commandant du RALIS, ont été arrêtés et transférés à Porto. Le COPCON sera dissout et Otelo de Carvalho sera arrêté en janvier et passera 40 jours en prison, ce qu’il fallait de blanchiment pour le faire apparaître, lors des élections présidentielles de 1976, comme le champion de la « gauche radicale » et des acquis d’avril et d’arriver deuxième, devant un autre traître, l’amiral Pinheiro de Azevedo et le candidat du PCP Octavio Pato. Le stratège militaire du 25 novembre 1975, Antonio Ramalho Eanes, fut récompensé de sa victoire par la présidence de la République, soutenu par le PS et tous les partis de droite, il remporta cette même élection présidentielle avec 61,59 % au premier tour.
Le 25 novembre, le vrai coup d’État, d’Eanes et de Soares, ordonne l’arrestation de 118 militaires, licencie 82 travailleurs de la RTP et de l’EN et révoque les administrations et les directeurs de la presse nationalisée, remplacés par des personnes liées au PS et au PSD ou des militaires. Mais contrairement aux souhaits de certains secteurs de la droite et des fascistes, il n’y a pas eu d’arrestations massives de « rouges », d’annulation des libertés publiques, de dissolution de partis ou de fermeture de syndicats ou de leurs publications. Le PCP reste dans le gouvernement provisoire, et la Constitution de 1976 consacre l’objectif du socialisme, l’irréversibilité des nationalisations, la réforme agraire, le contrôle des travailleurs et le rôle des comités de travailleurs.
En même temps, tout en faisant l’économie d’une contre-révolution sanglante, les vainqueurs changeaient les règles du jeu sur deux aspects cruciaux : ils imposaient la consécration de la légitimité électorale sur la légitimité révolutionnaire comme fondement des nouvelles institutions et, surtout, ils liquidaient le MFA, rétablissaient la hiérarchie traditionnelle de l’armée et, en ce sens, annulaient l’alliance essentielle avec ce bras armé dont le mouvement populaire avait disposé au long du processus révolutionnaire. Les Forces Armées redeviennent la colonne vertébrale de la violence légale de l’État.
Les forces conservatrices, les sommets de l'armée et de l'Etat, les chefs du PS et de la droite, ainsi que leurs conseillers des diverses ambassades et organismes internationaux, voulaient cette fois aller jusqu'au bout de l'épreuve de force. Polarisant tout l'affrontement politique autour de Tancos, ils mirent à profit la reddition des parachutistes pour instaurer l'état de siège et le couvre-feu, contrôler les médias, faire démissionner, démettre ou arrêter leurs opposants dans l'armée, dissoudre les unités militaires les plus politisées.
Dans les semaines qui suivirent, on vit la réintégration de militaires compromis dans le putsch de Spinola du 11 mars 1975, le retour d'une partie de la haute bourgeoisie qui avait émigré, le coup d'arrêt aux occupations de terres et l'interdiction de la politique au sein de l'armée. Dès janvier, la gendarmerie tirait sur des manifestants de gauche, faisant des morts et des blessés, et des usines confisquées étaient rendues à leurs propriétaires « légitimes ».
 
En conclusion
Constitué dès juillet 1975, le camp politico-militaire, dont le noyau est constitué par les « Neuf » et le PS, s’oppose dès lors au camp révolutionnaire divisé et lui dispute, pied à pied, les postes clés de l’appareil militaire et du gouvernement, première étape pour le vaincre sur le plan de la mobilisation sociale. Ce camp est ouvertement soutenu par la droite politique et les capitalistes, par des secteurs maoïstes très anticommunistes qui soulignaient le danger d’un « régime sous la tutelle du PCP » et, plus dans l’ombre, nous le savons mieux aujourd’hui, par les larges branches de l’extrême droite fasciste et terroriste de l’ELP/MDLP et des groupes similaires.
La séquence ouverte par la Révolution de 1974 avait créé une situation où la classe ouvrière pouvait se mobiliser pour son propre compte et tenter de jouer un rôle politique indépendant. Mais elle fut finalement neutralisée. Après Tancos, patrons, grands propriétaires et agents du salazarisme pouvaient rentrer tranquillement au pays. Bien sûr, la normalisation complète allait demander des années. Mais désormais les affaires pouvaient reprendre.
La social-démocratie a joué un rôle clé dans l’arrêt du processus révolutionnaire. Le principal dirigeant du PS, Mario Soares, n’avait-il pas déclaré dès juillet 1975 qu’il était temps de « mettre le socialisme sous la table » ? Clairement, le PS a trouvé suffisamment d’alliés parmi les militaires, alliés subjectifs, certains peut-être à leur corps défendant, comme Melo Antunes et Pinheiro de Azevedo, d’autres en plein accord, comme Ramalho Eanes et Vasco Lourenço et alliés objectifs comme Otelo de Carvalho. Ces gens n’ont pas craint d’utiliser le sulfureux Jaime Neves, auteurs d’exactions au Mozambique durant la guerre coloniale, pour boucler la boucle.
Certains révolutionnaires assagis ou partisans de la démocratie nous disent que l’essentiel a été préservé : la démocratie bourgeoise et le droit de vote. C’est un leurre total quand on sait justement que des élections hâtives ont été le premier coin enfoncé dans le processus révolutionnaire.
D’autres bonnes âmes fustigent le PCP qui, le 25 novembre n’aurait pas appelé à l’insurrection, tantôt parce qu’une alliance avec les gauchistes même authentiques ne lui aurait pas permis de contrôler l’appareil d’État, tantôt au nom de la légende du partage de l’Europe à Yalta qui mettait le Portugal dans la sphère d’influence des USA et interdisait que les communistes puissent y prendre le pouvoir. Tout cela, ce sont les fables anticommunistes habituelles. Lancer l’insurrection le 25 novembre 1975 étant donné le peu de militaires, y compris gauchistes, qui y participaient aurait été du suicide. Le seul résultat qu’Alvaro Cunhal et ses camarades auraient obtenu eût été l’interdiction du parti et la chasse à ses militants, comme aux temps du fascisme.
Le rôle de la social-démocratie au Portugal n’est pas une exception ; partout dans son histoire, elle a été contre-révolutionnaire et tout fait pour empêcher le socialisme ou même un progrès social important. Pour mémoire, entre 1946 et 1951, le PCF et la SFIO avaient la majorité absolue à la Chambre des députés, et, en 1947, le président du Conseil, le socialiste Ramadier, a viré du gouvernement les ministres communistes. Aucune alliance avec ces tenants du Grand Capital ne peut permettre des progrès pour les travailleurs ! Toutes celles et tous ceux qui sautent comme des cabris en criant « La gauche, la gauche », au mieux se trompent, au pire sont des menteurs. Il n’y a pas de chemin commun avec les sociaux-démocrates pour les Révolutionnaires. Ils sont dans l’autre camp, celui des ennemis de classe !!!
Le Parti Révolutionnaire Communistes salue le combat de tous les militants de la Révolution des œillets et du processus révolutionnaire qui a suivi, travailleurs ou militaires, et répond toujours des noms d’Alvaro Cunhal et Vasco Gonçalves.
[i] PAIGC : Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée Bissau et du Cap Vert est un parti marxiste, qui conduisit la lutte de libération nationale dans ces deux pays.
[ii] Amilcar Cabral (1924 – 1973), fut le secrétaire général du PAIGC que le pouvoir fasciste portugais fera assassiner à Conakry, en Guinée, où il est réfugié. Amilcar disait : « Nous ne luttons pas simplement pour mettre un drapeau dans notre pays et pour avoir un hymne mais pour que plus jamais nos peuples ne soient exploités, pas seulement par les impérialistes, pas seulement par les Européens, pas seulement par les gens de peau blanche, parce que nous ne confondons pas l’exploitation ou les facteurs d’exploitation avec la couleur de peau des hommes ; nous ne voulons plus d’exploitation chez nous, même pas par des Noirs ».
[iii] Le MPLA Mouvement Populaire de Libération de l’Angola était un mouvement marxiste qui conduisit la lutte de libération nationale de l’Angola, aux côtés des Cubains. C’est encore aujourd’hui le parti au pouvoir en Angola, mais on peine à distinguer ses références révolutionnaires.
[iv] Le FRELIMO, Front de Libération du Mozambique, fut également un mouvement marxiste qui mena à bien la lutte de libération nationale au Mozambique. Là encore, c’est le parti au pouvoir aujourd’hui dans le pays et il a perdu beaucoup de ses références révolutionnaires.
[v] Diniz De Almeida : lieutenant puis commandant d’un prestigieux régiment d’artillerie, les RALIS, dirigeant historique du MFA, combattant jusqu’au bout pour la révolution, un des acteurs malheureux du vrai coup d’État réactionnaire du 25 novembre 1975. Une authentique figure de la Révolution, trouvant parfois le PCP un peu trop calme, mais jamais anticommuniste et soutien des gouvernements de Gonçalves.
[vi] Vasco Lourenço : Capitaine puis lieutenant-colonel, membre de la direction du MFA, il n’est pas présent le 25 avril. Il fait partie des militaires proches du PS qui constituent le Groupe des Neuf, opposé à la poursuite du processus révolutionnaire. Il joue un rôle essentiel lors de la journée contre-révolutionnaire du 25 novembre 1975 en étant commandant de la région militaire de Lisbonne à la place d’Otelo de Cravalho, remplacement qui déclenche les actions des militaires progressistes. Il applique alors le plan de Ramalho Eanes pour neutraliser tous les opposants.
[vii] Otelo de Carvalho : Capitaine devenu général de brigade, il joua un rôle essentiel le 25 avril, dont il semble avoir été un des concepteurs. Par la suite, il devient une personne importante dans la direction du MFA et dans le Conseil de la Révolution. Au moment de l’affrontement entre les militaires communistes et les sociaux-démocrates du Groupe des Neuf, il prend objectivement partie pour ces derniers et participe à l’éviction de Vasco Gonçalves. Opportuniste, mais piètre politique, il ne voit pas que cette éviction fait de lui la prochaine cible. Par ailleurs, le 25 novembre, alors que ses amis politiques se lèvent pour protester contre son éviction de la direction de la région militaire de Lisbonne, on ne le voit pas de la journée. Son arrestation le relégitimise. Une figure bien plus controversée que ne le disent ses hagiographes, un révolutionnaire de papier !
[viii] Vasco Gonçalves : Colonel, devenu général, participant de la révolution d’avril, il est premier ministre du 18 juillet 1974 au 19 septembre 1975, dirigeant quatre des six gouvernements provisoire (du 2ème au 5ème). Proche des communistes, il met en place avec ses ministres, les nationalisations et la réforme agraire. Il est fragilisé, comme tous les révolutionnaires, par l’élection constituante hâtive d’avril 1975. Dès lors, principale cible de la campagne anticommuniste des partis bourgeois (PS et PPD principalement, mais les organisations fascistes clandestines aussi). Le groupe des Neuf prépare et obtient son renvoi le 19 septembre 1975. Le MFA refuse qu’il devienne chef d’Etat-Major des armées, et il finit par être renvoyé de l’armée. Une grande et belle figure de la Révolution !
[ix] Antonio de Spinola : général de l’armée portugaise, réactionnaire mais opposé à la poursuite de la guerre coloniale dont il comprend l’échec patent. Il soutient la Révolution des œillets et se voit confier le pouvoir par le MFA au travers d’une Junte de Salut National qu’il dirige. Il est désigné ensuite par cette junte comme président de la République. Opposé à la poursuite du processus révolutionnaire, il démissionne en septembre 1974. Il tentera un coup d’État manqué en mars 1975 et s’exilera en Espagne. Il sera blanchi en 1987 par le président de la République de l’époque, le socialiste Mario Soares.
[x] Carlos Galvao de Melo : colonel devenu général, c’est un fidèle de Spinola. Membre de la Junte de Salut National, il en démissionne avec Spinola le 28 septembre 1974 et est brièvement emprisonné le 29. Il se tient à l’écart des manœuvres de son mentor et sera député du CDS (parti de droite recyclant les fascistes) à l’assemblée constituante, puis candidat indépendant à l’élection présidentielle de 1980.
[xi] Francisco Costa Gomes : général opposé au fascisme et en particulier à la poursuite de la guerre coloniale, il est membre de la Junte de Salut National et fait partie des progressistes en son sein. Devenu président de la République après la démission de Spinola, il soutient le processus révolutionnaire et les différents gouvernements de Vasco Gonçalves, y compris après les élections constituantes et, ensuite le retrait du PS. Il résiste un temps aux pressions, mais finit par limoger Vasco Gonçalves en septembre 1975. Le 25 novembre, il fera tout pour empêcher les affrontements armés entre tendances du MFA et pour empêcher la mise à l’écart du PCP. Bien qu’il ne fût pas un révolutionnaire, il demeure une figure noble de la révolution.
[xii] José Antonio Costa Martins : Capitaine d’avril, il s’empara le 25 avril de l’aéroport de Lisbonne. Proche des communistes, il entre dans le premier gouvernement Gonçalves comme ministre du travail. Il le restera jusqu’à la révocation du général. Ensuite, il refuse de participer au gouvernement suivant, dirigé par Pinheiro de Azevedo. Participant à la journée du 25 novembre 1975, il s’exile à Cuba puis en Angola. Il est dégradé et chassé de l’armée. Lorsque son retour est permis, il remportera son procès et sera réintégré dans l’armée avec le grade de colonel.
[xiii] José Pinheiro de Azevedo : Commandant de marine, promu amiral après le 25 avril et chef d’État-Major de la Marine. A ce titre, il est membre du Conseil de la Révolution. Proche du président Costa Gomes, il apparaît comme une figure de gauche. Pourtant, lorsqu’il prend la tête du VIème gouvernement provisoire, en septembre 1975, après le limogeage de Vasco Gonçalves, il se révèle totalement favorable à la normalisation et est très proche du Groupe des Neuf. Le 25 novembre, il est absent du devant de la scène, laissant Costa Gomes et Melo Antunes jouer les premiers rôles. Candidat indépendant à l’élection présidentielle de 1976, il recueille 14 % des voix. Sa dérive droitière se poursuit ensuite puisqu’il devient président du parti de la démocratie chrétienne (1977). Une belle figure de traître !
[xiv] Antonio Rosa Coutinho : Commandant de marine, promu amiral le 25 avril 1974, il est membre de la Junte de Salut National puis du Conseil de la Révolution. Proche des Communistes, il est baptisé « l’amiral rouge ». Nommé haut-commissaire en Angola en octobre 1974, il joue un rôle essentiel dans la négociation pour l’indépendance, conclue par les accords d’Alvor (janvier 1975) et pour la défense de l’intégrité territoriale de l’Angola. Il est maintenu au Conseil de la Révolution après la chute du général Gonçalves (élu par les militants du MFA de la Marine) mais se trouve isolé au milieu des sociaux-démocrates en tous genres. Il joue un rôle discret le 25 novembre lorsque Alvaro Cunhal et le PCP, voyant que la révolte des militaires ne prend pas, décident de sauver les meubles et de préserver les fusiliers marins, qui n’interviendront finalement pas dans les événements en cours. Après l’élection présidentielle de 1976, il cesse de jouer un rôle politique.
[xv] Adelino De Palma Carlos : Professeur d’université et bâtonnier de l’ordre des avocats, il est nommé premier ministre par Spinola le 17 mai 1974 et dirige le premier gouvernement provisoire. Il propose la tenue d’une élection présidentielle en 1974 et d’une élection constituante en 1976. Le MFA, le PCP, le MDP et le PS refusent ce calendrier, alors, il démissionne. Une figure bourgeoise des débuts de la Révolution.
[xvi] Francisco Sa Carneiro : Il fut un des trois fondateurs et le secrétaire-général du Parti Populaire et Démocratique (devenu depuis le Parti Social-Démocrate), un parti situé clairement à droite, en mai 1974. Ministre du premier gouvernement provisoire, député à l’Assemblée Constituante, il soutient les manœuvres visant à arrêter le processus révolutionnaire. En 1979, il fonde l’Alliance Démocratique (coalition PSD/CDS) qui remporte les élections législatives extraordinaires en 1979, puis ordinaires en 1980. Il devient premier ministre et meurt en 1980 dans un accident d’avion.
[xvii] Alvaro Cunhal : Secrétaire-général du Parti Communiste Portugais, qui fut l’acteur principal de la résistance au fascisme, il s’évade de prison et s’exile à Prague en 1960. De retour au Portugal quelques jours après le 25 avril, il anime le processus révolutionnaire en s’appuyant sur les travailleurs en lutte, notamment les ouvriers de Lisbonne et du sud du pays. Ministre sans portefeuille des cinq premiers gouvernements provisoires, il ne participe pas personnellement au gouvernement de Pinheiro de Azevedo, bien que son parti y soit représenté par un ministre. Le PCP et lui ont soutenu les gouvernements de Vasco Gonçalves et, après sa chute, soutient les luttes qui peuvent sauver ce qui peut l’être des acquis de la Révolution, désormais terminée. C’est le même esprit qui l’anime le 25 novembre 1975, où il hésite jusqu’au bout et finit par ne pas apporter son soutien aux militaires révoltés dont le nombre est manifestement trop peu nombreux, et ce d’autant plus qu’il a compris la manœuvre de Ramalho Eanes visant à provoquer les « radicaux » du MFA. Un grand militant communiste qui a fait ce qu’il a pu, dans des conditions difficiles, face à des pressions énormes, pour sauver ce qui pouvait l’être du processus révolutionnaire.
[xviii] Francisco Pereira de Moura : Professeur d’université, il est dirigeant du Mouvement Démocratique Populaire, un parti de gauche allié du PCP. Il est ministre sans portefeuille du gouvernement De Palma Carlos, puis du troisième gouvernement Gonçalves, ensuite ministre des Affaires sociales du quatrième. Il refuse, avec son parti, de participer au gouvernement de Pinheiro de Azevedo après la destitution de Vasco Gonçalves. Après le 25 novembre, devant la normalisation et l’arrêt du processus révolutionnaire, il se retire de la vie politique. Une belle et noble figure progressiste.
[xix] Mario Soares : Opposant politique modéré au fascisme, exilé en France, il participe, en 1973 à la fondation du Parti Socialiste Portugais dont il devient le secrétaire-général. Ministre des affaires étrangères des quatre premiers gouvernements provisoires, il démissionne par opposition à la poursuite du processus révolutionnaire en juillet 1975, processus qu’il n’aura de cesse de combattre et de démanteler lorsque, de 1976 à 1978 et de 1983 à 1985, il sera premier ministre. Il est ensuite élu président de la République en 1986 puis réélu en 1991. L’archétype du social-démocrate, un homme de la Bourgeoisie qui porte une des responsabilités les plus grandes dans l’arrêt du processus révolutionnaire.
[xx] Ernesto Melo Antunes : Capitaine d’avril, il joua surtout un rôle dans la structuration du MFA et l’élaboration de son programme dont il fut le principal rédacteur. Ministre sans portefeuille des 2ème et 3ème gouvernements provisoires, il sera ensuite ministre des Affaires étrangères dans le 4ème (l’avant dernier de Vasco Gonçalves) et dans le 6ème (celui de Pinheiro de Azevedo). Bien qu’attaché à l’unité du MFA et des partis de gauche, il est néanmoins assez vite partisan de l’arrêt du processus. Le plan de réformes socio-économiques dont il dirige la rédaction comporte peu de nationalisations et il est abandonné au lendemain du coup d’État manqué de Spinola, le 11 mars 1975.  Il intègre pourtant, à la suite, le Conseil de la Révolution. Son acte politique majeur est la rédaction, en août 1975, du document des Neuf, qui, sous prétexte de refuser à la fois le socialisme réel et la social-démocratie ouest-européenne est un manifeste pour un coup d’arrêt du processus révolutionnaire. Probablement dépassé par ce qu’il avait lancé et par les manœuvres de Ramalho Eanes, il interviendra le 25 novembre pour empêcher l’interdiction du PCP. Un social-démocrate honnête, si tant est qu’il en existe, dont l’histoire réécrite fait le « père » de la révolution. Bref, quelqu’un qui n’était pas dans le camp des travailleurs.
[xxi] Vitor Alves : capitaine d’avril, d’abord proche d’Otelo de Carvalho, responsable de l’information dans deux gouvernements dirigés par Vasco Gonçalves, il bascule dans le Groupe des Neuf à l’été 1975, et finira membre du parti créé par Ramalho Eanes, après ses deux mandats présidentiels. Un homme qui joua un rôle important dans la révolution des œillets et fut ensuite largement utilisé par les contre-révolutionnaires.
[xxii] Eurico Corvacho : général, proche de Vasco Gonçalves et des communistes. Commandant de la région militaire du Nord (Porto), il dénonça la constitution de groupes clandestins fascistes dans sa région. Il fut donc limogé lors de la destitution de Vasco Gonçalves. Un bel exemple de militaire progressiste.
[xxiii] Antonio Ramalho Eanes : Capitaine, devenu colonel, puis général après le 25 novembre, il est peu présent lors de la Révolution le 25 avril. Il sort de l’ombre au moment du mouvement des Neuf, qu’il rejoint assez vite, en août 1975. Après la destitution de Vasco Gonçalves, en septembre, il est chargé d’organiser un plan militaire de coup d’État éventuel. Il semble être à l’origine de la décision du Conseil de la Révolution de destituer Otelo de Carvalho de son poste de commandant de la région militaire de Lisbonne, pour le remplacer par Vasco Lourenço, une des Neuf. Cet événement, comme c’était prévisible, déclencha la colère des militaires proches d’Otelo et des syndicalistes et militaires proches de Gonçalves, qui voyaient là, avec raison, l’acte définitif de l’entrée en contre-révolution. Il joua un rôle essentiel, le 25 novembre 1975, dans la neutralisation des mutins, et ensuite dans le récit officiel qui présenta les réactions des militaires progressistes comme une tentative de coup d’État, alors que le vrai coup d’État, très bien organisé, fut le sien. Il n’hésita pas à utiliser le sulfureux Jaime Neves et son régiment de commandos pour faire taire les gauchistes maîtres de Radio Renascenca et pour désarmer et arrêter les protestataires du 25 novembre. Il en fut récompensé par les partis bourgeois (PS, PPD et CDS) qui en firent leur candidat à l’élection présidentielle de 1976. Il fut réélu en 1980 avec le soutien du PS, et de tous les militaires sociaux-démocrates, contre le candidat de droite, le général Soares Carneiro. Ensuite, il créa son parti politique, un parti centriste, le PRD, Parti Rénovateur Démocratique. Plein d’ambition personnelle, il fut le prototype de l’opportuniste au service de la contre-révolution.
[xxiv] Ramiro Correia : Lieutenant de vaisseau puis commandant de la Marine, participant du 25 avril, il dirigea la 5ème division, instituée au sein du COPCON par Vasco Gonçalves, chargée de l’information et de la propagande. Membre, à ce titre, du Conseil de la Révolution depuis sa création, il fut un temps une sorte de lien entre Vasco et Otelo de Carvalho. Lors de la chute de Vasco Gonçalves, la 5ème division est dissoute et Correia n’est pas réélu par les Marins du MFA au conseil de la Révolution. Bref, il tombe avec Vasco, auquel, contrairement à Otelo, il se solidarise. Encore une noble figure de la Révolution.
[xxv] Jaime Neves : Major, il est commandant de l’ensemble des unités de commandos portugais au Mozambique, le 16 décembre 1972, lorsque la 6ème compagnie organise le massacre de Wiryamu, causant la destruction de 5 villages et la mort d’un tiers des 1350 habitants de l’endroit. On sait qu’un agent de la PIDE joua un rôle dans ce massacre, mais on ne sait pas quelle fut la responsabilité de Neves ; en tout cas, il ne prit aucune sanction contre les auteurs du massacre. A noter aussi que la compagnie 20-45, qu’il continuait de diriger, se rebella et refusa de déposer les armes après la déclaration de la fin de la guerre coloniale. On ne lui connaît pas de prise de position opposée au fascisme et il ne fut pas présent le 25 avril 1974. C’est Ramalho Eanes, qui le sortit de l’ombre en novembre 1975, avec le régiment de commandos qu’il dirigeait. Il fut d’abord chargé de faire sauter les émetteurs de Radio Renascenca, tenue par des militaires progressistes, qui dut donc cesser d’émettre. Puis il organisa et joua le premier rôle dans la répression, le 25 novembre, des actions de protestations des militaires proches d’Otelo et de Vasco Gonçalves. En particulier, c’est lui qui ontint la reddition du RALIS, le régiment d’artillerie, et procéda à l’arrestation de son commandant, Diniz de Almeida. Devenu lieutenant-colonel en juillet 1975, il fut amplement remercié de ses services : Mario Soares, président de la République, le promut colonel en 1995, alors qu’il était depuis 1981 ; sur proposition de Ramalho Eanes, qui n’avait pas oublié son collaborateur, il est promu général de division en 2009, malgré les protestations du PCP, et même de Vasco Lourenço. Ces promotions et le rôle qu’y jouèrent Soares et Ramalho Eanes sont le symbole de la volonté contre-révolutionnaire des sociaux-démocrates, prêts à utiliser n’importe qui, même un militaire colonialiste, pour arrêter le processus révolutionnaire. Neves et une des images de la Contre-Révolution portugaise.
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