Gantry 5

 

À la lire superficiellement la politique de l’état turc semble assez contradictoire voire incompréhensible. Ainsi, la Turquie est un pilier important de l’OTAN en méditerranée et selon le journal «The times of Israël». L'armée américaine y stockerait environ 50 bombes nucléaires tactiques à Incirlik dans le sud de la Turquie, à 110 km de la frontière avec la Syrie.

Dans le même temps, la Turquie s’équipe en missiles russes antiaériens. En Syrie, elle joue un rôle militaire actif en occupant une partie du territoire syrien et en soutenant des groupes armés qui guerroient à son profit contre le pouvoir central syrien allié des russes. On la retrouve en Libye, très engagée auprès du gouvernement de Tripoli contre celui du maréchal Haftar au Sud soutenu par la Russie le quatuor arabe et...la France. Ces engagements n’ont rien d’idéologique mais tout à voir avec la volonté du pouvoir turc de s’imposer comme une puissance régionale prenant part pour ses groupes capitalistes au pillage des richesses minérales de la région et tout particulièrement en Syrie et en Libye et négociant au plus offrant sa situation stratégique en Méditerranée. Puissance de deuxième rang comparée à celles qui s’affrontent sur le terrain du Proche et Moyen-Orient elle tente selon le Parti Communiste de Turquie (PCT) de s’inscrire dans les mailles du filet du système impérialiste : « La politique pragmatique de l'AKP, basée sur des manœuvres quotidiennes dans les mailles du système impérialiste et ses oscillations entre les puissances impérialistes, perd du terrain. » car ajoute le PCT : « Le pays connaît une crise économique, avec des niveaux de dette intérieure et extérieure sans précédent. Erdoğan essaie de restaurer son pouvoir de négociation politique en intimidant d'autres pays, comme des actions contre la France en Libye, des actions militaires sur le territoire syrien ou des conflits nationalistes contre la Grèce; mais il est évident que ce pouvoir est beaucoup trop limité pour effrayer les grandes puissances ou les alliances impérialistes, les États-Unis, l'UE, l'OTAN et d'autres ».
On retrouve la même grille d’analyse pour la présidente de Geopragma : Caroline Galactéros, qui indique : « le rôle singulier auquel se prête la Turquie s’apparente à celui d’un véritable «proxy américain dans la région». Si elle ne conteste pas qu’Ankara jouisse d’une certaine indépendance envers Washington, la montée en puissance turque reste, selon elle, permise par son allié américain dans le but de contrer l’influence russe, grande ennemie de l’Otan. Or, les positions et intérêts turcs divergent trop souvent avec celles d’autres partenaires de l’alliance. C’est actuellement le cas vis-à-vis de la France et l’Union européenne. En Méditerranée orientale, non loin des côtes libyennes, la France et la Turquie, deux membres éminents de l’alliance, se sont opposées tout en revendiquant chacune avoir agi sous bannière de l’Otan.»
Tout cela nous ramène à la question de fond : celles des intérêts du capitalisme turc. La grande bourgeoisie turque et ses alliés ont besoin d’un état fort muselant les oppositions et tout particulièrement la classe ouvrière. Pour cela rien de mieux que l’utilisation de la religion pour cimenter l’union nationale. L’AKP de Erdoğan qui dirige la Turquie depuis de nombreuses années et qui est l’expression du patronat turc entend rallier la population sur ce terrain. L’AKP n’est pas la seule, l’ensemble des partis représentants les fractions de la bourgeoisie turque sont unis autour de cette problématique. C’est ce que rappelle le parti Communiste de Turquie à propos de la transformation de Sainte Sophie en mosquée : « Le débat actuel sur la transformation de Sainte-Sophie en mosquée a été réintroduit par İYİP (Le Bon Parti est une formation de type fasciste), partenaire du CHP social-démocrate membre de l'internationale socialiste et membre associé du Parti Socialiste Européen dans l'alliance parlementaire d'opposition, au moyen d'une proposition au parlement... Cette proposition a reçu l'appui de nombreux membres des partis d'opposition, tels que l'ancien candidat présidentiel du CHP, Muharrem İnce et les maires actuels des grandes villes, qui sont affiliés à l'opposition. Elle n'a pas du tout été critiquée par l'opposition depuis le début. Au contraire, certains représentants de l'opposition, dont les députés du HDP pro-kurde, ont exprimé leur enthousiasme à prier sous le toit de Sainte-Sophie. »
La classe capitaliste de Turquie utilise la religion pour maintenir et conforter sa domination de classe. Étant donné la profonde crise économique dans le pays, la pauvreté, le chômage, le désespoir et l'énorme mécontentement des travailleurs, la classe capitaliste essaie d'éviter que la politisation des travailleurs prenne de l'ampleur. L’affaire de Sainte Sophie est donc essentiellement politique elle est une affirmation de la volonté de classe de la bourgeoisie turque d’imposer sa dictature sous couvert de religion y compris en remettant en cause les valeurs progressistes de la révolution bourgeoise de 1923, à savoir le républicanisme, la laïcité et la modernité.

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