N° 928 04/05/2025 Pourquoi la Palestine ?
Parmi les défenseurs de la Résistance palestinienne ou les gens qui expriment simplement leur solidarité avec un peuple victime d’un génocide, il n’est pas rare de trouver une femme ou un homme à qui quelqu’un a posé cette question récurrente sur les véhicules de l’idéologie dominante : « Mais pourquoi parles-tu toujours de la Palestine ? Et pas du Soudan, du Congo, voire de la Birmanie ou de l’Ukraine ? ».
Il s’agit souvent de sionistes ou de pro-israéliens qui se moquent comme d’une guigne du sort des populations du Kivu, au Nord-Est du Congo, ou du Darfour, au centre du Soudan. L’inénarrable Bernard-Henri Lévy est coutumier du fait, et n’hésite pas à évoquer le montage du faux « génocide des Ouïghours », pour lequel la mission de l’ONU a conclu à sa non-existence[1].
Mais il arrive aussi que des gens sincères posent la question. On peut aussi évoquer l’indifférence majoritaire dans les milieux syndicaux, y compris les plus revendicatifs pour cette question palestinienne. Il est clair que les vrais enjeux sont dissimulés, par les partisans à un degré ou à un autre de l’entité sioniste, par les indifférents, mais aussi par une bonne partie de celles et ceux qui croient défendre la Palestine sans en éclairer les vrais enjeux.
La question n’est donc pas anodine, qu’est-ce qui fait la spécificité de la Palestine ? Qu’est-ce qui lui donne cette importance pour les militants révolutionnaires et, en particulier, pour le Parti Révolutionnaire Communistes ?
En Palestine, de quelle guerre s'agit-il ?
Évidemment, la simple humanité conduit à se préoccuper du sort des Gazaouis, que l’armée d’occupation bombarde incessamment, qu’elle attire vers des distributions de nourritures qui sont autant de pièges où ils se font fusiller, dont elle rase les maisons, les édifices publics, pour effacer son passé, qu’elle affame et prive de soins. Le premier génocide documenté en direct de l’Histoire humaine, ce n’est pas rien. Cela seul suffirait à prendre parti pour les Palestiniens opprimés et massacrés.
Mais il existe d’autres raisons. Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, la Palestine n’est pas un lieu d’un affrontement planétaire entre les partisans d’un monde unipolaire (les impérialistes occidentaux) et ceux d’un monde multipolaire (d’autres impérialistes, comme la Chine et la Russie). De même la Résistance palestinienne n’est pas, pour nous, une composante d’un mythique axe de la Résistance, mêlant d’authentiques organisations de résistance nationale à des États impérialistes ou des puissances régionales défendant leurs propres intérêts.
Le fond du problème, c’est la situation coloniale
. C’est ce qui distingue la situation en Palestine d’autres théâtres de guerre où les puissances impérialistes s’affrontent militairement indirectement (Soudan et Congo) ou directement (Ukraine). Nous notons d’ailleurs que les critiques très souvent mal intentionnés de la parole de défense des Palestiniens ne nous demandent jamais pourquoi nous ne parlons pas plus de la Nouvelle-Calédonie ou du Sahara-Occidental ; tout simplement parce que leur but est de tout mélanger, de mêler des conflits dont le sens est totalement différent, de cacher les vrais enjeux, de cacher le fait colonial. En ce sens, même un discours trop général sur la Paix peut se révéler ambigu. La Palestine, c’est un enjeu particulier et unique !
Ce qui rapproche la Palestine de la Kanaky ou du Sahara, c’est bien le caractère colonial. Dans les trois cas, il y a un peuple colonisé et un État colonial, et le peuple colonisé résiste y compris par les armes et cherche à se libérer de l’oppression coloniale.
Le caractère particulier d'une colonisation de substitution
Cette colonisation revêt plusieurs aspects particuliers. Au Sahara, le roi et la Bourgeoisie marocaine exploitent les Sahraouis (du moins ceux qui ne sont pas en exil ou dans la lutte armée). En Kanaky, la politique de l’État capitaliste de France a consisté en organisant des migrations (d’Européens, mais aussi de Wallisiens) de manière à rendre la population autochtone minoritaire sur son propre sol, mais il s’agit aussi, pour les capitalistes du caillou, d’exploiter les Kanaks, notamment en les faisant travailler dans les mines de nickel.
En Palestine, ce n’est pas le but des colons. Il s’agit d’une colonisation de substitution. Le but n’est pas d’exploiter les Palestiniens, mais de les chasser ou de les tuer. En ce moment, c’est la seconde option qui est vraiment en cours, l’éradication des Palestiniens de Gaza. Leur Résistance, sous toutes ses formes, qui fait l’admiration de nombre de peuples et de travailleurs dans le monde, est un élément que les colons sionistes et leurs dirigeants n’avaient pas prévu. De leur point de vue, donc, il ne reste plus que le massacre, le génocide, pour celles et ceux qui refusent obstinément de partir, quitte à en mourir.
Dans l’histoire, cette colonisation de substitution ou de peuplement est similaire avec celle des émigrants européens aux USA, chassant et massacrant les Amérindiens et parquant les derniers dans des réserves, à l’instar de ce que les sionistes prévoient à Gaza : des camps de concentration pour les derniers survivants récalcitrants. Il existe tout de même, là encore une différence entre ces deux génocides. Outre que la colonisation en Amérique du Nord est de nature précapitaliste, sauf à la fin, le génocide s’est fait, si l’on peut dire, en marchant, de manière empirique.
Le sionisme, une idéologie colonialiste de substitution
En Palestine, le génocide ou a minima le « nettoyage ethnique » a été prévu, il a été pensé, il relève d’une idéologie totalement en phase avec la colonisation de substitution, le sionisme. Tout ce qui se fait en ce moment a été théorisé et planifié depuis la fin du XIXème siècle et a commencé avec les migrations d’après la première guerre mondiale où les émigrants européens ont chassé des terres qu’ils cultivaient les Palestiniens, après que des banquiers les aient achetées pour eux à des propriétaires rentiers, hobereaux arabes ou, le plus souvent, ottomans.
Il se trouve que l’idéologie sioniste a été inventée par des Juifs. Pourtant, cette question est subsidiaire. Nombre de Juifs dans le monde sont antisionistes, au moment de l’émergence du mouvement, il était très peu suivi en Europe, contrairement aux organisations se réclamant du socialisme comme le Bund. Elle serait portée par des Bouddhistes ou des Assyriens que cela ne changerait rien à l’affaire. Si les sionistes instrumentalisent à l’envi le génocide des Juifs par les nazis, il est important de rappeler que les milices armées qui ont créé unilatéralement l’État colonial baptisé « Israël » n’avaient rien à voir avec les victimes ou les rescapés de l’holocauste, elles étaient composées d’émigrants européens présents en Palestine depuis le début du XXème siècle ou bien les années 20 ou 30 et n’avaient jamais connu le nazisme.
Un État colonial au service de l’impérialisme occidental
Le plus significatif, à l’image de toute la colonisation tardive, de la période capitaliste, est que ces émigrants venaient d’Europe. Il y a eu d’autres colonisateurs, sous l’Antiquité, au Moyen Age, ou à l’Époque moderne, les Chinois ou les Arabes, par exemple, ou des colonisations en Europe même comme celle des Allemands aux dépens des Slaves et des Baltes, le fameux « DrangnachOsten[2] ». Mais la colonisation au stade impérialiste du capitalisme, depuis le dernier quart du XIXème siècle, fut quasi exclusivement le fait d’émigrants européens, d’États capitalistes européens vers d’autres continents, à l’exception des USA, constitués eux-mêmes d’anciens Européens et du Japon. En ce sens, le sionisme ne fait pas exception, et ce d’autant plus que ses milices ont été le bras armé des impérialistes occidentaux, Grande-Bretagne puis USA.
Là aussi, nous touchons à une particularité de la Palestine. Les impérialistes de l’époque ne se sont pas entre-déchirés pour la posséder. Ils ont décidé, de concert, de faire occuper le terrain, d’y établir un État tampon, destiné à servir leurs intérêts. Ils ont colonisé grâce à une intermédiaire, les émigrants européens sionistes. Toutes les puissances impérialistes occidentales, Grande Bretagne, France, puis USA comme dominants, enfin, plus tardivement l’Allemagne, sont co-acteurs de la colonisation, leurs capitalistes sont impliqués directement ou indirectement par des prises de parts dans des sociétés capitalistes de l’entité sioniste. Ce n’est pas Carrefour qui pourrait nous démentir. Comme l’a écrit Georges Ibrahim Abdallah : « Israël est le prolongement organique de l’impérialisme occidental ».
En finir avec la colonisation, c’est mettre fin à l’État colonial sioniste
Voilà pourquoi la question palestinienne a ce caractère si particulier. Le combat anticolonialiste est intrinsèque aux militants révolutionnaires. Voilà pourquoi le Parti Révolutionnaire défend la lutte de libération nationale du peuple palestinien.
La solidarité juste et efficace avec les Palestiniens passe évidemment par le soutien à leurs revendications, y compris celles que beaucoup enterrent comme le retour des réfugiés. Mais elle passe aussi par la compréhension du fait que l’existence même de l’État colonial sioniste est la cause de tout et que la libération implique la disparition de cet État d’apartheid. Sans cela nous n’aurons jamais de véritable paix, seulement la paix coloniale, comme les Accords d’Oslo. Il n’y a pas de compromis possible sur ce sujet. A terme, l’État colonial sioniste doit céder la place à un État laïque, décolonisé, où tous seront à droits égaux.
Ceux qui croient défendre la cause palestinienne en omettant ce fait se trompent au mieux ou mentent au pire. Les partisans de la « solution à deux États » ou de la « fraternisation entre les peuples israélien et palestinien », si improbable, ou encore de « l’union des travailleurs des deux peuples », tout aussi illusoire, sont, au mieux, des idiots utiles des Impérialistes occidentaux et de leurs valets sionistes. Les travailleurs d’Israël ne peuvent être libres s’ils ne rompent pas avec le sionisme et continuent de se trouver objectivement et activement dans le camp des colonisateurs, des génocidaires. Il faut donc un État où tous les habitants jouissent des mêmes droits et puissent vivre ensemble, quelle que soit leur origine, en l’occurrence, un État palestinien démocratique.
De la même manière, on ne peut pas partager les torts, comme le font certaines organisations qui condamnent le génocide et défendent les Gazaouis, comme LFI. Toutes les utilisations du vocable « Hamas » à la place de « Résistance palestinienne », toutes les condamnations des soi-disant « crimes du 7 octobre », surtout avec ce que l’on sait du réel, sont autant d’écrans de fumée qui empêchent de comprendre la situation et de défendre effectivement la cause du peuple palestinien. Tout compromis ne sert qu’à obscurcir l’horizon, alors qu’il faut le dégager.
En conclusion
Il faut donc, plus que jamais, un discours clair, anticolonialiste, antisioniste, dénonçant les acteurs, les complices de la colonisation de substitution mise en œuvre en Palestine, les complices du génocide de l’entité sioniste qui ressemble de plus en plus à celle de l’Ouest états-unien, perpétrée là aussi par des colons européens !!! Il faut une position claire, un soutien total au peuple palestinien, à sa résistance, sous toutes ses formes, des gestes de tous les jours, au combat armé. Il n’est pas possible de soutenir la lutte pour une Palestine libre sans soutenir la Résistance armée, dans toutes ses composantes et dans toutes ses actions ; sans réclamer la fin de l’État colonial d’apartheid, car son existence empêche une véritable paix.
Et il faut plus que jamais la solidarité active des peuples et des travailleurs du monde entier avec la résistance du peuple palestinien, à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem. Il est plus que temps qu'une grande manifestation populaire s'organise en France pour soutenir la lutte de libération nationale du peuple palestinien et crier que les crimes cela suffit, que les droits légitimes du peuple palestinien doivent être reconnus.
Une telle manifestation doit porter la revendication d’une paix juste en Palestine. Une paix juste, c’est le démantèlement des colonies, le retour des réfugiés et un État où tous les habitants jouissent des mêmes droits et puissent vivre ensemble, quelle que soit leur origine, en l’occurrence, un État palestinien démocratique et indépendant.
Le Parti Révolutionnaire Communistes soutient plus que jamais les revendications fondamentales du mouvement de libération nationale palestinien : fin intégrale de l'agression militaire sioniste, droit au retour des réfugiés et formation d'un État palestinien sur le territoire de la Palestine mandataire.
[1] Lire, à ce sujet, l’excellent et très documenté ouvrage de Maxime Vivas : « Ouïghours, pour en finir avec les fake news ».
[2] Le DrangnachOsten (poussée vers l’est) désigne la colonisation médiévale des nobles allemands de l’est de l’Europe, entraînant avec eux des paysans dans les plaines centrales et des bourgeois comme à Cracovie ou Prague.