Gantry 5

 

N ° 901 27/11/2024  Après des mois de tergiversations et de pressions multiples, après la démission et le remplacement d’une des juges, la CPI a enfin décidé de délivrer le mandat d’arrêt que beaucoup attendaient depuis longtemps contre les génocidaires Netanyahu et Gallant. Pour faire bonne mesure, elle y a adjoint le Palestinien Mohamed Deif, dont la mort n’est pas certaine ; il eût été difficile de délivrer un mandat contre Yahya Sinouar, mort au combat contre les sionistes ou Ismaël Haniyeh, lâchement assassiné à Téhéran.
 
Pourquoi la CPI a été créée et ce que cela révèle
La Cour ne pouvait pas faire moins, mais que l’accouchement fut difficile ! C’est la première chose à noter : la CPI est, pour la première fois de son existence, sortie de la route qui lui avait été tracée. Création des pays impérialistes occidentaux, y compris les USA qui ont décidé, in fine, de ne pas en être, elle porte leur marque et les a bien servis. Son prédécesseur, le Tribunal Pénal International, institué pour les crimes en Yougoslavie, a jugé et au moins laissé mourir en prison l’ancien dirigeant serbe Slobodan Milosevic, mais n’a jugé aucun des dirigeants de l’OTAN pour les bombardements aveugles et meurtriers de 1999, ni son Gauleiter Bernard Kouchner, qui a probablement couvert un trafic d’organes. Et, la cour elle-même, sur les instances des puissances impérialistes USA et France, qui avaient choisi d’autres dirigeants à leur botte pour la Côte d’Ivoire, a détenu le président légitime Laurent Gbagbo pendant huit ans, avant de l’acquitter.
Clairement, la CPI n’a jamais été conçue pour juger des dirigeants de pays occidentaux. Comme l’a dit son procureur Karim Khan, révélant des propos tenus par un diplomate US : « La CPI, c’est pour juger les Africains et des renégats comme Poutine ». Cette idée ne s’exprime d’ailleurs pas seulement dans les couloirs. Dans son éditorial du 24 novembre le Washington Post, célèbre fleuron de la presse de l’Oncle Sam, déclare : « La CPI n’est pas l’instance compétente pour demander des comptes à Israël ». Le chapeau de l’article affirme que la CPI est nécessaire pour aider à résoudre les crimes de guerre commis au Soudan, en Russie ou au Myanmar, mais pas Israël. L’auteur de l’édito estime que c’est en Israël que les crimes israéliens sur les Palestiniens doivent être jugés. Voilà de quoi satisfaire le gouvernement sioniste. C’est sûr que, dans ce cas-là, Netanyahu ne risquerait pas grand-chose. Il a au moins dix fois plus de risques d’être condamné pour corruption que pour un génocide que la grande majorité de la population approuve ou tolère.
Ce que cela révèle c’est cette volonté continue depuis la fin des pays socialistes de la part des impérialistes occidentaux de diriger le monde, de décider qui est bon et qui est méchant, et cela au nom d’un système qu’ils baptisent « démocratie », une chose dont le seul critère serait d’avoir des élections prétendument libres. L’ancien premier ministre Dominique de Villepin a récemment eu une prise de bec avec un journaliste de LCI qui éclaire cette situation. Comme le diplomate disait qu’Israël n’était pas un pays démocratique, le « journaliste », manifestement éberlué par tant d’audace, lui réplique : « Mais il y a bien des élections libres en Israël ». Et Villepin de lui répondre que cela ne suffisait pas à en faire un État démocratique.
Au nom de quoi les idéologues de l’impérialisme dominant et de ses vassaux se permettent-ils de juger le monde entier ? Au nom du soi-disant idéal démocratique et des « Droits de l’Homme ». Et au nom des « Lumières ». Rappelons que ce concept douteux met dans le même sac Rousseau et Diderot, défenseurs de la nature humaine quelle qu’elle soit et le bourgeois Voltaire, qui possédait des parts dans le commerce des esclaves. Rappelons aussi que c’est au nom de cette même « démocratie », de ces mêmes « droits de l’Homme » et de la civilisation que ces mêmes États ont organisé la colonisation au XIXème siècle. Pour certains de leurs idéologues d’alors, c’était une mission, ce que Rudyard Kipling appelait : « le fardeau de l’homme blanc ».
Ainsi, voler les terres et les richesses, exploiter les autochtones, enfermer ou tuer les récalcitrants, cela fait partie de la « démocratie » ; pas étonnant que Netanyahu nous resserve la civilisation.
 
Pourquoi, alors, cette décision de la CPI ?
La CPI a donc failli à sa mission, qui était de protéger les impérialistes occidentaux et de mettre leurs adversaires hors d’état de nuire. Interrogeons-nous sur les raisons de cette volte-face. L’évidence des preuves du génocide ne saurait être retenue comme cause, cette évidence, les communications de l’Onu qui évoque de plus en plus le mot même de génocide n’ont empêché aucun des gouvernements les plus engagés dans le soutien aux sionistes de continuer à fréquenter les génocidaires, sans rupture diplomatique ni sanction économique et à leur fournir des armes. Il serait hasardeux de penser que la CPI est désormais sortie du giron et est indépendante : ce sont les Occidentaux qui paient.
Alors il y a la mythique droit international, nous l’avons évoqué la semaine dernière. En France, beaucoup de politiciens de gauche (à part les prosionistes Valls, Guedj, Dray, Glücksmann et compagnie) font référence à se fameux droit quand ils commentent, pour s’en réjouir, la décision de la CPI. Ce n’est pas étonnant, car, quand par exemple LFI, qui défend bien plus les Palestiniens que les autres, se réclame du droit international, c’est pour approuver aussi le mandat d’arrêt contre Mohamed Deif, pour les torts partagés, pour la mise sur le même plan d’un peuple colonisé et d’un État colonisateur.
Le droit, national ou international, est fonction du rapport de force. Le droit, en France, c’est la loi El Khomri qui casse le droit du travail, c’est la loi de transformation de la fonction publique, qui prive les agents de l’aide des syndicats, c’est la retraite à 64 ans, c’est encore le délit d’apologie du terrorisme, tel que modifié par la gauche en 2014 et qui sert de principal outil à la répression de celles et ceux qui soutiennent le combat anticolonialiste de la Résistance palestinienne. C’est pareil à l’échelle internationale, si la CPI a été créée et a pui garder un président africain en détention pendant huit ans, c’est bien parce que le droit international, c’est le droit impérialiste, plus exactement le droit de l’impérialisme dominant. Au contraire, on peut même penser que la décision de la CPI est contraire au droit international tel que les conçoivent les impérialistes dominants, contraire à ce que pense ce que nos « journalistes » appellent la « communauté internationale ».
Non, la seule explication à cette décision, c’est, encore une fois, le rapport de force. La protestation internationale des travailleurs, des peuples, y compris dans les pays qui relèvent du bloc impérialiste occidental est énorme. Elle crie si fort que les juges de la Haye l’ont entendue. Que toutes celles et tous ceux qui, régulièrement, participent partout en France ou dans le monde à des manifestations ou rassemblements de soutien à la lutte du peuple de Palestine contre les colonialistes sionistes, qui se demandent parfois s’ils ou elles sont utiles, qui pestent parfois parce qu’ils voudraient être plus nombreux, se rassurent. Elles et ils sont utiles, la preuve par la CPI !
 
Qu’est-ce que ça peut changer ?
Il faut étudier cette question de la manière la plus réaliste possible, sans se faire d’illusions. Un certain nombre de militants de la solidarité avec la Palestine pensent que les répercussions peuvent être énormes, notamment pour les défenseurs de la Palestine ciblés juridiquement par les sionistes ou l’État, accusés d’antisémitisme ou d’apologie du terrorisme. C’est possible, mais nous verrons à l’expérience. Pour l’heure, notons simplement que le fameux délit a bien peu de chance de redevenir ce qu’il était avant 2014, étant donné le rapport des forces au Parlement.
Pour ce qui est des véhicules de l’idéologie dominante, force est de constater, qu’après un bref instant de sidération, car ils ne croyaient pas la chose possible, tout a repris comme avant et même pire qu’avant. Le mandat d’arrêt de la CPI n’empêche pas les critiques acerbes contre la Cour de la part de CNews, n’empêche pas une chroniqueuse de penser et de déclarer que le fait que Karim Khan soit musulman fait qu’il ne peut être objectif, n’empêche pas tous les hauts cris autour du couplet « Israël pays démocratique », n’empêche pas Yaël Braun-Pivet de dire qu’Israël n’est pas un envahisseur.
Mention spéciale à la « journaliste » Géraldine Woessner, rédactrice-en-chef du très réactionnaire magazine Le Point, qui déclare : « Encore une fois, il n’y a pas de journaliste palestinien. Vous collez un concept occidental sur une entité qui n’existe pas. ». En réalité, si on la prend au pied de la lettre, elle n’a pas forcément tort, car « journaliste », en France ou dans l’UE, cela revient à être propagandiste de l’impérialisme dominant. Relayer la vérité, se baser sur le factuel relève d’une autre activité, totalement méconnue par elle.
Les politiciens sont plus prudents, évidemment, la France est signataire du traité qui a fondé la CPI et Séjourné avait déclaré en son temps que la France respecterait les décisions de la Cour. Notons tout de même que, contrairement aux gouvernements italien, espagnol, néerlandais, canadien, le gouvernement français n’a toujours pas dit clairement si oui ou non il ferait arrêter le génocidaire Netanyahu, s’il posait les pieds sur notre sol. On attend toujours la réaction de Raphaël Glucksmann sur les réseaux sociaux, mais il ne doit plus avoir de connexion…
Surtout, passé les deux premiers jours, où il était difficile de ne pas évoquer ces fameux mandats d’arrêt, media et politiciens font tout pour parler d’autre chose, l’arrestation de Boualem Sansal en Algérie, l’irrespirable suspense sur la censure du gouvernement, ou les circonvolutions des anciens partisans du Mercosur, devenus opposants…
Et, dans l’entité sioniste, la Terre n’arrête pas de tourner. Le nouveau ministre de la Défense, Israël Katz, a décidé que la détention provisoire sans jugement ne concernerait plus les colons. Il n’y en avait pas des masses, mais, désormais, les seuls concernés par cette procédure totalement arbitraire (et pas vraiment démocratique), ce sont les Palestiniens. Et certains nous diront qu’il n’y a pas d’apartheid en Israël. Relevons aussi cette phrase prononcée le 25 novembre par Bezalel Smotrich, le fasciste ministre du commerce, reproduite par Haaretz : « Il est possible de créer une situation où la population de Gaza sera, dans deux ans, inférieure à la moitié de sa taille actuelle. ».
 
En conclusion
Cette décision de la CPI est incontestablement un bon point pour les défenseurs de la cause palestinienne dont nous sommes, elle est significative de l’importance du rapport de force, mais n’en faisons pas plus qu’un point d’appui. Donc, l’important, c’est la poursuite et l’amplification des luttes de solidarité, sous toutes leurs formes.
Comme tous les partisans de la libération de la Palestine dans le monde, nous continuons et nous continuerons, inlassablement, d’exiger un cessez-le-feu immédiat et permanent, de même que l’accès libre aux humanitaires dans toute la Bande de Gaza, et le retrait total des forces d’occupation de l’enclave. Mais, cela ne saurait suffire.
Une paix juste, c’est le démantèlement des colonies, le retour des réfugiés et un Etat palestinien indépendant. Ce qui empêche une telle paix c’est l’existence d’un Etat colonial. Les travailleurs d’Israël ne peuvent être libres s’ils ne rompent pas avec le sionisme, s’ils continuent de se trouver objectivement dans le camp des colonisateurs. La solidarité avec la Palestine ne peut se contenter de phrases générales sur la paix. Il faut un Etat où tous les habitants jouissent des mêmes droits et puissent vivre ensemble, quelles que soient leur origine, en l’occurrence, un État palestinien démocratique. De même, la lutte de libération nationale du peuple palestinien n’a pas besoin de compassion, mais d’un réel soutien politique et d’actions de solidarité internationaliste. Et pour la France, où les Révolutionnaires, comme ailleurs, doivent combattre d’abord leurs capitalistes, cela commence par la lutte politique contre le soutien de l’impérialisme français à l’État colonial sioniste.
C'est pourquoi, le Parti Révolutionnaire Communistes entend continuer de rassembler tous ceux qui veulent un cessez le feu immédiat pour que cesse le massacre des Palestiniens et se prononcent pour la paix. Pour nous, cela passe par le soutien aux revendications fondamentales du mouvement de libération nationale palestinien, surtout après l’assassinat d’un de ses dirigeants : fin immédiate de l'agression militaire sioniste, droit au retour des réfugiés et formation d'un État palestinien sur le territoire de la Palestine mandataire.