Gantry 5

 

N° 896 23/10/2024  Dans le paysage politicien français, on peut compter sur les doigts d’une main les véritables soutiens du peuple palestinien. Si, à droite, il semblerait qu’il ne reste plus guère de Gaullistes, mis à part Dominique de Villepin, à gauche, le courant prosioniste, dans la tradition du PS depuis Epinay et qui fait suite à celle de la SFIO, est toujours aussi fort, et les écologistes n’ont rien à lui envier, se calant quasiment sur leurs cousins allemands, dont la ministre des Affaires Etrangères qui affirme que « les Gazaouis ont perdu leur statut de civils ».
Dans cet article, nous nous intéresserons aux autres partis de "gauche", et regarderons ce que nous pouvons trouver à la place du Parti Communiste Français qui, du temps où il était encore un tant soit peu communiste, défendait la cause anticolonialiste palestinienne.
Nous allons donc examiner à gros traits les communiqués publiés par LFI et l’actuel PCF (par la voix de son secrétaire national) le 7 octobre 2024, un an après l’attaque de la Résistance palestinienne.
Dès le départ, les deux textes sont empreints du discours officiel de la propagande sioniste. Pour LFI : « Le 7 octobre 2023, l’attaque du Hamas sur le sol israélien a donné lieu à des crimes de guerre au cours desquels 1200 personnes dont plus de 800 civils sans défense ont été tuées et des otages enlevés. » et, plus loin, le communiqué parle « d’acte terroriste ». Le PCF, lui, sans surprise, va encore plus loin : « Il y a un an, jour pour jour, le premier pogrom de l’histoire de ce XXIe siècle a conduit à la mort de 1.200 hommes, femmes et enfants, blessant et mutilant plus de 7.500 personnes. Parmi ces victimes figurent 42 Français. Ce massacre de masse, visait des Israéliens parce qu’Israéliens, des Juifs parce que Juifs. Je veux, par ce message, au nom des communistes français, rendre hommage à toutes les victimes. Je veux également témoigner de la solidarité des communistes français avec les familles de celles et ceux qui, le 7 octobre, ont été capturés et pris en otage par le Hamas. Le Parti communiste français continue d’exiger leur libération immédiate et inconditionnelle, comme le font des centaines de milliers d’Israéliens qui manifestent courageusement pour un cessez-le-feu et la démission de Benyamin Netanyahou. Les responsables de cet acte terroriste doivent répondre de leurs crimes devant la justice internationale. ». Il s’agit d’abord de pointer l’essentiel : les points communs, crimes de guerre pour l’un ou massacre pour l’autre, acte terroriste pour les deux, et attaque du Hamas, occultant ainsi la participation au combat d’autres organisations de la Résistance palestinienne. Aucun des deux communiqués ne mentionne le fait que le 7 octobre n’est en aucun cas un début, mais un épisode d’une lutte menée depuis 1948. Là où le PCF se distingue c’est qu’il reprend l’intégralité du discours des sionistes en parlant de pogrom et l’idée que des juifs ont été visés en tant que juifs, ce qui revient à occulter totalement le conflit colonial et à adopter la lecture de Netanyahu.
Même si le communiqué de LFI ne va pas jusque-là, il contient quasiment les mêmes ingrédients et, surtout, occulte les mêmes choses. Aucun des doutes exprimés par beaucoup de journalistes, notamment par Haaretz concernant le déroulé du 7 octobre 2023 n’est évoqué. Rien sur la procédure Hannibal, rien sur les mensonges de la propagande sioniste concernant les bébés décapités ou les viols. Aucune explication non plus sur pourquoi les kibboutz ont été visés ! Aucun mot sur le fait qu’à la place de ces installations, il y avait, en 1948 seize villes ou villages palestiniens qui ont été rasés et leurs occupants chassés vers Gaza ou tués. Rien non plus sur le blocus de Gaza depuis 2006, sur les humiliants check-points, sur les bombardements récurrents en 2006, 2012 et 2014 notamment, sur le camp de concentration à ciel ouvert. A lire ces deux communiqués tout a commencé le 7 octobre, un début sans cause, incompréhensible autrement que par l’envie de tuer. Enfin, l’utilisation du mot « otage » et non « prisonniers » empêche également toute compréhension. Mais pourquoi donc les Résistants palestiniens ont il capturé des Israéliens ? La question ne sera pas posée.
Ensuite, quand même obligés, les deux communiqués condamnent les violences perpétrées à Gaza, en Cisjordanie et au Liban.
Pour le PCF les soi-disant crimes du 7 octobre « ne justifient en rien l’accélération de la colonisation en Cisjordanie et les exécutions sommaires dans les territoires palestiniens et les camps de réfugiés. Ils ne justifient en rien les bombardements aveugles au Liban. » (Notons que les bombardements aveugles semblent n’avoir lieu qu’au Liban). Plus tard, le communiqué dénonce : « Les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en ce moment-même par les dirigeants de l’État d’Israël. ».
Sur ce sujet, LFI montre plus de connaissance du réel et plus d’empathie pour les victimes de Gaza : « 41.909 personnes ont officiellement été tuées à Gaza et des dizaines de milliers de victimes supplémentaires sont enfouies sous les décombres ou porteuses de blessures hypothéquant leur survie. Les conditions infligées à Gaza, presque intégralement rasée et dont la population est assiégée, affamée, massivement déplacée de force, privée des soins élémentaires ». Le nombre de morts officiel à Gaza est cité par LFI, comme celui des morts du 7 octobre 2023, mais le PCF, lui, n’en dit mot.
Ce qui caractérise aussi l’analyse commune des deux partis, c’est que le massacre à Gaza est une « réponse » des sionistes à l’attaque des Résistants palestiniens, là encore, nous sommes dans le droit fil de la propagande sioniste. Pour LFI : « En réponse à cet acte terroriste, le gouvernement d’extrême droite de Netanyahou a lancé une guerre totale au peuple palestinien. » ; et pour le PCF, le passage précédent « ils ne justifient en rien » indique implicitement qu’il s’agit d’une réponse. Mais aucune des deux organisations n’envisage le fait que l’attaque du 7 octobre serait elle-même une réponse… Et, surtout, aucun des deux ne nous dit que le but de Netanyahu n’est pas de répondre, ni même de se venger, mais de « finir le travail que Ben Gourion a laissé inachevé en 1948 ».
Le côté génocidaire n’effleure pas Fabien Roussel qui n’utilise pas ce mot. Quand-à LFI, ils s’abritent derrière la Cour Internationale de Justice pour évoquer l’adjectif, mais n’affirment pas que, de leur propre point de vue, nous avons affaire à un génocide : « Les conditions infligées à Gaza […] sont telles qu’en janvier 2024 la Cour Internationale de Justice, plus haute instance judiciaire de l’ONU, a dénoncé une attitude génocidaire. ».
Les conclusions, outre, bien sûr l’appel au cessez-le-feu, à une paix juste et durable, sont différentes, mais toutes les deux hors sol. Le PCF nous assène son leitmotiv de la soi-disant solution à deux États : « Pour la reconnaissance de l’Etat de Palestine aux côtés de l’Etat d’Israël, sur les frontières de 1967. Pour une solution à deux Etats pour deux peuples vivant en paix, en sécurité et en démocratie, à égalité, sur une même terre. ». Cela indique, outre son côté irréel que le PCF ne comprend décidément rien à la question coloniale en Palestine, car enfin, comment les deux peuples pourraient-ils vivre en sécurité et à égalité sur une même terre tant que l’État colonial, l’État d’apartheid existe ? Alors que le but des sionistes, de tous les sionistes, pas seulement Netanyahu est de chasser ou tuer les Palestiniens de leur terre ! Alors qu’il ne peut y avoir de paix tant que l’État sioniste existe ! Sinon la paix coloniale d’Oslo, où un peuple en opprime un autre. Que l’on ne peut mettre un signe d’égalité entre un peuple colonisé et un Etat colonial, et que, dans cet Etat colonial qui réalise une colonisation de substitution, la plupart des citoyens sont complices de la colonisation, de l’oppression et n’aspirent pas à la paix, mais à la victoire, ou au moins, à la vengeance.
Quand-à LFI, leur communiqué semble tenter de raisonner Netanyahu : « La terreur n’a jamais libéré un peuple, ni ramené les morts. Le piétinement de toutes les règles du droit international et du droit de la guerre est une impasse. La guerre sans fin n’offre aucune solution politique durable susceptible de garantir les droits et la sécurité des peuples Palestinien, Israélien, et désormais Libanais. ». Comme si les sionistes se préoccupaient des droits et de la sécurité des Palestiniens ou même des Libanais !!! Quelle mauvaise compréhension de la situation ! La guerre n’est pas sans fin, le projet de Netanyahu est clair, agrandir Israël, coloniser et coloniser encore, à Gaza, en Cisjordanie, dans le sud du Liban et sur le Golan. Essayer de s’adresser à lui est aussi illusoire que de faire sans cesse référence au droit international, qui n’est que le droit de l’impérialisme dominant.
Nous avions écrit, il y a plusieurs mois, que LFI était au milieu du gué, entre la position des torts partagés et la défense anticoloniale de la Résistance palestinienne. Il semble bien aujourd’hui que, malgré leur indéniable dénonciation du massacre à Gaza, ils aient rejoint la rive et le camp des torts partagés, depuis au moins le discours de la députée Nathalie Oziol au nom du groupe, après les demandes de mandats d’arrêt du procureur de la CPI contre deux oppresseurs coloniaux et trois Résistants palestiniens, disant que ces demandes correspondaient à la position de LFI ; ce texte ne fait que confirmer le retour au camp de base.
La position du PCF est encore pire, il semble glisser des torts partagés à une position franchement prosioniste, reprenant l’instrumentalisation de l’antisémitisme (tués en tant que juifs) et se permettant de juger les Résistants palestiniens armés, qui sont sortis de la cage le 7 octobre 2023 et ont sorti de dessous le tapis la question palestinienne en ces termes : « Ils défigurent le juste combat du peuple palestinien pour que soit reconnu son droit à l’existence nationale et à la paix avec le peuple israélien. ». De quel droit Fabien Roussel se permet-il de juger les choix de combat décidés par une résistance anticoloniale ? Du droit des soi-disant Lumières, du droit de Voltaire le marchand d’esclave ? Du droit du suprémacisme impérialiste occidental ?
Aucun des deux textes ne parle du colonialisme, d’un État colonial, d’un peuple colonisé ! Rappelons aux dirigeants de la "gauche" française cette citation de Frantz Fanon dans "Les Damnés de la Terre" : « Pour le colonisé, la vie ne peut surgir que du cadavre en décomposition du colon. ». Est-ce que cela n’expliquerait pas mieux le 7 octobre que les billevesées sur l’antisémitisme ?
Enfin, encore dans "Les Damnés de la Terre", nous trouvons ceci : « La violence avec laquelle s'est affirmée la suprématie des valeurs blanches, l'agressivité qui a imprégné la confrontation victorieuse de ces valeurs avec les modes de vie ou de pensées des colonisés font que, par un juste retour des choses, le colonisé ricane quand on évoque devant lui ces valeurs. ». Nous citons Fanon, bien que nous ne croyions pas à des valeurs « blanches », mais à des valeurs du capitalisme occidental. Cela dit, pour le reste, nous partageons son point de vue. Ce n’est pas en évoquant un mythique droit international et une non moins mythique justice internationale que l’on aidera les Palestiniens à se libérer de l’oppression. C’est d’abord en comprenant la situation coloniale et en la dénonçant, c’est-à-dire en dénonçant le sionisme. C’est ensuite en admettant qu’à chaque fois que les Palestiniens ont fait des concessions (Oslo est le meilleur exemple), les sionistes les ont encore plus opprimés, et qu’aujourd’hui, ils ne peuvent compter que sur deux choses : la solidarité internationale des travailleurs et des peuples, et leur propre résistance, avec ou sans arme. C’est ce que la "gauche" qui exprime une sympathie réelle mais tout de même un peu théorique et non exclue de leçons données pour le sort des Palestiniens devra apprendre si elle veut garder ou obtenir une dignité.
Sans ambiguïté, le Parti Révolutionnaires Communistes, dans son combat contre le capitalisme et l’impérialisme, soutient la cause palestinienne et soutient la Résistance palestinienne, dans les formes qu'elle se choisit.