Gantry 5

 

N°875 27/05/2024  Décryptons le langage de la répression
Les tenants de « l’apologie du terrorisme »
Les très réactionnaire hebdomadaire « Le Point », dans un article daté du 24 mai a cité amplement les attendus du jugement prononcé contre Jean-Paul Delescaut, secrétaire-général de l’Union Départementale CGT du Nord, par le tribunal correctionnel de Lille On y voit bien que ces mêmes juges considèrent que « l'apologie du terrorisme » est « une infraction de droit commun visant précisément à lutter contre le terrorisme ». Dans la foulée de la loi inique de 2014 et de la circulaire non moins scandaleuse du garde des sceaux, les tribunaux sont censés punir les personnes qui seraient tentées de porter un « jugement favorable » sur de tels actes, leurs propos pouvant exercer « une influence sur des individus tentés de commettre, à leur tour, des actions violentes de même nature », ainsi que l’a écrit la justice de classe lilloise. Or, un point essentiel est occulté : la notion de terrorisme n’est jamais définie. Qui décide qu’une action quelconque est un « acte terroriste » : les dirigeants politiques d’un pays ? Les media ? Les juges eux-mêmes ? Pourtant, il semble que leur écrit justifiant la condamnation de Jean-Paul Delescaut ne fournisse aucun argument qui permette de classer l’attaque des combattants palestiniens du 7 octobre dans la case « terroriste ». En réalité, pour eux, cela va de soi. Le consensus officiel, du pouvoir, des media et de la plupart des politiciens et « spécialistes », organisé par le Grand Capital autour du concept fallacieux de « terrorisme », leur sert de justificatif et ils n’ont même pas besoin de le mentionner. Leur jugement est donc éminemment politique et sanctionne un délit d’opinion.
Les juges lillois ont pris la précaution de préciser que : « Le débat d'intérêt général sur le conflit israélo-palestinien doit trouver sa place dans une société démocratique [...] l'opinion sur la politique menée par Israël est parfaitement libre », afin de se dédouaner à l’avance de l’accusation de sanction d’un délit d’opinion. Mais, c’est pour montrer totalement l’inverse ensuite. Le fameux extrait du tract de l’UD-CGT du Nord, « Les horreurs de l'occupation illégale reçoivent depuis samedi les réponses qu'elles ont provoquées », ne relèverait selon les juges lillois, ni du « débat » ni de « réflexions géopolitiques complexes ». Là encore, nous voyons qu’il s’agit de prises de positions non seulement politiques, mais méprisantes. Les réflexions géopolitiques complexes font partie de la panoplie des arguties utilisées par les tenants des torts partagés, lorsque l’on explique simplement que nous sommes en face d’un conflit colonial et qu’en réalité le constat est évident et l’explication assez simple. Quand-à décider de ce qui relève d’un débat ou non, est-ce vraiment le rôle des juges ? En quoi le fait de dire que l’État sioniste est le responsable de l’attaque du 7 octobre par son action coloniale depuis 1948 ne ferait pas partie du débat ? Ce point de vue sur l’attaque des combattants palestiniens est pourtant clairement de plus en plus dans le débat public et le Parti Révolutionnaire Communistes ne cesse de dire la responsabilité de l’État colonial d’apartheid.
La position politique des juges est claire : le débat se limite à l’alternative entre les positions prosionistes et celles des torts partagés, dans les limites du consensus officiel que nous évoquions plus haut. Il n’est pas question de tolérer un autre point de vue, qui dénoncerait l’État colonial, le sionisme, ou même simplement comme le tract de la CGT du Nord, la responsabilité pleine et entière d’Israël. Nous sommes encore plus clairement dans la délimitation politique de ce qui peut ou ne peut pas être dit, et dans la mise en place d’un délit d’opinion.
Cela devient encore plus lumineux quand on lit cet extrait du jugement : « Cet écrit semble, en effet, considérer les terroristes comme des occupés, et donc comme les véritables victimes ». Or, les combattants palestiniens qui, le 7 octobre 2023, sont sortis de la cage étaient-ils occupés par une puissance coloniale ? N’étaient-ils pas victimes de la colonisation et du blocus de Gaza ? Pour les juges, la question ne doit pas être posée. Car l’affirmation incriminée par la justice de classe est qualifiée dans le même jugement de « piège de la pensée ».
Or, elle repose sur des faits indéniables. Il y a occupation et colonisation et les Palestiniens en sont victimes. Les juges caractérisent donc le fait que dénoncer l’occupation constitue un délit. Ils interdisent et sanctionnent par là-même toute contextualisation des faits et posent le principe fondamental du consensus officiel : tout a commencé le 7 octobre 2023 et quiconque dit le contraire est un apologiste du terrorisme.
Le même article du « Point » aborde une autre situation. Le 8 octobre 2023, Sophie Pommier, politologue et ancienne collaboratrice du ministère des Affaires étrangères français, publie sur son compte Instagram le message suivant, illustré par un drapeau palestinien flottant au vent : « Trop c'est trop ! Des décennies d'occupation et d'humiliations, d'injustice, de provocation des colons… Le monde occidental bien installé dans son petit confort s'émeut de voir les Palestiniens prendre les armes. Mais quelle autre solution leur a-t-on laissée ? La Résistance, chez nous, c'était magnifique mais quand il s'agit des Palestiniens, c'est du terrorisme ? ». Que n’a-t-elle pas fait, la malheureuse !
L’association « Jeunesse française juive », dépose une plainte contre Sophie Pommier. Pour l’avocat de l’association, ces propos sont « non seulement ineptes mais odieux et d'une extrême perversité » et, bien sûr, relèvent de « l'apologie du terrorisme ». Le parquet, conforme aux prescriptions de Dupont-Moretti, déclare la plainte recevable et ne tarde pas à déclencher des poursuites. Sophie Pommier a été renvoyée devant le tribunal correctionnel pour y être jugée le 13 février 2025, devant la 30e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris pour « apologie du terrorisme ».
Il serait vain de rappeler à ces censeurs que les occupants nazis qualifiaient eux-mêmes les Résistants (français ou d’Europe de l’est ou du sud) de « terroristes ». La comparaison est interdite, de même d’ailleurs que le simple fait de qualifier les attaques du 7 octobre 2023 d'actes de résistance. Il est certain que les sionistes, l’État capitaliste de France qui les soutient, et toutes ses forces spéciales de répression ne peuvent pas digérer qu’on les renvoie à la vérité en leur parlant d’occupation, d’humiliation, d’injustices, et en disant que la révolte armée est la seule solution laissée aux Palestiniens.
Voilà donc posées définitivement les limites du débat autorisé par Macron et ses juges, par l’idéologie dominante. Il est interdit de porter quelque parole en faveur de la Résistance palestinienne, de parler d’occupation et de colonisation, de dénoncer le projet et l’entreprise sionistes à l’œuvre depuis au moins 1948.
Mais ce mur dressé entre ce qui est tolérable et intolérable pour le Grand Capital en France et dans les pays de l’impérialisme occidental place objectivement dans le même camp les pro-israéliens les plus fanatiques et les adeptes des torts partagés, qui n’hésitent pas à justifier ou à accepter la mise sur le même plan d’un peuple colonisé et d’un État colonisateur, c’est-à-dire la majorité des directions politiques de gauche et l’ensemble des directions syndicales confédérales. Ces derniers ont aussi le droit de parler, ce qui est refusé aux défenseurs de la Résistance palestinienne, et ne sont pas poursuivis par les tribunaux, ni inquiétés par la police et peinent à se lever contre la répression quand ils ne la justifient pas.
 
Torts partagés et « antisémitisme »
Ce qui s’est passé le 21 mai dernier à l’université de Lille est très significatif du malaise que vivent les tenants des torts partagés.
Deux étudiants du collectif juif Golem, dont nous avons déjà parlé à propos de leurs accusations prosionistes contre l’UJFP et qui se situe clairement dans la mouvance des torts partagés, se sont rendus à une table ronde sur la situation à Gaza où plusieurs associations de solidarité avec la Palestine (« Libre Palestine », « Tsedek », l’UJFP et l’AFPS) étaient présentes. Dans un article du 24 mai, « Le Parisien » donne la parole à l’un des deux, mais n’a pas pensé à solliciter les autres organisations présentes. Il précise qu’il était venu pour « dénoncer les diabolisations politiques des mouvements de soutien au peuple palestinien dans le monde universitaire » ainsi que pour « alerter sur l’antisémitisme qui peut émaner de certains slogans de ces manifestations de soutien. ». Manifestement leur position d’équilibristes n’a pas convaincu les participants puisque, selon leurs dires, plusieurs militants des associations de solidarité avec la Résistance palestinienne les ont publiquement « pointés comme responsables directs des malheurs du peuple palestinien », les deux militants ont été la cible de « hurlements spontanés de plusieurs étudiants de l’amphi » et ont été traités de « colons, de fascistes, de génocidaires », slogans repris par une partie de l’amphithéâtre. On comprend qu’il soit difficile d’accepter pour eux que la position de Golem est objectivement une défense de l’État sioniste et qu’il ne soit pas agréable d’être traités de fascistes ou de génocidaires. Nous avions évoqué, dans un précédent article combien ce que certains qualifient d’insécurité des étudiants juifs dans les universités états-uniennes est en réalité un malaise devant la difficulté à défendre les positions sionistes. Nous en avons là un nouvel exemple.
Ce qui pourrait paraître étonnant, mais ne l’est pas tant que ça, en revanche, c’est la qualification portée par notre étudiant de Golem sur les faits survenus. Ainsi, être accusé d’être coresponsable des malheurs du peuple palestinien constitue, selon lui, un « amalgame antisémite ». Il ajoute que : « Ces différentes séquences d’humiliations nous ont fortement affectés personnellement et constituent un lynchage antisémite public », et évoque une « "silenciation" insupportable de voix juives dans le milieu universitaire ». D’abord, il est important de rappeler que « Tsedek » et l’UJFP sont des organisations juives, mais anticolonialistes. L’accusation d’antisémitisme tombe d’elle-même. Et ce ne sont pas non plus des voix juives qui ont du mal à s’exprimer dans le cadre de la lutte contre la guerre à Gaza, mais des voix sionistes. Mais surtout, en quoi des mots comme « colon », « fasciste », « génocidaire », qui peuvent, à juste titre, être considérés comme des insultes, sont-ils antisémites ?
Ils ne peuvent l’être que si l’on considère que s’en prendre à Israël et ses complices est antisémite, ce qui est le fond de commerce des sionistes depuis les débuts de la reprise de la guerre. On comprend que ces « alerter sur l’antisémitisme qui peut émaner de certains slogans de ces manifestations de soutien. » relèvent du discours dominant qui postule que s’en prendre au sionisme est antisémite. D’ailleurs, les deux étudiants ont reçu le soutien de la très sioniste UEJF (Union des Etudiants Juifs de France), celle qui porte le discours dominant dans les universités sur la critique du sionisme comme expression antisémite et dont le point de vue est pris en compte systématiquement dans les media sans jamais être, ne serait-ce que discuté. On est parfois trahi par ses soutiens.
Pour éclairer définitivement sur la position de ces étudiants de Golem, qui ont finalement été exfiltrés par l’arrière de l’université, celui qui s’est confié au « Parisien » en termine avec ces mots : « Nous continuerons d’avoir une parole révoltée et engagée sur la guerre en cours à Gaza, radicalement critique du gouvernement fasciste de Netanyahou tout en perpétuant la mémoire des victimes israéliennes civiles du 7/10 ».
C’est exactement le credo des tenants des torts partagés. S’en prendre au gouvernement fasciste de Netanyahu et rejeter dos à dos l’occupant et le colonisé, c’est ne pas vouloir dénoncer la situation coloniale et le fait qu’elle est, depuis le début, la résultante du projet sioniste. En s’en prenant au gouvernement fasciste ou d’extrême-droite on exonère du même coup la gauche sioniste, qui a organisé la colonisation dès 1967 et qui disait en 1969, par la voix de la première ministre travailliste Golda Meir : « On nous demande d’évacuer les territoires occupés, mais il n’y a rien de tel, car le peuple palestinien n’existe pas. ».
La répression vise donc exclusivement les défenseurs de la Résistance palestinienne ; ils sont les seuls à être jugés dangereux par l’ordre capitaliste dominant.
 
A propos de la décision de la Cour Internationale de Justice
La Cour Internationale de Justice, la plus haute juridiction de l'ONU a ordonné vendredi 24 mai à Israël de stopper son offensive militaire à Rafah. L’État sioniste doit « arrêter immédiatement son offensive militaire, et toute autre action menée dans le gouvernorat de Rafah, qui serait susceptible d'infliger au groupe des Palestiniens de Gaza des conditions d'existence capables d'entraîner sa destruction physique ou partielle ».
La CIJ a également appelé à la libération immédiate des prisonniers des combattants palestiniens. La Cour « estime qu'il est profondément inquiétant que nombre de ces otages demeurent en captivité et réitère son appel en faveur de leur libération immédiate et inconditionnelle ».
Enfin, la cour a ordonné à Israël de maintenir le passage de Rafah ouvert pour permettre un accès « sans restriction » à l'aide humanitaire.
La semaine dernière, nous avions fait part de nos doutes sur les demandes de mandat d’arrêt du procureur de la CPI (Cour Pénale Internationale), d’abord parce que nous ne savons pas ce qui sera décidé finalement, ensuite et surtout parce que demander aussi des mandats d’arrêt pour des combattants palestiniens, quels qu’ils soient, c’est nier le droit à la révolte armée des peuples colonisés, c’est mettre sur le même plan l’occupation et les occupés et c’est masquer le caractère colonial du conflit.
Rappelons que la CPI est une création de l’Union européenne, destinée, selon un haut responsable US, aux dires même du procureur Karim Khan « aux Africains et à des voyous comme Poutine » et que la demande de la CPI n’est qu’une conséquence du rapport de force international de la solidarité avec la Palestine, de la décrédibilisation continue de l’État sioniste auprès des travailleurs, de la jeunesse et des peuples du monde, et de leur perception grandissante de la nature coloniale du conflit.
La CIJ est, elle, l’instance juridique de l’ONU, qui peut donner des injonctions à des États mais ne juge pas les individus. Ses décisions sont exécutoires, mais, évidemment la CIJ n’a aucun moyen de faire appliquer ses décisions.
Bien entendu, il ne faut pas s’illusionner sur l’injonction de la CIJ. L’ONU n’est pas une instance neutre, influencée qu’elle est par l’impérialisme dominant et les impérialismes rivaux ; le droit international n’est rien d’autre que le droit capitaliste international. Néanmoins, elle marque, elle aussi le rapport de force et, surtout, contribue à mettre au ban des nations l’État colonial sioniste. La différence notable avec la CPI, c’est que la CIJ a réagi à la demande de l’Afrique du Sud, appuyée par d’autres pays comme l’Algérie, c’est-à-dire des pays qui ne font pas partie du bloc impérialiste occidental et qui ont une position historique de soutien à la Palestine, même s’il faut se garder d’en faire des hérauts de l’anti-impérialisme. L’Afrique du Sud accuse clairement Israël de génocide et a convaincu la CIJ, qu’il existe un risque réel.
Ce n’est pas la décision de la CIJ qui permettra d’arrêter le génocide à Gaza, mais elle peut y contribuer. A preuve, la défense de l’État sioniste, dans un communiqué commun de son ministère des Affaires étrangères et du Conseil national de sécurité dans lequel il se dit « extrêmement conscient » des souffrances des civils dans la bande de Gaza et assure qu'il avait déployé « des efforts considérables » pour accroître l'aide humanitaire. Pour les deux piliers de l’État sioniste, l'offensive à Rafah ne pose « aucun risque existentiel pour la population civile palestinienne ». Le communiqué certifie enfin que « Israël n'a pas mené et ne mènera pas d'opérations militaires dans la zone de Rafah qui créent des conditions de vie susceptibles de conduire à la destruction de la population civile palestinienne, en tout ou en partie ».
 
Bien sûr, nous savons que tout cela est un tissu de mensonges, néanmoins, force est de constater que Netanyahu et les siens font profil bas, ce qui n’a pas du tout été le cas lors de l’annonce de la demande de mandat d’arrêt de la CPI. Il ne s’agit pas d’en tirer des conclusions hâtives, mais de noter le fait.
 
En conclusion
N’oublions pas qu’à Rafah, l’armée sioniste continue de bombarder, de massacrer. La machine coloniale continue de tuer tous ceux qu’elle juge dangereux, femmes et enfants compris. N’oublions pas non plus que, pour mettre fin au génocide, notre seule arme, c’est l’ampleur du mouvement de solidarité international.
La question palestinienne, la lutte de libération nationale de son peuple doivent rester la préoccupation majeure des peuples, de la jeunesse et des travailleurs du monde. Dans ces conditions, s’il est urgent et fondamental de réclamer un cessez-le-feu immédiat et permanent, de même que l’accès libre aux humanitaires dans toute la Bande de Gaza, ou encore le retrait total des forces d’occupation de l’enclave, cela ne saurait suffire.
 
C'est pourquoi, le Parti Révolutionnaire Communistes entend rassembler tous ceux qui veulent un cessez le feu immédiat pour que cesse le massacre des Palestiniens et se prononcent pour la paix. Pour nous, cela passe par le soutien aux revendications fondamentales du mouvement de libération nationale palestinien : fin immédiate de l'agression militaire sioniste, droit au retour des réfugiés et formation d'un État palestinien sur le territoire de la Palestine mandataire.