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N° 858 01/02/2024  Comment interpréter l’ordonnance de la Cour Internationale de Justice ?
Une décision historique pour l’Afrique du Sud
Les décisions rendues, ce vendredi 26 janvier, par la Cour Internationale de Justice (CIJ) contre Israël contentent ou déçoivent. Le Parti Révolutionnaire Communistes se propose de décrypter ces décisions, de les analyser et de donner son point de vue.
L’Afrique du Sud qui, la première, a déposé une requête contre Israël pour génocide, qualifie cette décision « d’historique ». Nous pensons qu’elle a de bonnes raisons pour cela.  Lorsque la Cour discute de savoir s’il existe des indications sérieuses de génocide ou des violations de la Convention contre le génocide, il est très clair que les juges décrivent la totalité de l’opération militaire israélienne en tant que telle.
Ils en déduisent, notamment dans le paragraphe 46, que, primo : l’opération israélienne comporte un risque sérieux de génocide à un point tel que la CIJ a ordonné des mesures conservatoires. Secundo : il existe des indications suffisantes pour conclure que l’opération israélienne est menée avec l’intention de commettre un génocide. Et pour aboutir à ce deuxième point, les juges ont pris pour référence une série de déclarations officielles israéliennes.
Dans le paragraphe 54, les magistrats déclarent que : « Les faits et circonstances mentionnés ci-dessus sont suffisants pour conclure qu’une partie des droits réclamés par l’Afrique du Sud est plausible ». Les juges ayant été saisis à cause d’une présomption de génocide ; s’ils n’avaient rien trouvé de tel dans le dossier sud-africain, se seraient déclarés incompétents. Or, ce n’est pas le cas, ils trouvent l’accusation suffisamment plausible, pour déclarer qu’Israël « doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide ». Ce qui revient à exiger qu’il prenne toutes les mesures pour prévenir et sanctionner tout acte cité dans l’article 2 de la Convention contre le génocide, commis par un ou des soldats israéliens. Que sont ces actes de l’article 2 : tuer les membres du groupe des Palestiniens de Gaza ! 
Le ministre de la justice de l’Afrique du Sud d’en conclure : « La seule possibilité pour Israël de respecter les décisions ordonnées par la CIJ est de mettre fin à toutes ses opérations militaires. »
 
D’autres réactions sont beaucoup plus réservées
Mais, la Cour Internationale de Justice n’a pas demandé à Israël de cesser ses opérations militaires. Cela va sans dire, pour le ministre de la Justice sud-africain, mais cela irait bien mieux en le disant. Beaucoup de Palestiniens et de leurs soutiens ont été déçus en constatant cela, et ce d’autant plus que, s’agissant de la guerre en Ukraine, la même Cour Internationale de Justice ne s’était pas fait prier pour demander à la Russie de « cesser son invasion ».
Israël ne respectera pas les demandes, comme il a enterré la plupart des résolutions de l’ONU. Les juges le savaient. Raison de plus pour demander à l’État sioniste israélien de cesser toutes ses opérations militaires.
Mais, il faut compter avec les énormes pressions des USA et de leurs alliés, se portant au secours de l’État sioniste. Ce sont ces pressions qui expliquent l’absence de la mention du cessez-le-feu dans les conclusions de la Cour. L’ONU est depuis la fin de l’URSS et des pays socialistes d’Europe, totalement contrôlée par l’impérialisme dominant. D’ailleurs, les réactions des dirigeants US mettent le doigt sur ce qui fait mal en remarquant que la Cour n’a pas demandé à Israël un cessez-le-feu.
Dans son éditorial du 26 janvier dernier, la rédaction de « El Moudjahid », quotidien algérien, fustige la Cour et sa décision : « Pathétique. C’est du moins le qualificatif qui sied le mieux à la décision de la plus haute autorité juridique onusienne relative au génocide de l’entité sioniste contre la population de Gaza, en particulier, et en Palestine occupée, en général. Après tant d’espoirs de voir enfin l’organisation criminelle de Tel-Aviv clouée au pilori, le verdict de la CJI est passé au travers des attentes des millions de personnes qui ont battu le pavé à travers les capitales mondiales depuis le début de l’agression pour exiger l’arrêt des tueries. La sentence n’est ni plus ni moins qu’un quitus pour le faucon Netanyahu et ses sbires pour plus de massacres jusqu’à l’extermination d’un peuple sans défense ou l’exode forcé vers l’inconnu. Israël, métastase du Moyen-Orient, a encore une fois et à la faveur de ses alliés traditionnels réussi à échapper au droit international. ».
 
Notre avis
Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, avec ses limites, cette décision constitue néanmoins un point d’appui. Pour la première fois, une instance internationale condamne un État du bloc occidental, et pas n’importe lequel, l’État colonialiste sioniste. Disons que c’est comme un pied mis dans la porte qui l’empêche de se refermer. Le choix des Sud-Africains de s’en prendre à Israël devant la Cour de Justice de l’ONU était habile, car Israël reconnaît cette Cour et a donc été obligé de se défendre. Sa présence, que ses dirigeants le veuillent ou non, valide la décision de la Cour.
Il ne s’agit pas d’être naïf. Nous n’attendions pas grand-chose de cette instance de l’ONU, pour les raisons que nous avons évoquées plus haut, la dépendance de l’ONU à l’impérialisme US. L’État d’apartheid sioniste n’est pas tombé. Il est encore debout. L’apartheid en Afrique du Sud ne s’est pas effondré seulement grâce à l’une ou l’autre décision de justice. Ce système d’oppression du 20ème siècle est tombé grâce à l’action des peuples, en même temps qu’un boycott international, en même temps qu’une série de défaites militaires régionales de l’armée sud-africaine d’apartheid face aux Cubains en Angola. C’est tout cela, mis ensemble, qui a conduit à la chute de l’apartheid sud-africain. Pour la fin du colonialisme et de l’apartheid israéliens, ce ne sera pas différent. Cela devra passer par le même processus global, et au sein de celui-ci, ce premier verdict de la CIJ, reste une première pierre de l’édifice.
 
Une analyse des réactions des puissances impérialistes alliées à Israël
On aurait pu croire…
Oui, on aurait pu croire que les mesures que la CIJ ordonne à Israël d’accomplir, son avertissement qu’il existe un danger de génocide, tout cela déclencherait l’obligation pour tous les autres États membres à la Convention contre le génocide de réaliser tout ce qui est leur pouvoir pour prévenir, empêcher, soit que les actes délictueux se poursuivent soit que… se réalise le génocide dans toute son ampleur.
Il n’en est rien. Bien sûr il est possible que les nombreux manifestants solidaires de Gaza, dans les pays impérialistes occidentaux, interpellent leur gouvernement en lui disant : « Il y a une obligation légale qui pèse sur vous à prévenir tout acte de génocide et à empêcher Israël de commettre un génocide ! ». C’est ce que devraient faire ces gouvernements si le fameux Droit International et ses Règles n’étaient pas un vaste tissu de mensonges, une chimère.
 
Le bloc impérialiste occidental continue plus que jamais de soutenir l’État sioniste.
Mais aucun d’eux n’a appelé Israël à appliquer les décisions de la Cour. Seule l’Allemagne a dit qu’elle respecterait les décisions de la Cour. Les autres n’ont pas commenté l’ordonnance du 26 janvier, sauf les USA, qui continuent contre toute évidence à considérer que « les allégations de génocide contre Israël sont sans fondement » et la France. La France, par la voie d’un communiqué du ministère des affaires étrangères, se permet de donner des leçons à la CIJ. La Cour prévoit d'inviter les parties à la Convention sur le génocide à soumettre leurs observations.
Dans ce cadre, la France envisage de « se prévaloir de cette faculté et de déposer des observations sur l’interprétation qu’elle fait de la Convention ». Le nouveau ministre, Stéphane Séjourné, déjà célèbre pour avoir désigné Israël par l’expression « L’État juif » en remet une couche en expliquant aux juges qu’ils doivent tenir compte de « la gravité exceptionnelle du crime de génocide, qui nécessite l’établissement d’une intention » ; comme si les juges ne le savaient pas et n’y avaient pas pensé !!! On pourrait conseiller au ministre de lire les six pages du document sud-africain répertoriant les paroles ou les écrits d’importants dirigeants israéliens appelant au génocide.
La lecture de l’ordonnance de la Cour est pourtant enrichissante.            Elle n’a pas cité les fascistes avérés, ni Itamar Ben-Gvir, ni Bezalel Smotrich, ni les généraux à la retraite Giora Eiland (laissons les épidémies se propager à Gaza), ou Yair Golan (laissons Gaza mourir de faim). Mais elle a cité le président de la République, le travailliste Isaac Herzog (C’est toute une nation qui est responsable), et deux ministres membres du Likoud, celui de la Défense, Yoav Galland (J’ai relâché toute retenue. Nous combattons des animaux humains) et celui des Affaires étrangères Israël Katz (Ils ne recevront pas une goutte d’eau ni la moindre batterie tant qu’ils seront de ce monde) mots prononcés alors qu’il était ministre de l’Energie. L’intention n’est-elle pas établie ?
 Une cible pour les amis des sionistes : l’UNRWA
 
Déconsidéré, Israël s’accroche et ses sponsors ne le lâchent pas
Après la décision de la CIJ, l’État sioniste a lancé une accusation, sans preuve et qui pourrait bien être un nouveau mensonge de leur propagande, contre 12 salariés de l’UNRWA (Agence des Nations Unies pour les Réfugiés Palestiniens) UNRWA avait fourni à l’Afrique du Sud des documents leurs permettant d’étayer leur requête.
Immédiatement 9 pays (USA, 1er donateurs, Allemagne, 2ème, le Royaume Uni, 6ème, le Japon, 7ème, la France, 8ème, le Canada, 10ème, l’Italie, 16ème, la Finlande, 19ème et l’Australie, 22ème) ont décidé de suspendre le financement de l’agence de l’ONU, alors même que le chef de l’Agence, Philippe Lazzarini a annoncé avoir licencié les 12 personnes et lancer une enquête.
Les intentions d’Israël et de ses soutiens sont claires. Il s’agit de continuer le génocide en empêchant l’Agence d’agir et surtout de se débarrasser d’elle, qui est, depuis le début de la guerre contre Gaza, un caillou dans la chaussure des Sionistes. LUNRWA et l’ONU elle-même ont le tort, aux yeux des dirigeants de l’État d’apartheid, de ne pas adhérer au discours de la propagande. On se souvient qu’Israël a demandé la démission du secrétaire général, que, depuis le début du massacre, l’armée d’occupation a pris pour cible des bâtiments et des personnels de l’Agence, au même titre que des personnels de santé et des journalistes, et que Netanyahu accuse depuis longtemps l’UNRWA d’avoir partie liée avec le Hamas (comme l’Afrique du Sud, d’ailleurs). Calomniez, calomniez ! Il En restera toujours quelque chose.
Israël veut poursuivre son génocide sans témoin !
Voilà la réponse d’Israël et de ses soutiens à l’ordonnance de la CIJ ! Ce n’est guère étonnant. En réponse à la décision de la CIJ, avait déclaré : « Je voudrais être clair… Nous ne retirerons pas Tsahal (l’armée « dite » de défense) de la bande de Gaza et nous ne libérerons pas des milliers de terroristes. Rien de tout cela n’arrivera. ». Quand-à Israël Katz, il a annoncé que l’UNRWA serait absente du processus de la suite à Gaza.
 
La catastrophe humanitaire aggravée
Antonio Guterres, le secrétaire-général de l’ONU, a jugé « irresponsable » cette décision et a déclaré : « les dizaines de milliers d’hommes et de femmes qui travaillent pour l’UNRWA […] ne devraient pas être pénalisées » par « les présumés actes de ces 12 personnes »
Le Directeur de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, a exhorté les États-Unis et les 9 pays concernés à faire marche arrière, déclarant : « Ces décisions menacent notre travail humanitaire en cours dans la région, y-compris et particulièrement dans la bande de Gaza », puis précisant « les Palestiniens de Gaza n’avaient pas besoin de cette punition collective supplémentaire ».
21 ONG ont publié une déclaration appelant les États donateurs à revenir sur leurs décisions de suspendre leur soutien à l’UNRWA, expliquant : « la suspension du financement par les États donateurs aura un impact sur l’aide vitale à plus de deux millions de civils, dont plus de la moitié sont des enfants, qui dépendent de l’aide de l’UNRWA à Gaza. La population est confrontée à une famine et à une épidémie sous les bombardements indiscriminés d’Israël et un blocus délibéré de l’aide à Gaza. ».
Ainsi donc, sans aucune vergogne, à la face du monde, les USA et leurs valets annoncent la condamnation à mort par la faim ou le manque de soins de dizaines de milliers de Palestiniens, en plus des 30 000 morts actuels. Leur complicité dans le génocide est désormais aveuglante.
D’ailleurs, les États-Unis, comme la France ont décidé de poursuivre la livraison de quantités massives d’armes à Israël.
 
Mobilisation, luttes et État palestinien
Pour autant, Israël est loin d’avoir obtenu sa victoire. L’ordonnance de la CIJ fragilise l’État sioniste, de plus en plus contesté par les peuples et même par les États. Ainsi l’Espagne, la Belgique et l’Irlande se sont félicités de l’ordonnance et ont demandé que les Sionistes suivent les recommandations.
Pendant ce temps, la mobilisation de millions dans le monde entier, pour le cessez-le-feu se poursuit. De plus en plus d’organisations dans le monde disent que c’est au tour du mouvement ouvrier de faire entendre sa voix et de réclamer le cessez-le-feu, et c’est bien la mobilisation des travailleurs dans le cadre de la solidarité ouvrière internationale qui imposera la paix.
Le Parti Révolutionnaire Communistes rappelle que la paix signifie d’abord le cessez-le-feu, l’accès libre à tous les humanitaires et le retrait des troupes d’occupation ; ensuite le démantèlement des colonies et le droit au retour pour tous les bannis depuis 1948 ; enfin une discussion avec l’ensemble des organisations de la résistance palestinienne avec la perspective d’un État palestinien unique et laïque.