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N° 813 21/03/2023 C'est peu dire que l'annonce d'un accord entre l'Iran et l'Arabie Saoudite sous l'égide de la République Populaire de Chine a provoqué une avalanche de réactions, d'analyses et de prises de positions.

Cet accord a été annoncé à Pékin le 10 mars par Wang Yi, chef de la diplomatie chinoise, entouré de Musaad bin Mohammed al-Aiban,conseiller à la sécurité de l’Arabie saoudite, et d’Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien. Il prévoit dans l'immédiat le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux États. Il vient de se concrétiser par l'invitation le 19 mars du roi d'Arabie Saoudite Salmane au président iranien Ebrahim Raïssi à se rendre à Ryad afin de sceller le rapprochement entre les deux pays.
Tous les observateurs notent qu'il n'est pas habituel que la Chine se place en situation de négociateur pour avancer dans la résolution de situations conflictuelles si loin de ses propres intérêts géo-stratégiques. Ce d'autant que le Moyen- et Proche-Orient sont depuis longtemps des chasses gardées des États-Unis. Ainsi, le pacte scellé sur le cuirassé Quincy entre le président Roosevelt et Abdelaziz Ibn Saoud en février 1945 assurait à Washington un accès privilégié au pétrole du Royaume en échange d’une protection militaire. Les États-Unis, mais pas que, rappelons nous l'opération militaire conjointe de la France et du Royaume-Uni en 1956 pour écraser l'Égypte lors du conflit entre cette dernière et Israël(1) , n'ont eu de cesse d'intervenir dans la région. Après deux guerres contre l'Irak au mépris du droit international et des centaines de milliers de morts, de destructions massives, les États-Unis ont développé une doctrine pour cette région visant à isoler et à combattre l'Iran et la Syrie en développant une alliance entre Israël et les pays arabes.
L'évaluation de la Fondation pour la Recherche stratégique résume la stratégie des États-Unis dans une étude qui affirme(2) : "Le Moyen-Orient n'est plus la priorité dans la stratégie globale des États-Unis", ainsi, Le directeur du Al-Ahram Center of Political and Strategic Studies au Caire, Abdel Moneim Saeed, affirme que la politique internationale des États-Unis vise toujours au leadership mondial mais en se repositionnant en Europe et dans le Pacifique (et moins au Moyen-Orient) afin de renforcer les alliances avec les autres membres de l’OTAN, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et la Corée du Sud.
Ce relatif retrait des États-Unis de la scène Moyen- et Proche-orientale permet ainsi à Pékin de rentrer et en grand, dans ce jeu complexe dominé jusqu'à présent par les États-Unis. Il serait évidemment naïf de penser que les différents protagonistes n'agissent pas pour leurs propres intérêts. L'Arabie Saoudite dont les contentieux(3) avec l'Iran ne disparaissent pas avec cette avancée diplomatique y voit un moyen de contrôler les ambitions régionales et le développement nucléaire de l'Iran avec l'appui de la Chine. L'Iran relativement isolé sur la scène internationale, frappé par des sanctions sans fondement de droit et secoué par des manifestations populaires contre le pouvoir y voit un moyen de se réinsérer dans des relations internationales normalisées et d'affaiblir le front anti-iranien. La Chine de son côté qui a un besoin élevé de sécuriser ses approvisionnements énergétiques. Elle se sait fortement dépendante des importations de pétrole et de gaz pour de longues décennies encore. On la dit, même aux prises depuis une quinzaine d’années avec une « obsession énergétique », en raison de sa dépendance – et vulnérabilité – envers un approvisionnement venu de l’étranger. Ainsi, comme les États-Unis dans les décennies suivant le pacte de Quincy, la Chine oriente désormais une part importante de sa politique étrangère vers la sécurisation des sources et des routes d’approvisionnement en énergies fossiles.
Le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite, marque un tournant géopolitique majeur qui donne à la deuxième puissance mondiale, la Chine, une place de premier plan au niveau international. Il est le témoignage de ce que l'on nomme maintenant un monde multi-polaire dont il faut souligner qu'il est celui de la concurrence entre des pôles impérialistes qui s'affrontent pour le contrôle des ressources naturelles, des moyens de communications matériels et immatériels et de la force de travail.

(1) https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000180/la-guerre-israelo-egyptienne-de-1956.html
(2) https://www.frstrategie.org/publications/notes/avenir-engagement-etats-unis-moyen-orient-vu-experts-americains-2022
(3) Depuis la révolution islamique de 1979, les deux puissances se disputent la suprématie régionale. L’expansion iranienne dans la région a aiguisé leur compétition sur de nombreux dossiers, du Liban au Yémen, en passant par la Syrie et l’Irak.