N° 889 03/09/2024 Le congrès du FLNKS: Un congrès en pleine période néocoloniale
Le FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste) a tenu son 43ème congrès du 30 août au 1er septembre derniers à Koumac, dans le nord de la Kanaky/Nouvelle Calédonie. Le congrès a eu lieu dans des circonstances particulières, en premier lieu la situation délétère du territoire, provoquée par Macron et les loyalistes à sa botte avec cette volonté d’en finir avec le gel du corps électoral, de faire en sorte que toute perspective d’indépendance soit annulée et que le peuple kanak soit minoritaire sur son propre sol. Nous avons écrit sur ce sujet au printemps dernier[1] et rien n’a changé, ni dans la situation, ni dans notre analyse : la France néocoloniale de Macron est seule responsable de l’insurrection, par ses décisions politiques, par ses réponses par la force où les gendarmes étaient accompagnés de supplétifs, des colons armés. Depuis, la situation est plus calme, mais les raisons des insurgés sont plus que jamais vivaces et, de plus, la situation économique s’est encore aggravée avec la fermeture des mines de nickel qui jette des milliers de Kanaks au chômage.
Remettre en place une direction
Une situation particulière ensuite parce que la raison principale de la convocation de ce congrès extraordinaire est la gouvernance du FLNKS. Comme son nom l’indique, c’est un front, qui regroupe quatre organisations politiques, l’Union Calédonienne et le Palika (Parti de Libération Kanak), les deux principales, ainsi que l’UPM (Union Progressiste en Mélanésie) et le RDO (Rassemblement Démocratique Océanien). A partir de 2001, il a été décidé de supprimer la présidence du FLNKS (le titulaire était alors Roch Wamytan de l’UC) et de donner la direction à chacune des composantes à tour de rôle. Une situation que le RDO, en charge de la direction tournante, trouve insupportable, c’est pourquoi il a convoqué le congrès. Aloisio Saiko, son président, résume ainsi la position du RDO : « Qui est le chef ? Qui parle ? Le bureau politique, qui, jusqu'alors, était chargé d'exécuter vos orientations, vos différentes motions, est arrivé à ses limites ! ».
L’éviction de Roch Wamytan
Une situation particulière encore parce que, la veille de l’ouverture du congrès, le 29 août, avait lieu le renouvellement du poste de président du Congrès de la Nouvelle Calédonie (l’assemblée territoriale). Le sortant Roch Wamytan, représentant du FLNKS, en place depuis 2019 a été battu par Veylma Faleo, élue de L’Eveil Océanien, une formation du « juste milieu », censée défendre les intérêts de la « communauté » wallisienne et futunienne, une population minoritaire en Kanaky, issue de plusieurs vagues d’immigration depuis Wallis et Futuna (colonie française du Pacifique) à partir de 1940, et notamment dans les années 70, avec l’encouragement des pouvoirs de droite. Elle a été élue avec les voix des deux organisations de colons, les macronistes de Calédonie Ensemble et la droite classique, le Rassemblement (lié à LR et héritier du RPCR de Jacques Lafleur). Une énième illustration de ce qu’est la « troisième voie ». Cela ne change rien pour l’exécutif du territoire, mais cette éviction est très symbolique de la volonté des loyalistes.
Deux de chute
Une situation particulière enfin, parce que deux des composantes du FLNKS, le Palika et l’UPM, ont décidé de ne pas participer à ce congrès. Ces deux mouvements sont en désaccord notamment avec l’ordre du jour. Charles Washetine, l'un des responsables du Palika, a expliqué que son parti attendait un « congrès de clarification » entre les quatre composantes du Front sur des sujets comme son projet politique, son organisation ou encore la place en son sein de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT). « La priorité est aujourd'hui de prendre conscience de la gravité de la situation, de trouver des solutions à la crise dans laquelle nous sommes et d'arriver à réamorcer les discussions », a-t-il déclaré. Ce à quoi Aloisio Saiko a en quelque sorte répondu : « Le peuple a fait une demande, une demande forte pour qu'il y ait quelque chose qui sorte. Pour qu'on soit rassuré, on va pouvoir se dire les choses ! ». Les divergences ne sont pas nouvelles entre le Palika et l’UPM, regroupés dans l’UNI (Union Nationale Indépendantiste) et les deux autres partis, surtout l’UC. Les deux absents prônent une indépendance-association à la France, alors que les deux autres sont favorables à l’indépendance tout court. La question de l’intégration au sein du FLNKS de la Cellule de coordination des actions de terrain, la CCAT, à l’origine des actions de ces derniers mois était également au menu du congrès. La Cellule de coordination des actions de terrain a été créée en 2023 par l'Union calédonienne, mais le Palika a toujours été plus réservé face à ce mouvement.
Les décisions du congrès et les répercussions
Christian Tein élu président
Un congrès extraordinaire auquel participent les groupes de pression, les nationalistes et la CCAT, tous convoqués pour l’occasion. Près de 300 personnes ont répondu à l’appel, aux côtés de l’Union calédonienne et du Rassemblement démocratique océanien. Et dès l’ouverture, l’objectif du FLNKS a été rappelé : l’obtention de la pleine souveraineté. Un but partagé par toutes les composantes. Le congrès s’est tenu dans une ambiance très fraternelle et a insisté sur la solidarité avec les insurgés du printemps et une position sans compromission sur l’indépendance. Comme un symbole de cette position maintenue de soutien aux insurgés et aux prisonniers politiques de l’État néocolonial français, Christian Tein, président de la CCAT, actuellement en détention provisoire à Mulhouse (Alsace), a été élu président du FLNKS. C’était une proposition de la CCAT et de l’UC, depuis la réunion de son comité directeur le 21 août. Elle a été validée par le RDO ; Laurie Humuni, une de ses dirigeantes, a déclaré « C'était symbolique de le placer à la tête du FLNKS, avec tout ce qu'il s'est passé le 21 février (la venue de Gérald Darmanin en Nouvelle-Calédonie). C'était une décision importante pour la base et les groupes de pression. ». Un choix totalement assumé par les militants présents à Koumac explique Laurie Humuni. Pour elle, cette décision « n’est peut-être pas partagée par tout le monde, mais la majorité a voulu que ce soit Christian Tein ».
Enfin, le congrès extraordinaire du Front a décidé d’intégrer toutes les forces nationalistes présentes au sein de la coalition indépendantiste, soit sept formations, a reconnu la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) comme un outil de mobilisation du mouvement, mais entend aussi desserrer l’étau, libérer les voies de circulation. Il a enfin décidé de de renouer le dialogue uniquement avec l’État.
La réaction des absents et des loyalistes
Comme nous l’avons dit plus haut, le Palika et l’UPM ont déploré que des sujets comme les modalités de sortie de crise et la reprise du dialogue ne figurent pas à l'ordre du jour du congrès. Dans un communiqué diffusé le 29 août, le Parti de libération kanak estime en parlant du FLNKS que « cet outil et tout ce qu’il représente font l'objet d'instrumentalisation […] sous le prétexte de l'unité à tout prix”. Que “la teneur et les objectifs des actions engagées par l'UC au travers de la CCAT, sans concertation avec les composantes du FLNKS, ne correspondent pas avec la vision qu’il porte. ». Et d’indiquer : « Ce rassemblement ne peut pas être un congrès du FLNKS, ce qu’il en sortira n’engagera en aucun cas le Palika. ».
Pour le Palika, les décisions prises à Koumac, et donc, l’élection de Christian Tain, constituent « une reculade par rapport aux acquis du Front, parce que nous avons toujours privilégié le dialogue ». Charles Washetine, son président, a encore déclaré que le risque d’implosion ou de recomposition du FLNKS était bien réel.
Sans surprise, sur les rives politiques coloniales pro-françaises, des sympathisants ont vu une provocation avec la promotion de Christian Tein. Pour les deux formations loyalistes : « Le FLNKS, noyauté et absorbé par la CCAT, ne peut plus être considéré comme un interlocuteur légitime. ».
En conclusion
Alors que les media ne parlent que d’un cran supplémentaire de tension dans le bras de fer avec l’État, pour mieux comprendre ce qui est en jeu, nous donnons la parole aux dirigeants de l’Union Calédonienne qui se sont exprimés à l’issue de la réunion de leur comité directeur, le 21 août.
Gilbert Tyuienon, le 1er vice-président de l’UC, a notamment déclaré : « On attend toujours le retrait du projet de loi constitutionnelle sur le dégel électoral. C'est ça qui a conduit à la situation que l'on connaît aujourd'hui. Deuxième chose : on attend un traitement politique sur la question de nos prisonniers. A minima, leur retour dans leur pays ! ». Quand-au secrétaire général de l’UC, Dominique Fochi, il a été très clair : « Les résultats historiques des élections législatives, qui ont conduit un parlementaire indépendantiste à l'Assemblée nationale, nous confirment que la troisième consultation a bien été volée […] L'Union calédonienne est encore plus déterminée à fermer cette parenthèse coloniale et faire aboutir notre projet de faire accéder le pays à la pleine souveraineté. ». Enfin, aussi bien le comité directeur de l’UC que le congrès du FLNKS de Koumac ont décidé que la déclaration unilatérale d’indépendance reste fixée à la date du 24 septembre 2025.
Le Parti Révolutionnaire Communistes s’est clairement prononcé pour la fin du colonialisme et l’indépendance pleine et entière de la Kanaky. Nous avons condamné fermement l’arrestation de Christian Tein et de ses camarades, et encore plus leur déportation en France néocoloniale, comme aux plus beaux jours du retour de l’esclavage décidé par le premier Consul Napoléon Bonaparte en 1801.
Nous n’avons pas vocation à nous prononcer sur les divergences entre les organisations indépendantistes. Faut-il dialoguer seulement avec l’État néocolonial, le donneur d’ordres, ou aussi avec les organisations compradores ? Ce n’est pas à nous de le dire. La question du recours à l’insurrection, qui apparaît en filigrane dans les points de vue différents, a toujours divisé les courants indépendantistes et même les mouvements révolutionnaires. Il est hors de question pour le Parti Révolutionnaire Communistes de condamner le recours à l’insurrection pour se libérer de l’oppression coloniale. Mais ce n’est pas à nous d’apprécier si les conditions en sont réunies, seuls les Kanaks et leurs organisations indépendantistes ont la légitimité de le faire.
Vive l’indépendance de la Kanaky et son outil, le FLNKS !