Gantry 5

 

N° 844 25/10/2023 Le Conseil européen, représentant les gouvernements des États membres de l’Union européenne, a acté un accord dessinant une réforme du marché de l’électricité. Cette conclusion de longs marchandages et de très vives tensions entre les autorités françaises et allemandes est présentée par la Ministre de la Transition énergétique Pannier-Runacher comme une grande victoire de la France.
Un marché qui marche bien… mais sur la tête des consommateurs
La question de la réforme du marché de l’électricité est posée depuis maintenant plus d’un an après l’envolée des prix de l’électricité qui a obligé les différents gouvernements à prendre des mesures d’urgence (bouclier tarifaire, plafonnement du prix du gaz pour les électriciens, aides directes aux entreprises, etc.). L’Espagne et le Portugal ont été autorisés à déroger aux règles de marché en 2022 avec un plafonnement du prix du gaz destiné à produire de l’électricité. Le gouvernement allemand s’est opposé aux velléités d’ouvrir des discussions sur une réforme d’un marché qui manifestement ne marchait pas… ou trop bien ?
A notre connaissance, aucun opérateur n’a manipulé le marché de l’électricité pour faire monter les prix. La hausse des prix s’inscrit dans le mécanisme même du marché. Le prix de marché de l’électricité s’établit au niveau de l’offre la plus chère.
En effet, si pour assurer la fourniture de l’électricité (qui ne se stocke pas), il faut par exemple 100 milliards de kWh, les producteurs vont offrir leur production selon des prix différents et croissants selon les techniques de production utilisées. Si 99 milliards de production est offert au prix p1 et le dernier milliard au prix p2 plus élevé alors le prix de marché s’établira à p2. Pour une simple raison : s’il manque ce dernier milliard, l’offre sera en défaut et l’équilibre de réseau en danger. Il faut donc bien débourser p2 pour assure l’équilibre offre et demande.
Pour cette raison, c’est bien sur les prix du kWh gaz que les prix de marché se sont alignés. Et le prix du gaz avait déjà doublé lors du déclenchement de la guerre russo-ukrainienne. L’arrêt des réacteurs nucléaires français était bel et bien fortuit et curieusement, Outre Rhin, des voix se sont élevées pour dénoncer ses dysfonctionnements malvenus du nucléaires français. En clair, le prix du marché de l’électricité a fonctionné comme prévu : il reflétait bien le coût du dernier kWh produit, c’est-à-dire le kWh électrique produit à partir du gaz. Le coût d’approvisionnement en gaz représente les 2/3 du coût total d’exploitation des centrales gaz.
Et comme l’Union européenne a mis en place un marché unique, les prix ont grimpé de manière uniforme en Europe, par contagion car si vous pouvez vendre un kWh plus cher en Allemagne, pourquoi le vendre en France et donc l’acheteur français doit s’aligner sur les prix élevés pour obtenir sa fourniture d’électricité. L’unicité du marché organise une drôle de cohérence européenne. Est-il besoin de préciser que les échanges sur le marché permettent de diriger des flux financiers vers des spéculateurs qui ne produisent, ni ne produiront jamais un kWh. Et qui n’ont pas besoin de tricher pour cela !
Si les consommateurs – en particulier le monde du travail – supportent le fardeau de ce fonctionnement bien huilé du marché, en revanche outre les spéculateurs sur le marché, les autres grands gagnants de ce jeu sont les compagnies gazières nationales étrangères et les pétroliers (qui vendent aussi du gaz à l’instar de Totalenergie) et… ceux qui produisent de l’électricité sans utiliser du gaz (nucléaire et énergies renouvelables).
Révision idéologique déchirante et alliance franco-allemande de nouveau type
Désignés à la vindicte comme « profiteurs de guerre », ces producteurs, qui n’ont pas fait le choix de produire de l’électricité avec du gaz, se voient infliger selon la terminologie de la Commission européenne une « contribution de rente inframarginale » (CRIM). La Commission propose avec la CRIM de confisquer toutes les recettes générées au-delà d’un plafond de prix de l’électricité sur le marché (initialement 180 €/MWh, en France 90€/MWh pour le nucléaire et 100 €/MWh pour l’éolien). Si le producteur nucléaire vend une quantité d’électricité Q à 100 €/MWh, il retourne aux autorités publiques (100-90) x Q.
En clair, l’Union européenne décide de mettre sous contrôle les profits : une vraie révolution conceptuelle. Il est à noter également que l’Union européenne décide d’exercer cette terrible décision aux producteurs « vertueux », dits dans le jargon « bas-carbone » c’est-à-dire à faibles émissions de gaz à effet de serre.
Mais ce n’est qu’expédient. Le Président Macron, alors que les discussions extrêmement tendues continuent à Bruxelles, déclare tout de go qu’il entend reprendre en main le prix du kWh. Petite pression sur le voisin allemand qui n’entend pas démanteler le marché. Aux yeux du gouvernement allemand, son avantage réside dans la transmission des coûts de manière uniforme en Europe et comme le dernier kWh produit en Allemagne sera pour longtemps le kWh gaz (fermeture des centrales lignite, charbon et nucléaire) autant partager les joies du marché, il en va de la compétitivité relative de l’industrie allemande vis-à-vis de ses voisins.
Le patronat allemand ne partage pas cette vision car il s’alarme du plan de développement de Washington (Inflation Reduction Act, un plan de dépenses pour soutenir le développement des techniques de transition énergétique de 350 milliards de $), destiné à attirer les investissements industriels et certaines entreprises allemandes se montrent intéressées. Leur problème n’est pas la prépondérance industrielle allemande en Europe car si l’énergie en Europe devient chère, les capitaux industriels peuvent aller voir ailleurs ainsi que leur soutien financier. Et s’expliquent ainsi les prises de position de grands patrons allemands (en particulier d’entreprises d’énergie de fourniture d’énergie et de réseaux peu délocalisables) : de très clairs rappels à l’ordre au gouvernement allemand pour cesser sa politique de sape du nucléaire français.
Bref, les autorités françaises ont bénéficié des inquiétudes du patronat allemand.
L’accord dessine de prochains changements dans le paysage électrique français
Qu’a donc obtenu la France ? Des prix de vente garantis pour la production des futurs réacteurs nucléaire mis en construction à partir de 2035 (normalement…) et pour celles des réacteurs existants dont l’exploitation va être prolongée.
Cette garantie de prix serait réalisable par deux méthodes :
  • des contrats privés entre producteur et acheteur (avec engagement de livraison, de prix), intitulé dans le jargon PPA (Power Purchase Agreement, en français, accord de vente d’électricité, tout simplement !) ;
  • un système de garantie compensatoire engageant le producteur et l’autorité publique. Dans ce cas, l’autorité publique fixe un prix garanti et si le prix de marché est inférieur, elle rembourse la différence au producteur et symétriquement le producteur reverse l’excédent de recette au-delà de ce plafond en cas inverse. Ce système déjà largement utilisé dans les projets éoliens s’intitule CfD (Contrat for Différence, en français Accord compensatoire).

Comme il s’agissait des deux méthodes privilégiées par les autorités françaises, s’explique parfaitement la querelle entre entités publiques et EDF au sujet du prix du MWh nucléaire (qui orienterait le niveau prix garanti et les négociations dans les contrats bilatéraux). Bien évidemment, la Direction d’EDF préconise un prix garanti plus élevé que celui visé par le gouvernement.

Le gouvernement français est également préoccupé par la fin de l’Accès Régulé à l’Énergie Nucléaire Historique (Arenh). Institué en 2012, l’Arenh oblige EDF à fournir à ses concurrents sur demande 100 milliards de kWh à un prix fixé. La Commission de Régulation de l’Energie a relevé ce quota lors de la montée des prix de marché pour protéger… les concurrents d’EDF et leurs clients.
Le système de prix garanti, qui se profile, pourrait se substituer à l’Arenh : si le prix garanti est inférieur aux prix de marché, les concurrents s’adressent au marché et l’État compense de la différence EDF et réciproquement si le prix de marché est supérieur au prix garanti, EDF reverse la différence à l’État qui rembourse les concurrents d’EDF de la différence.
Dans ce schéma, un mystère demeure : à quoi servent vraiment les concurrents d’EDF ? Cette construction byzantine permet de redistribuer de la rente au capital et de manière adjacente d’en spolier le monde du travail. C’est bien encore du « marché », allégé de risques, transférés à la collectivité.
Les mesures sur la régulation du marché de l'énergie électrique aussi complexe soient-elles reflètent une chose simple et fondamentale, celle de la contradiction entre le caractère profondément social de la production électrique et la réalisation des profits capitalistes. Pour résoudre cette contradiction, c'est donc l'État qui, pour l'essentiel finance les lourds investissements sur de longues durées et est amené à jouer le rôle de régulateur. Comme État du capital, il donne l'avantage à la réalisation des profits et à l'accumulation du capital et cela dans un contexte d'internationalisation d'une concurrence féroce entre les monopoles capitalistes. La question des choix en matière énergétique, de leurs financements, est donc d'évidence un enjeu majeur de la lutte des classes. C'est de ce point de vue de classe que nous nous plaçons en luttant pour la constitution d'un système public de production et de distribution de l'énergie par la nationalisation totale du secteur, sous le contrôle des travailleurs et de la Nation.
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