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N° 840 28/09/2023 Le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a annoncé le 20 septembre dernier la suspension pure et simple des livraisons d’armes à l’Ukraine. Il y a pour le moins un refroidissement des relations entre Varsovie et Kiev. Quelle est la nature du différend entre les deux pays ?
La pomme de discorde porte sur les céréales produites en Ukraine. Au printemps 2022, la Commission européenne a mis en place des « voies de solidarité » pour faciliter la sortie et la vente de produits agricoles ukrainiens, sans droits de douane, vers l’Afrique et le Moyen-Orient. Une de ces « voies » passe par la Pologne. Depuis le début du conflit, ce sont près de 50 % des céréales ukrainiennes qui transitent ou achèvent leur parcours dans l’Union européenne. Or, ces céréales affichent un prix beaucoup plus bas que le blé produit en UE, notamment dans les pays d’Europe centrale.
Arguant que ces céréales, dont une partie reste bloquée dans leurs silos, déstabilisent le marché local et donc les revenus de leurs agriculteurs, la Pologne, la Bulgarie, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie ont bloqué unilatéralement leurs importations en avril 2023. Un embargo que Bruxelles a accepté, à condition qu’il n’empêche pas le transit vers d’autres pays et qu’il ne dure que quatre mois. Le 17 juillet, la Russie ne renouvelle pas l’accord d’exportation de céréales via la mer Noire, en soutenant que ses propres céréales et les engrais minéraux qu'elle produit sont bloqués du fait des sanctions occidentales, ce qui donne encore plus d’importances aux fameuses « voies ».
Les mesures temporaires n’ayant pas réglé le fond du problème, celui-ci réapparaît à mesure que la date limite de l’embargo approche. Avant même le 15 septembre, Varsovie déclare que « quelle que soit la décision ultérieure de la Commission, nous n’ouvrirons pas notre frontière aux céréales ukrainiennes ». Pour la Commission européenne, l’embargo n’a plus de raison d’être car ses analyses montrent « qu’il n’y a plus de distorsion des marchés nationaux pour les céréales », ce qui reste à prouver, et Kiev s’est engagé à maîtriser les flux de grains. « L’intérêt des agriculteurs polonais (…) est plus important pour nous que n’importe quelle réglementation de Bruxelles qui leur porterait préjudice », répond Robert Telus, ministre de l’agriculture.
La situation s’est rapidement envenimée : l’Ukraine porte plainte, le 18 septembre, contre la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie devant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) pour exiger des compensations financières, considérant que « les actions unilatérales des États membres de l’UE dans le domaine commercial sont inacceptables ». « Je préviens les autorités ukrainiennes que s’ils veulent intensifier le conflit comme ça, nous interdirons d’importation des produits supplémentaires », rétorque, le 20 septembre, le premier ministre polonais Morawiecki.
Et le conflit ne s’est pas apaisé. La querelle entre la Pologne et l’Ukraine s’est affichée sur la place diplomatique la plus publique qui soit : l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Devant des journalistes, le président polonais Andrzej Duda a comparé l’Ukraine à un homme qui se noie et qui risque d’entraîner au fond et noyer aussi celui qui cherche à le sauver. Autrement dit, la Pologne.
Alors qu’il doit se rendre à la Maison Blanche puis au Congrès lors d’une tournée diplomatique qu'il estime cruciale, le président ukrainien Volodymir Zelensky a, lui, profité de son discours pour rappeler que la Russie « se sert du prix des aliments (…) comme d’une arme » et critiqué, sans les nommer, « certains » pays qui « feignent la solidarité en soutenant indirectement la Russie ». Il est probable que pour le régime polonais, férocement russophobe, ces insinuations appuyées ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. C’est dans la foulée que Morawiecki a annoncé la fin des livraisons d’armes. Officiellement, cette décision s’explique par la volonté du gouvernement polonais de privilégier « la modernisation et l’armement rapide de l’armée polonaise »[1].
Les déclarations sont, pourtant, rapidement nuancées par son entourage : un porte-parole a précisé, le 21 septembre, que cela ne concernera pas « les livraisons de munitions et d’armements convenues antérieurement » et que l’aéroport de Rzeszow-Jasionka, où transite 80 % de l’aide militaire et humanitaire vers l’Ukraine, continuera de fonctionner. Quelques heures plus tard, le président polonais, Andrzej Duda, a lui-même assuré que la déclaration de son premier ministre a été mal interprétée. « Les paroles [de Mateusz Morawiecki] ont été interprétées de la pire manière qui soit. (…) A mon avis, le premier ministre voulait dire que nous ne transférerons pas à l’Ukraine le nouvel armement que nous sommes en train d’acquérir pour moderniser l’armée polonaise », explique M. Duda à la chaîne de télévision TVN24.
Évidemment, malgré ce relatif rétropédalage, ces annonces sèment la panique chez les dirigeants ukrainiens ; la Pologne est, de loin, le pays qui fournit le plus d’armes à l’Ukraine, et probablement aussi des combattants.
La proximité des élections législatives, qui auront lieu le 15 octobre en Pologne est probablement une autre cause de ces tensions. La population polonaise commence à avoir du mal à supporter les réfugiés et les libéralités accordées aux amis de Zelensky. Le principal soutien électoral du parti au pouvoir (Droit et Justice) vient des zones rurales, et les paysans n’arrivent pas à vendre leur production. Par ailleurs, le parti nationaliste Konfederacja (Confédération) surfe sur le passé historique, et notamment les massacres de polonais par les Bandéristes[2] en Volhynie en 1943.
Cette tension est révélatrice de la réalité des contradictions, voire des dissensions au sein du monde capitaliste et de l’Union européenne en particulier. C’est fondamentalement par haine de la Russie que la Pologne soutient le régime de Zelensky. Mais cela ne suffit pas à faire un front uni. La direction de l’UE utilise à fond cette haine, comme celle des dirigeants fascisants des pays baltes et de l’Estonie. Et elle utilise à fond le récit des nazis, à propos de la seconde guerre mondiale. Mais cela ne suffit pas quand les intérêts des très riches propriétaires terriens polonais (rétablis dans leurs propriétés au moment de la contre-révolution) sont mis en cause.
La Pologne est un État capitaliste en pleine expansion (pas ses salariés), dédié par les USA dont ils sont des fidèles à jouer un rôle de puissance impérialiste régionale, y compris aux dépens de l’Allemagne. Sa position dans l’UE et au sein de l'OTAN est affermie depuis la guerre, la vassalisation accrue de l’UE et de ses États à l’impérialisme dominant. L’Ukraine, engluée dans sa guerre, avec des morts n’est qu’un pion dans cet affrontement au sein du système impérialiste[3]. C’est ainsi, la société capitaliste est le théâtre d’une concurrence acharnée, sans pitié, et les amis d’hier peuvent devenir les ennemis de demain.
Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, cela montre encore une fois la catastrophe qu’a représentée la disparition de l’URSS et les contre-révolutions en Europe de l’Est, dressant les uns contre les autres, des peuples qui vivaient jusqu'alors en paix.
[1]selon le Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales GIFAS : " la Pologne a adopté un plan de réarmement de grande ampleur. Le Premier ministre Mateusz Morawiecki a annoncé une hausse considérable des dépenses militaire en 2023, qui passeront à 97 milliards de zlotys (20,3 Md€), dont 8,3 Md€ pour l'achat d'armes, portant ainsi les dépenses de Défense du pays de 2,4 % à 3 % du PIB. Il souhaite doubler les effectifs militaires pour constituer une armée de 300 000 hommes (contre 140 000 soldats actuellement). "
[2]Stephan Bandera : Il est l'un des dirigeants de l'Armée Insurrectionnelle Ukrainienne (UPA) et le chef de file de l'Organisation des Nationalistes Ukrainiens (OUN-B), fasciste. Dans sa lutte pour l'indépendance de l'Ukraine contre la Pologne et l'URSS, il collabore activement avec l'Allemagne nazie.
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