N° 885 08/08/2024 Bis repetita ou pas ?
Après les élections présidentielles du 28 juillet, pour beaucoup d’observateurs non avertis, nous assistons au concert habituel, connu depuis la première élection de Chavez (1998) entre les partisans de l’impérialisme dominant, qui contestent les résultats et les anti-impérialistes qui soutiennent le gouvernement qualifié de bolivarien. Or, pour le Parti Révolutionnaire Communistes, cette vision habituelle des choses est aujourd’hui clairement erronée.
Nous avons, à plusieurs reprises, indiqué, depuis quelques années, que le gouvernement de Maduro et une bonne partie de ses soutiens internationaux n’étaient pas anti-impérialistes, mais combattent le seul impérialisme US et ses vassaux et sont liés à un bloc impérialiste concurrent, celui animé par la Chine et la Russie.
Les changements au Venezuela et dans les rapports avec le bloc impérialiste occidental
Or, même à ce sujet, il convient de nuancer et d’examiner le véritable rapport de l’État vénézuélien et de la puissance impérialiste dominante.
Il y a des années que le Parti Communiste Vénézuélien (PCV) a rompu son alliance avec le Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV), le parti de Chavez et de Maduro, qui dirige l’État vénézuélien, car au lieu de donner des garanties à la classe ouvrière vénézuélienne, le parti de gouvernement s'est engagé dans un dialogue avec l'opposition fasciste et pro-états-unienne. Parmi les garanties offertes, Maduro a entrepris de liquider le PCV et les autres partis à sa gauche, privatisé les entreprises publiques (notamment minières et une partie des pétroles avec la récente braderie à Chevron), en plus de violer allègrement la Loi organique du travail, d'éliminer pratiquement les salaires au profit de "bonifications"...
Avec la guerre en Ukraine, puis à Gaza, les États-Unis, désormais très occupés ailleurs, se sont joints à ce pacte entre l'opposition de droite et le PSUV qui semble s'être cristallisé de la sorte : Maduro conserve le pouvoir politique en échange d'une libéralisation totale de l'économie.
Quelques jours avant les élections, le Wall Street Journal publiait un article où il souligne que, pour le milieu des affaires (le capital financier US), une réélection de Maduro serait la meilleure issue, prouvant donc que l'impérialisme US n'a pas vocation à interférer dans les élections, contrairement à ce qui était la norme depuis 1998 et l'accession de Chavez au pouvoir.
Contrairement à 2018, les chancelleries occidentales (comme en témoigne la réaction conjointe des pays membres du G7, ce qui inclut les É.U., l’Allemagne, la France et le Canada), n'appellent pas à rejeter les résultats des élections présidentielles. Elles demandent, tout comme la Colombie de Petro, le Brésil de Lula et le Mexique de Sheinbaum, pourtant relativement proches du Venezuela bolivarien, que les actes de vote soient publiés dans leur détail. Cette attitude, au-delà du discours qui, pour la forme, doit quand même laisser sous-entendre que Maduro n'est pas un ami, tranche complètement avec les appels à la rébellion (littéralement) et à des interventions humanitaires sous prétexte de responsabilité de protection de 2018. Même la réaction de Blinken est, somme toute, très mesurée. Si l’UE a indiqué qu’elle ne reconnaissait pas les résultats, pour autant elle ne reconnaît pas non plus comme vainqueur l’opposant pro-US à Maduro, Gonzalez, alors que tous les pays du bloc occidental avaient, en 2018, refusé de reconnaître Maduro et reconnu son adversaire, le fasciste Guaido, comme président légitime, malgré le fait que, cette fois-là, comme auparavant, les résultats détaillés des votes avaient été publiés.
Après les élections
Mercredi 31 juillet, le PCV, avec ses alliés, ont organisé une conférence de presse. Avec des représentants de L'Autre Campagne, de Voix Anti-Impérialistes, du Bloc Historique Populaire, du Mouvement Populaire Alternatif, du Front National pour la Lutte de la Classe Ouvrière, ils ont créé, samedi 3 août, à Caracas, un front démocratique-populaire « pour la défense de la Constitution et de la souveraineté ».
A la suite de la proclamation des résultats, une vague de mobilisations massives a eu lieu dans les principales villes du pays, remettant en question le résultat annoncé par le Conseil National Electoral. Tribuna Popular, le journal du PCV, indique dans son éditorial du 1er août dernier, que celles-ci se sont produites en particulier dans les quartiers populaires. C’est un fait à souligner. Contrairement à d’autres mobilisations qui ont remis en question le résultat électoral dans un passé récent, celles-ci n’ont pas eu lieu dans les zones à revenus moyens et élevés, traditionnellement alignées sur l’opposition politique de droite ; mais dans des quartiers et des villes qui, dans le passé, ont été protagonistes du processus politique et social mené par le président Chavez.
Il est important de souligner que contrairement à ce qui était le cas par le passé, il ne s'agit justement pas d'agents payés par l'étranger. Ce sont des manifestations spontanées issues des quartiers et milieux populaires. Une des preuves en est que, contrairement aux "guarimbas" et autres épisodes violents, actuellement, celles-ci sont en train de se tasser. Avant, elles duraient des semaines voire des mois - précisément parce que la Colombie, les États-Unis et autres agents de l'impérialisme les finançaient, ce qui, apparemment, n'est plus le cas.
La grande majorité de ces manifestations étaient pacifiques : foule dans les rues, marches spontanées, bruits de casseroles et de poêles, slogans. Certains d'entre eux ont déclenché des événements violents, que le PCV et ses alliés ont condamnés. Ce que condamnent, en revanche, les Communistes vénézuéliens, c’est la réaction de l’État, qui a criminalisé à grande échelle les manifestations, les qualifiant toutes de violentes et terroristes. Il a poursuivi plus de 1 000 personnes et a activé non seulement les forces de sécurité, mais aussi des civils armés qui ont tiré avec des armes à feu sur les manifestants et procédé à l'arrestation, dans certains cas, de personnes portées disparues.
Remarques du Parti Communiste Vénézuéliens sur le vote et ce qui a suivi
Voici le relevé par Tribuna Popular des problèmes rencontrés lors de la première annonce des résultats le 29 juillet : « -a- la plainte déposée par l'un des candidats selon laquelle le Bulletin n ° 1, qu'Amoroso (président du CNE) a lu aux premières heures du 29, n'a pas été imprimé dans la salle de totalisation, en présence des témoins des partis, comme indiqué par le protocole qui aurait dû être réalisé ; -b- la plainte de l'équipe d'un autre candidat qui indique que le résultat annoncé par Amoroso, déclarant vainqueur l'actuel président Nicolas Maduro, ne correspond pas au total de 80% des minutes en sa possession ; -c- la proclamation de Nicolas Maduro comme président élu, malgré le fait qu'il restait 20 % des procès-verbaux à totaliser (l'équivalent de plus de 2 millions de voix), ce qui aurait pu modifier le résultat final ; -d- la plainte du président de la CNE concernant un piratage massif de la plateforme électorale considérée comme invulnérable, qui a entraîné l'interruption de la transmission des données le 28 et ; -e- la non-publication des résultats désagrégés, tableau par tableau, comme cela s'est produit quelques heures après les processus précédents, ce qui empêche la vérification citoyenne du processus. La force du système électoral vénézuélien, testé lors de dizaines d’élections, réside dans sa transparence. A cette occasion, il existe des faits et des plaintes qui limitent sérieusement cette caractéristique et, par conséquent, affaiblissent la crédibilité des annonces partielles faites par le CNE. ».
Position du PCV et de ses alliés du Front Démocratique et Populaire
Le PCV et ses alliés exigent la publication détaillée des résultats, comme cela a toujours été le cas. A ce sujet, dans son adresse aux partis communistes et ouvriers du monde du 3 août, Hector Alejo Rodriguez, le secrétaire international du PCV, déclare : « Il n’est pas vrai qu’exiger le droit à la transparence dans le processus électoral et le respect de la volonté populaire exprimée en majorité lors des urnes signifie se ranger du côté des forces politiques de la droite traditionnelle, et encore moins de l’impérialisme. C’est ce chantage grossier que la faction bourgeoise au pouvoir entend utiliser pour disqualifier et criminaliser les luttes légitimes des travailleurs et des couches populaires qui exigent aujourd’hui la transparence et la vérification des résultats électoraux. ».
En outre, le 31 juillet, le président Nicolas Maduro s'est présenté devant la salle électorale du Tribunal Suprême Judiciaire (TSJ), la cour suprême vénézuélienne, pour déposer un recours demandant son intervention dans un processus de totalisation qui n'est pas encore terminé et dans l'enquête sur de prétendus délits électoraux.
Le PCV considère que l'action du TSJ dans le processus encore inachevé de totalisation et d'audits peut ne pas contribuer à la transparence et à la rapidité nécessaires du processus. Tribuna Popular écrit : « Le chemin vers la paix et la démocratie implique une action transparente, vérifiable et rapide de la part du CNE. Toute action institutionnelle qui fait obstacle à cela vise à générer de la violence et à affaiblir les garanties des droits politiques de la population. ».
L’analyse du PCV est claire et simple : la crise politique actuelle est une manifestation violente des caractéristiques spécifiques du conflit historique entre fractions de la bourgeoisie nationale et mondiale pour le contrôle des revenus pétroliers vénézuéliens.
Et, pour que les choses soient bien claires quand-à la réalité de la politique menée par Maduro, Hector Alejo Rodriguez précise : « Ce n’est pas que les sanctions économiques n’ont aucune responsabilité dans la crise à laquelle est confronté le pays, c’est que le gouvernement de Nicolas Maduro a utilisé le pouvoir répressif de l’État pour protéger les capitalistes des effets de ces sanctions et de la crise, en amplifiant leurs conséquences sur le les travailleurs et les gens en général. C’est la raison pour laquelle le gouvernement se vante d’une prétendue reprise économique et d’un boom des investissements privés, alors que les travailleurs ont perdu presque tous leurs droits sociaux et du travail. C'est le gouvernement PSUV qui a gelé les salaires des travailleurs pendant 3 ans à 3,5 dollars par mois, qui a subventionné les revenus des entreprises, qui a supprimé de facto les prestations sociales des travailleurs, qui a imposé des résolutions visant à démanteler les conventions collectives des travailleurs publics et privés. ».
En conclusion
Ce qui est clair, c'est que le gouvernement vénézuélien n'est plus, contrairement à ce qu'il était en 2018, une force anti-impérialiste sur laquelle les travailleurs peuvent compter. Le Parti Révolutionnaire Communistes approuve l’analyse du PCV, sur la présence au Venezuela, désormais, de deux blocs bourgeois. L’un, au pouvoir, représente la Bourgeoisie nationale et l’autre, dans l’opposition, la Bourgeoisie compradore*, vendue aux intérêts de l’impérialisme dominant.
A plusieurs reprises, nous avons alerté dans cet hebdo sur les dangers que représentent un mouvement d’émancipation nationale conduit par la Bourgeoisie nationale. Le Venezuela d’après Chavez ressemble diablement à l’Egypte d’après Nasser ou à l’Algérie d’après Boumediene.
Dans ce cadre, les assouplissements consentis par l’actuel gouvernement, depuis plusieurs années, les concessions à l’impérialisme US ne sont pas vraiment une contradiction. Les tenants d’un « monde multipolaire » évoquent un bloc anti-US composé des BRICS et de leurs alliés dont fait partie le Venezuela de Maduro. C’est mal connaître les contradictions internes du monde impérialiste, y compris parmi les opposants à l’impérialisme dominant. Dans une récente analyse sur la situation aux Proche et Moyen Orients, Kemal Okuyan, secrétaire-général du Parti Communiste de Turquie (PCT) déclare : « L'administration américaine est consciente que le bloc auquel elle est confrontée n'agit pas avec certains principes, idéaux et cohérence idéologique comme c'était le cas en Union soviétique. En fait, il n'y a pas de bloc du tout. De nombreux pays capitalistes, grands et petits, qui pensent que l'ouverture constante par les États-Unis et l'OTAN de nouvelles zones d'intervention dans le monde entier menace leurs intérêts, se sont liés les uns aux autres et, avec des orientations idéologiques différentes, ont créé des forces armées qui leur sont rattachées et qui proviennent des masses de pauvres gens en colère contre l'agression des États-Unis et de leurs alliés. ». Au sein même des BRICS, que dire du rôle de l’Inde qui négocie avec l’UE et Israël le tracé d’un gazoduc concurrençant les projets de la Chine ?
Maduro doit manœuvrer selon les intérêts de la bourgeoisie nationale, au milieu des contradictions inter-impérialiste et est obligé, dans ce cadre, de faire des concessions à l’impérialisme dominant. Dans ce cadre, il est peu probable que les USA veuillent vraiment déstabiliser le Venezuela.
Un autre chemin, celui qu’avait pris Chavez, serait d’organiser la résistance à l’impérialisme, de cesser la répression antipopulaire, de revenir aux mesures sociales qui avaient fait le ciment du régime de Chavez et d’engager le pays sur la voie de la construction du socialisme, en faisant de la classe populaire et des couches populaires les acteurs décisifs de ce processus, ce n’est pas le choix de Maduro.
Le Parti Révolutionnaire Communistes apporte tout son soutien aux travailleurs du Venezuela, à sa classe ouvrière et à son parti, le Parti Communiste du Venezuela.
*La bourgeoisie compradore est cette fraction de la bourgeoisie dont les intérêts sont liés au capital impérialiste