N° 867 04/04/2024 Election triomphale, avec des nuances
Bassirou Domaye Faye a été élu triomphalement président de la République du Sénégal. Il a obtenu 54,28 % contre 35,79 % à son principal rival, Amadou Ba, premier ministre du président sortant Macky Sall.
Les Sénégalais ont manifestement envoyé un message clair à l’ancien président et à son parti, l’Alliance Pour la République (APR), probablement à cause de la vie chère et de la corruption galopante au sein de l’État. Les jeunes en particulier ont pas mal plébiscité, le PASTEF (Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l’Éthique et la Fraternité) et son leader, qui n’a pu se présenter lui-même, Ousmane Sonko.
Néanmoins, il ne faut pas exagérer l’importance du succès de Faye. La participation à cette élection présidentielle était de 61,6 %, contre 66,27 % en 2019, lors des élections précédentes, où Macky Sall avait été réélu au premier tour avec 58,26 % des exprimés. Il est clair qu’un nombre non négligeable de Sénégalais ont décidé de ne pas choisir entre l’héritier de Macky Sall et le poulain d’Ousmane Sonko.
Un double discours
L’une des mesures phares que proposait le nouveau président au cours de sa campagne est la fin du Franc CFA. Pour autant, lors de sa première prise de parole en tant que président, celui que Le Figaro qualifie de « Admirateur de l'ex-président américain Barack Obama et du héros sud-africain de la lutte anti-apartheid Nelson Mandela », ce qui n’en fait certes pas un grand révolutionnaire, a surtout voulu rassurer les impérialistes. S’il s’est présenté comme l'homme de la rupture, du rétablissement d'une souveraineté nationale bradée à l'étranger, et d'un « panafricanisme de gauche », il s'est aussi employé à rassurer les partenaires étrangers qui ont suivi attentivement l'élection. Bien que TV5 Monde prévienne que « Son élection pourrait annoncer une profonde remise en cause systémique », sa déclaration a surtout été remarquée pour ce passage : « Le Sénégal restera le pays ami et l'allié sûr et fiable de tout partenaire qui s'engagera avec nous dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive ».
Lors d’un discours télévisé mercredi 3 avril le président Faye a été dans le même registre. S’il a annoncé : « L'exploitation de nos ressources naturelles, qui, selon la Constitution, appartiennent au peuple, fera l'objet d'une attention particulière de la part de mon gouvernement. Je vais procéder à la divulgation de la propriété effective des entreprises extractives et à un audit du secteur minier, pétrolier et gazier. », il a, dans la foulée, tenu à rassurer les capitalistes avec ces mots : « Les investisseurs les bienvenus au Sénégal […] Les droits des investisseurs seront toujours protégés, de même que les intérêts de l'État et du peuple. ». Quadrature du cercle ou ouverture en direction des impérialistes ?
Les félicitations des impérialistes occidentaux
Ce qui est certain, c’est que les premiers dirigeants à féliciter Faye de son élection ont été ceux des pays impérialistes occidentaux, avant la plupart des dirigeants africains, et d’abord le premier d’entre eux, Biden. Le président états-unien a félicité mercredi Faye et « le peuple sénégalais, qui a démontré que le droit de vote, et le fait que ce vote soit pris en compte, reste le seuil de la liberté en démocratie ». Une pointe directe contre les États du Sahel, dont le Niger, qui vient de renvoyer à la maison les militaires US qui sont sur son sol.
Macron s’est fendu d’un message sur X, en français et en ouolof, s’il vous plaît, félicitant Bassirou Domaye Faye, dans lequel il se réjouit de « travailler avec lui ». Plus globalement, en France, comme dans les autres pays impérialistes occidentaux, cette élection a été bien accueillie. Nos media qualifient Bassirou Domaye Faye « d’opposant anti-système », ce qui ne semble pas faire peur à France 24, ni à TV5 Monde. Une tribune du Monde, le journal officiel de l’État capitaliste français a même salué un moment vivifiant pour la « démocratie », opposant l’élection de Bassirou Domaye Faye, aux prises du pouvoir dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest par les militaires. Le message est clair « Vive la pseudo-démocratie électorale ! A bas les prises de pouvoir violentes anticolonialistes ! ». Evidemment, connaissant Le Monde, on se doute qu’en filigrane, l’élection « démocratique » n’a pas conduit au pouvoir un opposant à l’impérialisme français aussi virulent qu’Ibrahim Traoré, le dirigeant du Burkina, qui se réclame de Sankara, et parfois de Gramsci ou Lénine. Dans un autre article, le même journal nous dit que « on salue aujourd’hui à l’Elysée un scrutin vanté comme un exemple de vitalité démocratique, dans une région où, depuis trois ans, les coups d’Etat se succèdent – au Mali, au Burkina Faso, en Guinée, au Niger –, obligeant les soldats français à quitter le Sahel. ».
Libérateur ou réactionnaire ?
Dans un article, il y a plusieurs mois, nous avions souligné la proximité d’Ousmane Sonko, le mentor de Faye, devenu premier ministre, avec les groupes armés fascistes islamistes qui sont aux prises avec les armées du Mali et du Burkina. On sait que, derrière ces groupes, on trouve la main invisible de l’Oncle Sam. Le côté religieux intégriste des deux hommes n’est pas non plus un signe de l’émancipation future du peuple sénégalais. Faye a deux épouses, ce qui ne saurait être un signe de la libération féminine au Sénégal. Les réactionnaires religieux ne peuvent être des vecteurs de libération nationale ou de renversement de l’oppression capitaliste
Par ailleurs, La mission d'observation de l'Union africaine a salué dans un communiqué « la maturité démocratique du peuple sénégalais le climat global pacifique de l'élection présidentielle ». On sait que l’UA n’est pas vraiment l’ennemie des puissances impérialistes et pas vraiment l’amie des trois pays de l’AES, l’Alliance des États du Sahel.
Mais c’est surtout à propos de la CEDEAO que les déclarations du président Faye sont de nature à inquiéter le plus celles et ceux qui voyaient en lui un « libérateur ».
Faye et la CEDEAO
Rappelons que la CEDEAO, la Communauté Economique Des États de l’Afrique de l’Ouest est une organisation d’États totalement contrôlée par les dirigeants français, lesquels, on s’en souvient, avaient tenté de pousser ces mêmes États à renverser par la force le régime militaire du Niger.
Récemment, nous en avons parlé, le Niger, le Mali et le Burkina Faso ont créé l’AES (Alliance des États du Sahel) qui se veut un espace de coopération anticolonial, à l’opposé de ce qu’est la CEDEAO.
Or, voilà que le nouveau président sénégalais exprime sa volonté de maintenir le pays au sein de cette communauté régionale. Cette position a été affirmée dès sa campagne électorale, où il avait souligné son engagement à ramener ces pays au sein de la CEDEAO. Dans une de ces interventions de nouveau président, il a appelé à consolider les réalisations de l’intégration de la CEDEAO tout en apportant des ajustements nécessaires. La position du Sénégal est soutenue par la Guinée, un État également dirigé par des militaires, mais moins engagé dans la décolonisation que les trois de l’AES. La Guinée partage les mêmes aspirations pour une CEDEAO plus forte. Le Premier ministre guinéen, Amadou Oury Bâ, a exprimé sa confiance dans la capacité des deux pays à travailler ensemble pour renforcer les relations de voisinage et revitaliser la CEDEAO en tant qu’instrument de paix, de stabilité et de progrès économique dans la région ouest-africaine. On croirait Mélenchon ou Roussel appelant à « L’Europe sociale ». Comme l’UE, la CEDEAO n’est pas réformable, c’est un outil au service des multinationales, bâti par elles et qui ne changera pas de nature.
Enfin, au cours de sa campagne, parlant des pays de l’AES, Bassou Domaye Faye avait déclaré, le 23 mars dernier : « Je travaillerai en tant que président de la République du mieux que je pourrai pour les ramener au sein de la CEDEAO ». Cela signifie qu’il se situe en opposition avec la nouvelle Alliance des États du Sahel, laquelle affiche des idées incompatibles avec celles de la CDEAO et son rôle de gendarme pour les Occidentaux.
En conclusion
Dans une vidéo un opposant sénégalais au nouvel élu s’est interrogé sur le premier voyage à l’étranger que fera le président Faye. « Soit il ira dans un pays occidental faire allégeance, soit dans un des trois pays de l’AES pour porter un message des Occidentaux. ». Nous ne pouvons valider cette alternative, même si elle révèle les inquiétudes de celles et ceux qui ont voté pour Faye sans illusion, parce que c’était le moins mauvais des candidats.
Pour autant, il faut être lucide. Les premiers mots du président élu ne rassurent pas vraiment. L’opposition, fortement théorisée par la propagande occidentale, entre son élection « démocratique » et les putschistes » du Sahel ne semble pas le déranger.
Nous disons à toutes celles et tous ceux qui se sont réjouis de l’élection que la Bourgeoisie laisse rarement élire ses ennemis.
Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, il n’y a pas eu de révolution au Sénégal, ni même, pour le moment, de prise du pouvoir par le peuple ou les travailleurs.
Le vieux socialiste Bebel disait « Quand la Bourgeoisie me félicite, je me demande quelle bêtise j’ai pu faire. ». Et quand ce sont Biden et Macron ?
Il y a de la place pour reconstruire un parti révolutionnaire dans ce pays pour celles et ceux qui veulent le changement et qui veulent agir pour l’imposer.