N° 829 10/07/2023 Le Président Macron a réuni le 22 et 23 juin 2023 un sommet « pour un pacte financier mondial » tourné vers les pays à faibles revenus. L’idée générale avancée est d’apporter à ces pays les moyens financiers de mettre en œuvre leur transition énergétique et faire face aux dérèglements climatiques.
Les limites de la solidarité internationale et l’affrontement au sein du système impérialiste
Lors de la COP 2009 à Copenhague, sommet très tendu, les pays riches s’étaient engagés à verser une aide de 100 milliards de dollars par an aux pays à faibles revenus pour les aider à affronter les changements climatiques et développer une politique énergétique dite « vertueuse » qualifiée d'économie à bas carbone.
L’objectif 2020 a été manqué de quelque 20 Md$. Pour autant, ces fonds ne sont pas des dons, ils ne sont pas clairement fléchés et une partie des versements est prise dans les fonds alloués à l’aide au développement. Ainsi sur les 83 Md$ versés en 2020, seulement une vingtaine de milliards peut être considérée comme une assistance nette.
D’après les experts de l’Agence internationale de l’énergie, cités par le journal les Echos (4 novembre 2022), l’investissement privé, prévu dans l’engagement de 100 milliards, a fait défaut car par exemple un projet d’énergie coûte 6 à 7 fois plus cher dans un pays en développement que dans un pays développé. Il est vrai que les subventions pleuvent sur les projets renouvelables dans les pays développés…
Cette situation ne peut que renforcer la défiance des dirigeants des pays en développement et les inciter à se tourner par exemple vers la Chine, devenue une grande créditrice en Afrique. « L’objectif [de ce sommet] peut aussi être de ramener dans le camp des pays fréquentables un certain nombre de pays du Sud, notamment africains, qui sont assez séduits par une forme de dissidence et par des gestes de la Russie ou la Chine sur certains aspects », explique Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’Institut International des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) dans les colonnes du Temps (journal suisse) du 22 juin 2023.
Et elle ajoute « les Occidentaux sont à la manœuvre pour rappeler que l’argent et la solidarité viendront d’eux….Et ce genre de sommet au cœur de l’Europe, avec l’affrontement qui oppose la Chine et les États-Unis, peut aussi être perçu comme une voie alternative, rassurante. »
Pour autant, la Chine était présente à ce sommet et a participé à l’accord de rééchelonnement de la dette du Zambie (en défaut) dont la Chine est la principale créancière (4,1 Md$ sur 6,3 Md$).
Il n’est pas étonnant que le Président Macron appelle de ses vœux une révision de l’architecture des instances financières internationales (FMI et Banque mondiale) dans la mesure où, comme il le dit lui-même dans un entretien à RFI du 23 juin, les restructurations des dettes (conduite par le FMI, la Banque mondiale et le club de Paris des investisseurs privés) ont conduit les pays africains à se tourner vers la Chine. Il faut se mettre d’accord avec la Chine, précise-t-il, sur ce qu’est une dette soutenable.
Et pour cette raison, les Occidentaux sont prêts à faciliter l’accès aux crédits auprès du FMI pour les pays africains (notamment révision des règles d’attribution des Droits de Tirages Spéciaux, monnaies de réserve internationale, alloués au prorata des quote-part des pays dans le FMI, quote-part qui reflète le poids économique respectif de chaque pays.)
En clair, en termes feutrés, le président Macron explique qu’il s’agit de contrer la mainmise de la Chine sur l’Afrique en les liant par des accords internationaux dans l’optique d’éviter des accords bilatéraux de règlement entre les Etats africains et leurs bailleurs chinois. Ces accords pourraient impliquer des accès privilégiés pour la Chine sur les matières premières et tout autre prédation dont l’impérialisme occidental est lui-même coutumier.
L’ingérence pour la bonne cause ?
Le président Macron espère 1 € d’investissement privé pour 1 € d’investissement public. Comme précédemment noté pour les fameux 100 milliards, cet objectif n’est pas évident. Le capital s’investit en Afrique mais essentiellement et en grande masse dans les industries extractives. TotalEnergie a mis 15 Md$ au Mozambique pour un projet gazier en mer, l’italien ENI annonce 8 Md$ d’investissement en Lybie (encore du gaz), Shell et Equinor (Norvège) signent avec la Tanzanie pour un projet de 30 Md$ (toujours du gaz) …
Tout en appuyant massivement les industries extractives, les pays occidentaux font mine de s’inquiéter des conséquences des émissions de gaz à effet de serre et leurs effets sur les pays pauvres africains, qui fournissent une partie des hydrocarbures… qui va alimenter les émissions de gaz à effet de serre.
Mais donc, pour reprendre les mots même du président Macron (toujours à RFI), l’augmentation du financement privé doit nécessairement passer par une diminution des risques économiques et politiques qui freinent les investissements dans les pays émergents, afin de garantir des investissements viables. Apparemment, les compagnies pétrolières ne sont pas freinées par de quelconques risques pour investir massivement dans leur domaine.
L’Afrique, il est vrai, est le théâtre d’affrontements intra-étatiques dont les factions s’appuient la plupart du temps sur des « parrains » externes (fournisseurs d’armes pour le moins, de couverture médiatique aussi…), champions d’impérialisme divers. Dans un cadre plus pacifique, les assertions du président Macron tendent à sous-entendre une souveraineté limitée pour les États africains en termes de modèle économique et politique dont il est attendu un grand retour sur investissement des capitaux.
Le cas mis en exergue durant le sommet est pour le moins emblématique. Le Sénégal va recevoir une aide pour développer la production d’électricité renouvelable. Dans le même temps, le pays va devenir exportateur de gaz naturel après la mise en exploitation d’un champ gazier maritime (partagé avec la Mauritanie) par BP et une compagnie américaine (Kosmos). Pour mémoire, après la rupture d’approvisionnement en gaz russe, le Chancelier allemand (mai 2022) s’était rendu à Dakar pour dire tout l’intérêt de son pays pour ce gaz mais il n’avait pas manqué de visiter une ferme photovoltaïque avant de repartir…La bataille de l'écologie mérite bien un tel détour!
Question : pourquoi le Sénégal doit-il s’équiper de système de production d’électricité renouvelable (40% à l’horizon 2030 avec une aide financière de 2,5 Md€) alors qu’il a à disposition de quoi fournir l’ensemble des Sénégalais avec ses champs gaziers, moyennant la construction de quelques centrales gaz (système électrique total moins de 2 GW aujourd’hui pour 65% de la population alimentée – environ 20 millions d’habitants). Le gaz brûlé au Sénégal émet-il davantage de gaz à effet de serre qu’en Occident ?
Cet exemple nous démontre la persistance d’une activité prédatrice des grandes puissances capitalistes sur les ressources mondiales, en l’occurrence sous le prétexte de conduire une politique énergétique respectueuse du climat.