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N° 857 25/01/2024   Il y a un peu plus de cent ans, le 21 janvier 1924, mourait Vladimir Ilitch Oulianov, le grand Lénine.
Lénine fut un homme essentiel dans l’histoire du mouvement ouvrier communiste. Théoricien de premier plan du marxisme, il fut aussi un des fondateurs et le principal dirigeant du premier parti communiste au monde et l’homme essentiel de la construction et la réalisation de la deuxième révolution socialiste ; enfin, il fut l’homme d’État qui incarna la mise en place et les débuts du premier État socialiste.
Le Parti Révolutionnaire Communistes s’inscrit complètement dans l’héritage de Lénine et pense que, contrairement à ce qu’avait dit Enrico Berlinguer, alors secrétaire général du Parti Communiste Italien en 1976, la source d’Octobre est loin d’être tarie et que nous avons beaucoup à apprendre de Lénine.
Il n’est pas possible de relater l’œuvre de Lénine ni son apport en quelques pages, nous avons donc choisi quelques aspects, traités de manière chronologique, qui ne sont en aucune manière exhaustifs.
 
Brève biographie des débuts de Vladimir Oulianov
Vladimir Oulianov est né dans une famille issue des couches moyennes (son père est enseignant puis inspecteur) à Simbirsk (aujourd’hui Oulianovsk), au sud-est de la Russie d’Europe, non loin de Kazan.
Son frère aîné, Alexandre, est exécuté par pendaison le 11 mai 1887, pour avoir participé à un complot visant à assassiner le tsar Alexandre III. Il faisait partie de la « Narodnaïa Volia » (Volonté du peuple), une organisation du courant des populistes russes, décidée à tout changer en Russie, au moyen d’attentats. Vladimir sera en fin 1887 exclu de l’université de Kazan, probablement plus à cause de son nom que des actes de contestation étudiants auxquels il avait participé.
Dès lors, il va se mettre à lire Marx, puis à préparer et obtenir en 1891 un diplôme passé en candidat libre qui lui permet de devenir avocat. En 1893, il s’installe à Saint-Pétersbourg où il fréquente des cercles marxistes. À la mi-mars 1895, le ministère des Affaires étrangères lève l'interdiction de voyager qui pesait sur lui : il est possible que l'Okhrana, la police secrète tsariste, ait pesé sur cette décision afin de pouvoir se renseigner sur ses activités. Il en profite pour se rendre en Suisse, où il prend contact avec les milieux révolutionnaires russes en exil, faisant connaissance du principal théoricien marxiste russe, Gueorgui Plékhanov. En France, il rencontre Paul Lafargue et Jules Guesde, et en Allemagne Wilhelm Liebknecht.
A son retour en Russie, il s’initie à la pratique militante en rédigeant un tract pour des ouvriers en grève, ce qui lui vaut d’être arrêté par l’Okhrana et condamné à trois ans d’exil administratif en Sibérie Orientale (29 janvier 1897). Le 10 juillet, il épouse en Sibérie, sa compagne Nadejda Kroupskaïa, qu’il a rencontrée dans les cercles marxistes de Saint-Pétersbourg et qui est également déportée. Il peut faire éditer sous un nom d’emprunt « Le développement du capitalisme en Russie ». Il y développe l’idée que le capitalisme est, en Russie, parvenu à un stade relativement avancé de développement, la paysannerie étant divisée en prolétaires agricoles et en « koulaks », ou paysans riches, qui tiennent le rôle de la bourgeoisie. Il s'appuie sur son analyse pour démontrer que, du fait du stade de développement du capitalisme en Russie, l'évolution vers le socialisme se situe dans une perspective nettement moins lointaine que ne le croient en général les marxistes russes.
Il rejoint, peu après sa création en mars 1898 le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (POSDR), depuis son exil sibérien. Le 15 mai 1900, les autorités tsaristes, qui jugent que l'exil hors de Russie condamne les opposants à l'inefficacité, accèdent à sa demande d’autorisation de quitter le pays. En juillet, il prend le chemin de la Suisse. Il y rejoint Plékhanov et d’autres marxistes. En 1901, il fait partie des rédacteurs de la revue « Iskra » (L’étincelle), publiée à Munich et diffusée clandestinement en Russie.
 
« Que Faire ? »
En 1902, il publie sous le pseudonyme de Lénine, une œuvre majeure sur la question du parti, « Que Faire ? ». Il s’agit d’y caractériser l’outil parti dont les révolutionnaires marxistes ont besoin et de combattre les révisionnistes¹. Dès 1895, Lénine s’en était pris au premier des révisionnistes, Benrstein². Le « Que faire ? » constitua l’arme essentielle pour battre le révisionnisme qui niait le caractère scientifique de l’analyse marxiste, c’est-à-dire qu’il excluait pour le prolétariat la possibilité même de se doter d’une stratégie.
Lénine indique : « La grande importance de la théorie révolutionnaire, de la dévotion absolue à la révolution, de la propagande parmi le peuple, qui n’est jamais perdue même si des décennies séparent la période des semailles de celle de la récolte. ». Le prolétariat moderne héritera de ce concept du révolutionnaire professionnel, complètement dévoué à la cause, un point de force fondamental pour sa lutte révolutionnaire. Avec Marx et Engels, la classe révolutionnaire moderne a porté la méthode de la recherche scientifique du domaine de la nature à celui des rapports sociaux. La bourgeoisie n’a pas intérêt à faire sortir cette méthode du domaine de la nature. La classe révolutionnaire, le prolétariat, est la seule classe qui a intérêt à ce que les lois qui régissent le mouvement de la société bourgeoise soient découvertes. Elle doit les utiliser à « ses propres fins », pour le dépassement révolutionnaire de la société divisée en classes. Et pour lier la théorie à l’action, elle a besoin de « l’instrument ». Cet instrument, c’est le parti, qui constitue « l’avant-garde » de la classe ouvrière, un parti centralisé et organisé de telle manière à répondre à l’obligation de clandestinité.
L’extrait suivant éclaire la démarche de Lénine : « Petit groupe compact, nous suivons une voie escarpée et difficile, nous tenant fortement par la main. De toutes parts, nous sommes entourés d’ennemis, et il nous faut marcher presque constamment sous leur feu. Nous nous sommes unis en fonction d’une décision librement consentie, précisément afin de combattre l’ennemi et de ne pas tomber dans le marais d’à côté, dont les hôtes, dès le début, nous ont blâmé d’avoir formé un groupe à part et préféré la voie de la lutte à la voie de la conciliation. ».
 
Bolcheviks, Mencheviks et Révolution de 1905
Au cours de deux congrès consécutifs, le deuxième à Bruxelles (juillet 1903) et le troisième à Londres (mars 1905), les divergences fondamentales au sein du POSDR donnent naissance puis confirment deux courants opposés. Les Bolcheviks (majoritaires), avec Lénine, y prônent la discipline de parti et la dictature du prolétariat. Les Mencheviks (minoritaires), avec Martov³, Plékhanov et Trotski, préfèrent une nébuleuse à une organisation structurée et s’opposent à la vision de Lénine : le prolétariat doit prendre lui-même le pouvoir en s’appuyant, non pas sur la Bourgeoisie libérale, mais sur la paysannerie. Les thèses de Lénine sur la paysannerie constituent une nouveauté par rapport aux autres auteurs marxistes russes, dont beaucoup avaient négligé la paysannerie ; les paysans, en tant que petits propriétaires, étant relégués dans le camp de la bourgeoisie. Lénine distingue en leur sein des prolétaires et des Bourgeois et indique que la paysannerie pauvre peut devenir une classe révolutionnaire. Bolcheviks et Mencheviks auront désormais des organisations séparées.
La première révolution russe, ou révolution de 1905 voit Lénine s’installer en Finlande et, de temps en temps à Saint-Pétersbourg. Il s’oppose aux Mencheviks en défendant la nationalisation des terres, théorise la notion de « centralisme démocratique »⁴. Après son échec, Lénine en tire des leçons essentielles, celle de la nécessité de la terreur exercée par les masses et d’organiser la violence et de la subordonner aux intérêts du mouvement ouvrier et de la lutte révolutionnaire.
Enfin, outre la nécessité d'une alliance entre la paysannerie et le prolétariat, le potentiel révolutionnaire des revendications paysannes étant pour lui primordial en Russie, il juge qu'une « révolution démocratique » en Russie permettra l'accélération du processus révolutionnaire russe.
 
Lénine et la guerre impérialiste de 1914-1918
Au lendemain de la révolution de 1905, Lénine comprend que la période de réaction politique qui a suivi l’écrasement de la Commune arrive à son terme. Conscient de l’inéluctabilité de la guerre impérialiste, il est l’un des rares à voir clair dans une brume crépusculaire : celle de l’époque où se consument les derniers feux d’un temps de la civilisation bourgeoise. Il pressent d’ores et déjà l’installation du stade impérialiste dans l’histoire de la société capitaliste.
On sait que la plupart des partis membres de la IIème Internationale, à commencer par les Allemands et les Français votent les crédits de guerre et participent à l’union sacrée, virant complètement au chauvinisme ; il en est de même pour les Mencheviks. Lénine fait partie des initiateurs de la Conférence de Zimmerwald (nom d’une ville suisse où se tint la réunion) qui regroupent des socialistes opposés à la guerre. Mais, ni en 1915, ni en 1916 lors de la conférence de Kiental (village suisse), ses thèses sur la faillite et l’abandon de la IIème Internationale n’obtiennent la majorité.
Dans un texte, publié en 1915, intitulé « La faillite de la IIème Internationale », il écrit ceci : « Le caractère réactionnaire de cette guerre, le mensonge éhonté de la bourgeoisie de tous les pays, qui dissimule ses visées de brigandage sous le manteau de l’idéologie nationale, suscitent nécessairement des tendances révolutionnaires au sein des masses. Notre devoir est de les aider à prendre conscience de ces tendances, de les approfondir et de leur donner corps. Seul le mot d’ordre de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile exprime correctement cette tâche. ». Lénine, ainsi, renvoie dos à dos les bellicistes de 1914, futures victimes ou futurs profiteurs du nouveau partage impérialiste de Versailles. A cet égard, il fait notablement exception dans son propre camp. Et ce refus de la barbarie moderne, à l’orée du siècle, marque le début de l’essor du mouvement communiste. Il n’hésite pas également à promouvoir le « défaitisme révolutionnaire », c’est-à-dire l’idée selon laquelle les travailleurs doivent lutter contre leur propre gouvernement, sans craindre l'éventualité de précipiter sa défaite militaire, qui favorisera au contraire la révolution.
Et l’histoire lui donnera raison. Car la guerre impérialiste est l’électrochoc qui va faire vaciller la Russie des Tsars. Le vieil empire est une monarchie de droit divin où une caste de propriétaires fonciers règne en maître, avec la bénédiction des popes, sur une masse rurale. Mais il est aussi le théâtre d’une expansion capitaliste qui concentre dans les grandes villes un prolétariat surexploité. Butte témoin du Moyen Âge qui se dresse de façon anachronique à l’aube du XXe siècle, la Russie tsariste incarne aussi la pointe avancée du développement industriel moderne. Le développement accéléré d’une industrie de pointe, en effet, y recourt à des capitaux à forte majorité étrangère. Financée par les banques occidentales, l’industrialisation de l’Empire des Tsars au début du siècle reflète l’inégalité de développement entre l’Europe développée et la Russie arriérée. Les capitalistes occidentaux y font main basse sur une économie en voie de développement qui, de ce fait, associe la technologie la plus avancée et l’état social le plus rétrograde.
La profonde arriération de la Russie favorise alors la formation rapide d’une classe ouvrière que ses conditions d’existence, dramatiquement aggravées par la guerre, vont jeter dans les bras de la révolution. Prévue de longue date par les marxistes, l’apparition tardive du prolétariat urbain procure à la révolution les masses nécessaires à sa réalisation. L’avant-garde aussi est là, composée de ces militants condamnés par la répression tsariste à la déportation ou à l’exil, et qui ont eu l’occasion d’y mûrir leur conscience révolutionnaire. L’opposition socialiste en Russie n’a pas le choix entre l’action à visage découvert et l’action clandestine : la première lui est tout simplement interdite par la police tsariste. Si Lénine préconise la création d’un parti clandestin, professionnel et centralisé, c’est parce que les conditions objectives de la lutte politique l’exigent.
 
« L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme »
En 1916, Lénine achève ce texte essentiel, qui caractérise le stade où en est la société capitaliste, avec la colonisation effrénée de la fin du XIXème, les rivalités montantes puis exacerbées entre puissances impérialistes et, évidemment la première guerre mondiale impérialiste.
Lénine, a donné de l’impérialisme une définition rigoureuse. A ses yeux, impérialisme et capitalisme ne font qu’un à un stade de développement déterminé de ce dernier. Lénine écrit : « L’époque du capitalisme moderne nous montre qu’il s’établit entre les groupements capitalistes certains rapports basés sur le partage économique du monde et que, parallèlement et conséquemment, il s’établit entre les groupements politiques, entre les États, des rapports basés sur le partage territorial du monde, sur la lutte pour les colonies, la lutte pour les territoires économiques ». L’analyse de Lénine, s’appuie sur la loi de développement de l’économie capitaliste, celle de la recherche du taux de profit maximum, de l’accumulation et de la concentration du capital. Lénine, donne de l’impérialisme une définition englobant les cinq caractères fondamentaux suivants :
- la concentration de la production et du capital parvenue à un degré de développement si élevé qu’elle crée les monopoles, dont le rôle est décisif dans la vie économique.
- la fusion du capital bancaire et du capital industriel, et la création, sur la base de ce "capital financier", d’une oligarchie financière.
- l'exportation des capitaux qui prend une importance toute particulière dans le processus de globalisation de la production, du commerce et des finances.
- la formation d’unions internationales monopolistes de capitalistes qui se partagent le monde.
- les nouvelles formes de partage du Monde
La définition léniniste de l'impérialisme décrit un système et non la simple domination d'un État sur un autre. Lénine souligne que s'il peut y avoir des coalitions impérialistes (y compris militaires), il n'y a pas d’exploitation de l’univers en commun par les monopoles et les États impérialistes. Il y a toujours concurrence entre les États, les monopoles et il y a toujours luttes pour le partage du monde, tandis que les grandes puissances tendent à l’hégémonie.
 
« L’État et la Révolution »
A quelques mois de la révolution d’Octobre, entre juillet et septembre 1917, Lénine rédige une autre de ses œuvres majeures : « L’État et la Révolution ».
Cet ouvrage traite de questions majeures comme la nature de l’État, les conditions de la prise du pouvoir par le prolétariat et il règle définitivement les divergences avec les révisionnistes, les relecteurs de Marx voulant se passer de la révolution armée et de la destruction de l’État bourgeois, comme Kautsky⁵.
Pour ce qui est de définir l’État, il fait d’abord appel à Engels, avec des extraits de « L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État » : « L'État est un produit de la société à une certaine étape de son développement. Il constitue l'aveu que la société s'est scindée en antagonismes inconciliables dont elle est impuissante à se débarrasser. Pour que ces antagonismes, ces classes qui ont  des intérêts économiques contradictoires ne se dévorent pas et ne dévorent pas la société, une force est devenue nécessaire, qui, se plaçant en apparence au-dessus de la société modérerait le conflit, le maintiendrait dans les limites de "l'ordre". Cette force est l'État. ».
Ensuite, Lénine évoque la question de la prise du pouvoir révolutionnaire puis il s’en prend aux opportunistes : « L'idée de Marx est que la classe ouvrière doit briser, démolir la "machine d'État toute prête" et ne pas se borner simplement à s'en emparer. […] D'une façon générale, on peut dire que la tendance à éluder la question de l'attitude de la Révolution prolétarienne à l'égard de l'État, tendance avantageuse à l'opportunisme qu'elle alimentait a conduit à la déformation du marxisme et à son total avilissement. ». Il clarifie également ce qui fait la différence entre la position marxiste et la position anarchiste : « Avec l'abolition des classes se fera aussi l'abolition de l'État. C'est ce que le marxisme a toujours enseigné. Le passage bien connu de l'Anti-Dühring⁸ sur le "dépérissement de l'État" accuse les anarchistes non pas d'être partisans de l'abolition de l'État mais de prêcher que l'on peut prétendument abolir l'État "du jour au lendemain". »
Les marxistes sont donc bien partisans de la fin de l’État, dans un premier temps par le remplacement de la « force spéciale de répression » du prolétariat par la bourgeoisie par une « force spéciale de répression » de la bourgeoisie par le prolétariat (dictature du prolétariat).
Lénine aborde enfin le concept de dépérissement de l’État : « Au début même de son raisonnement, Engels dit qu'en prenant possession du pouvoir d'État, le prolétariat "supprime l'État en tant qu'État ". Il n'est pas d'usage de réfléchir à ce que cela signifie. En fait, dans ces mots se trouve exprimée sommairement l'expérience d'une des plus grandes révolutions prolétariennes, l'expérience de la Commune de Paris de 1871. Engels parle en fait de la "suppression" de l'État de la bourgeoisie par la révolution prolétarienne, après la révolution socialiste. L'État bourgeois, selon Engels, ne dépérit pas, il est supprimé par le prolétariat au cours de la révolution. Ce qui dépérit après cette révolution, c'est l'État ou le semi-État prolétarien. »
 
Lénine et la révolution d’Octobre
Au lendemain de la révolution avortée de 1905, les mencheviks affirment qu’il faut s’abstenir de toute initiative et se contenter d’aider la bourgeoisie à accomplir sa révolution. A l’inverse, Lénine dénie à la bourgeoisie russe la capacité de créer une république démocratique. Il assigne au prolétariat une tâche historique que les conditions exceptionnelles créées par la crise impérialiste rendront possible. Avec « la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie », son mot d’ordre des années d’avant-guerre, Lénine suggère la nécessité d’une fusion entre les deux étapes du processus révolutionnaire : l’étape démocratique et l’étape socialiste.
La crise mondiale ouverte par la guerre impérialiste confirme que Lénine et les dirigeants bolcheviks ont vu juste. En soumettant à l’épreuve du feu les partis révolutionnaires, elle scelle le sort d’une démocratie bourgeoise incapable d’accomplir sa tâche. Car si la révolution démocratique ne dure que six mois, de février à octobre 1917, c’est d’abord parce que ses dirigeants l’ont condamnée. En poursuivant la guerre aux côtés des Alliés, le gouvernement provisoire s’est mis dans l’obligation suicidaire d’ajourner les réformes réclamées par les masses ouvrières et paysannes. Porté au pouvoir par une révolution populaire, il commet l’erreur de rejeter ses revendications les plus pressantes : le partage des terres pour les paysans, la fin de la répression pour les ouvriers, la paix immédiate pour les soldats. 
Lors du sixième congrès du parti, qui se tient au mois d’août 1917 dans la clandestinité, en l’absence de Lénine, seul Staline ose défendre la thèse de la prise du pouvoir. Mais le putsch avorté du général Kornilov⁶ en septembre discrédite le gouvernement et réhabilite les bolcheviks dont la résistance au coup d’État militaire a sauvé la révolution. La bolchevisation des soviets d’ouvriers et de soldats progresse à grands pas, et Trotski, qui a rejoint tardivement en 1917 les bolcheviks, est réélu président du soviet de Petrograd. Au sein du mouvement des comités d’usine, les militants adhèrent au radicalisme bolchevique. La révolte populaire gronde dans les campagnes où les paysans, en s’emparant des grands domaines, appliquent sans le savoir le programme des bolcheviks. Les bolcheviks sont majoritaires, dès septembre, dans les soviets de Petrograd et de Moscou.
En septembre, Lénine insiste à plusieurs reprises pour que la date de l’insurrection soit fixée. Il s’agit d’agir vite, car le président du gouvernement provisoire, Kerenski, projette d’écraser les bolcheviks, et surtout de ne pas manquer l’occasion, le rendez-vous avec l’histoire. Il écrit, de son exil finlandais rejoint en juillet, deux lettres aux membres du comité central les 12 et 14 septembre 1917. A ses yeux, il n’y a pas l’ombre d’un doute : dès lors qu’ils ont la majorité dans les soviets de Moscou et Petrograd, « les bolcheviks peuvent et doivent prendre le pouvoir ». En proposant une paix immédiate et en donnant la terre aux paysans, « les bolcheviks établiront un gouvernement que personne ne renversera. Car il serait naïf d’attendre une majorité formelle, aucune révolution n’attend ça... L’Histoire ne nous le pardonnera pas si nous ne prenons pas maintenant le pouvoir ». Revenu clandestinement à Petrograd début octobre, il finit par obtenir gain de cause, seuls Kamenev⁷ et Zinoviev⁸ restent opposés à l’insurrection, même Trotski se rallie.
Lorsque le congrès des soviets entame ses travaux, le 25 octobre 1917, c’est dans le tumulte de l’assaut donné au Palais d’hiver par les gardes rouges et les soldats révolutionnaires. Entre la réunion du congrès pan-russe où les bolcheviks sont majoritaires, et la prise du pouvoir par les armes, cette simultanéité vaut légitimation populaire du coup de force. Minoritaires, avec 105 délégués sur 820, au premier congrès des soviets réuni en juin 1917, les bolcheviks obtiennent la majorité absolue au deuxième congrès qui se tient fin septembre, avec 343 délégués sur 675. Traduisant la poussée bolchevique au sein des organes de la représentation populaire entre l’été et l’automne 1917, ces résultats parlent d’eux-mêmes : les bolcheviks ont pris le pouvoir avec l’appui enthousiaste du prolétariat organisé⁹.
 
Après Octobre, les débuts de l’URSS
La révolution et ses militants ont dû combattre de nombreux ennemis. La guerre civile ne fut pas simplement un combat contre les Blancs, mis contre des troupes étrangères. Des forces militaires françaises, britanniques, tchécoslovaques, états-uniennes, grecques, turques, roumaines, allemandes, polonaises, japonaises sont présentes sur le sol de l’État socialiste, réduit par le traité de Brest-Litovsk (mars 1918). Ce traité, imposé par Lénine à Trotski qui n’en voulait pas, permet d’obtenir l’une des trois principales promesses de la Révolution : la paix. C’est au prix d’importantes concessions territoriales, mais en accord total avec les idées des bolcheviks.
La création de l’Armée rouge, le travail sur les nationalités confié notamment à Staline, ont permis la victoire des révolutionnaires et la création en 1922 de l’URSS, le premier État socialiste. Dans cet État, personne ne vivait de l’exploitation d’autres hommes. Alors que beaucoup attendaient une révolution socialiste en Allemagne ou en France, c’est en Russie qu’elle intervint et Lénine, qui avait vu la particularité de la situation russe et le rôle que pouvait jouer la guerre impérialiste, n’y fut pas pour rien. Les tentatives de révolution en Allemagne et en Hongrie, en 1919, furent écrasées par la Réaction. L’URSS se retrouva donc le seul pays socialiste, en proie à l’hostilité de tous les impérialistes.
Bien après la mort de Lénine, l’Armée rouge libéra la moitié de l’Europe de l’oppression nazie et, au prix de 27 millions de morts, permit à l’Europe de connaître 45 années de paix. Un Pays aura donc vécu pendant 70 ans hors du sempiternel marché, hors de la domination capitaliste, et le rôle de Lénine dans la création et la vie de cet État fut essentielle et irremplaçable.
 
Conclusion
Rappeler le rôle de Lénine, comme théoricien de la révolution et pour sa pratique révolutionnaire est essentiel pour le Parti Révolutionnaire Communistes. Il ne s’agit pas de célébrer un totem, ni d’élever une statue. Il est important, pour les communistes d’aujourd’hui bien conserver une boussole : la science marxiste-léniniste et la pratique des révolutions prolétariennes, notamment celle d’Octobre. Lire, relire, ou simplement mieux connaître Lénine nous y aide grandement. On ne trouvera pas dans ces œuvres ou sa pratique un manuel de comment bien réussir sa révolution, mais des enseignements et des éclairages sans lesquels l’idée même de révolution serait illusoire.
Notes :
1 : Le terme de révisionniste est inventé par Lénine, pour désigner celles et ceux qui trahissent la pensée et l’œuvre de Marx en théorisant que la révolution peut être non violente et arriver par les élections.
2 : Eduard Bernstein est le premier « droitier » du mouvement ouvrier. D’abord investi de la confiance d’Engels, il est le premier à énoncer l’idée que le socialisme peut arriver par les élections, dans la république bourgeoise, voire, même dans l’Empire allemand. Il est le premier à théoriser, hors du catholicisme social, le concept de partage des richesses.
3 : Julius Martov est un militant du POSDR (Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie), d’abord proche de Lénine, puis un des dirigeants des Mencheviks. Il est hostile à la lutte armée et l’insurrection, donc, objectivement, dans le camp des dominants.
4 : Le centralisme démocratique est un fonctionnement, qui fut celui de tous les partis communistes du XXème siècle et d’autres aujourd’hui consistant à ce que le débat soit totalement démocratique et, qu’une fois la décision prise, elle s’applique à tout le monde.
5 : Karl Kautsky, ancien collaborateur de Marx et Engels, est, historiquement, un centriste qui, dans les années 1890 et 1900, combat à la fois Bernstein sur sa droite et Lénine sur sa gauche. Se donnant pour héritier de Marx, il ne peut plus donner le change quand il vote les crédits de guerre au Reichstag (le parlement allemand de l’Empire) en 1914. Plus tard, il cautionnera la répression des Spartakistes (Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht) en 1919 et la République de Weimar, dirigée au début par son camarade Ebert. Lénine l’appelait « Le renégat Kautsky ».
6 : Le général Kornilov, est le dernier commandant du front sud-ouest, lors de la première guerre mondiale en 1917. Cosaque et profondément réactionnaire, il est sollicité par Kerenski, le président du gouvernement provisoire en juillet 1917. En septembre, il fomente un coup d’État, empêché par la mobilisation des gardes rouges. Il participe ensuite, en 1918 à l’armée des Blancs et est tué lors de l’assaut infructueux de la ville d’Ekaterinodar.
7 : Grigori Zinoviev et 8 : Lev Kamenev sont des dirigeants du parti bolchevik puis du parti communiste de l’Union soviétique. Opposés à l’insurrection, tentés par un compromis avec les autres forces politiques, ils sont minoritaires au moment de la révolution. Ensuite, Zinoviev dirige la IIIème Internationale et tous deux oscillent, après la mort de Lénine, entre Staline, Trotski et Boukharine. Ils sont finalement convaincus d’avoir participé au complot antisoviétique qui a vu l’assassinat de Kirov, le secrétaire du parti à Léningrad. Ils sont exécutés à l’issue du premier procès de Moscou, en 1936.
9 : Pour plus de précisions sur le déroulement de la révolution d’Octobre, nous conseillons de lire l’œuvre du journaliste communiste états-unien John Reed : « Dix jours qui ébranlèrent le monde ».