N° 882 13/07/2024 Introduction
Une longue séquence électorale vient de se terminer. Elle a commencé avec les élections européennes du 9 juin dont les résultats ont conduit le Président de la République à dissoudre l'Assemblée Nationale et s'est poursuivie avec les scrutins législatifs des 30 juin et 7 juillet dont les résultats sont maintenant connus.
Il convient de procéder à une analyse de ces résultats inscrits dans leur contexte national et international et d'en mesurer la signification au regard de l'état de la lutte des classes dans notre pays.
De cette analyse doit résulter, en s'appuyant sur les orientations de notre 9e congrès, la définition des tâches qui incombent au parti dans la période qui vient.
Quelle est la signification des résultats des élections européennes et législatives ?
Lors des élections européennes, la forte abstention (50 %) et le faible résultat de la liste Renaissance ont montré le profond rejet de la politique de Macron. Le rassemblement National intronisé comme successeur lors du débat Bardella/Attal a largement absorbé le mécontentement populaire. C'est dans les conditions de ce vote sanction que Macron a annoncé la dissolution du Parlement et a convoqué des élections législatives anticipées. Notre parti s'est exprimé à ce sujet en soulignant que :" Macron a décidé de dissoudre l’Assemblée Nationale pour de nouvelles élections le 30 juin et le 7 juillet pour nous enfermer dans un faux choix entre le RN ou celui d’une l'union sacrée d’un "axe républicain" ou pour d’autres, d’un "front populaire". Les uns et les autres qui ont déjà longuement gouvernés mèneront la même politique, celle dictée par le patronat et les multinationales dans le but de poursuivre et accentuer les réformes capitalistes : retraites, chômage, Unedic, santé, hôpitaux, éducation, fonction publique, casse de l’industrie, privatisations tous azimuts, maintien dans l'OTAN… Une accélération dans la domination capitaliste de la société."
Le premier tour des élections législatives a confirmé les tendances observées lors du scrutin pour le Parlement européen, avec cependant une participation en nette hausse à 66,71% par rapport à 2022 (47,51%). Le RN est arrivé en tête du premier tour des élections législatives avec 29,25% des voix (19,01% des inscrits), avec ses alliés du LR d’Éric Ciotti le score atteint 33,13%. Dès le premier tour, 37 députés RN ont été élus. Le Nouveau Front Populaire est arrivé en deuxième position avec 27,99% (18,23% des inscrits) des suffrages et 32 députés élus. Ensemble (majorité présidentielle) se classe en 3ème position avec 20,04% des voix (13,03 des inscrits) , 2 députés élus. Les Républicains arrivent en quatrième position avec 6,57% des votes (4,27% des inscrits) et 1 député élu. Dans le communiqué du parti, nous avons apprécié que ce résultat : " C’est une claque adressée à Macron et une accélération de la crise politique qui secoue notre pays." en ajoutant : " C’est une situation difficile qui s'annonce pour les salariés avec une conjoncture internationale explosive marquée par des affrontements de plus en plus violents au sein du système impérialiste. Tous les représentants à l’Assemblée Nationale, du RN au "Nouveau Front Populaire" en passant par l’axe "républicain", sont sous le diktat politique et économique des détenteurs du capital. Chacun à sa manière assure la défense des intérêts des multinationales."
La semaine qui a séparé le premier du deuxième tour a été marquée par un approfondissement des manœuvres politiciennes visant à mettre en scène un affrontement entre le RN et un Front Républicain anti-RN. Ce Front Républicain qui a permis des désistements réciproques entre le Nouveau Front Populaire et Ensemble voire parfois avec les Républicains a été largement activé sur la base d'une analyse qui consiste à qualifier le RN comme un parti fasciste, tandis que les politiques menées par les forces qui le qualifient ainsi l'entretiennent car le RN approuve et ne remet pas en cause les choix fondamentaux des forces capitalistes en France, en Europe et dans le Monde. Choix qui sont à la base des attaques contre toutes les conquêtes sociales et génèrent un profond mécontentement populaire. Ce mécontentement alimente le RN désigné comme l'ennemi du système. Ainsi, les positions de ce Front Républicain, comme une grande partie du NFP sont d'accord avec les choix fondamentaux de l'UE et de Macron. Sans compter que sur la guerre en Ukraine, le programme du NFP s'engage à assurer l'escalade militaire et ne remettent pas en cause, bien au contraire la place et le rôle de la France dans l'alliance militaire impérialiste dominée par les États-Unis qu'est l'OTAN. Sur la Palestine, le programme du NFP en qualifiant le 7 octobre d'action terroriste met sur le même plan colonisateurs et colonisés.
Les résultats du deuxième tour ont confirmé les tendances du premier; le système électoral en donnant, une nouvelle fois, une vision déformée. Avec une participation équivalente à celle du premier tour - 66, 63 % - et 5,50% de blancs et nuls, le décompte des sièges s'établit comme suit : 182 pour le NFP dont 72 LFI, 64 PS, 33 EELV, 9 PCF et 4 exLFI ; 168 pour Ensemble, 143 pour le RN et LR-Ciotti et enfin 46 LR. 32 députés sont classés divers gauche ou droite dont 1 indépendantiste en Kanaky. L'évolution en siège depuis 2017 donne quelques indications sur le rapport des forces. De 2017 à 2022 puis 2024, la gauche passe de 57 à 131 puis 182 sièges ; Ensemble de 308 à 245 puis 168 ; le RN passe de 8 à 89 puis 143 ; quand à LR ils déclinent de 112 à 61 puis 46. Ainsi d'une majorité absolue en 2017, Ensemble représente-il aujourd'hui moins du 1/3 des élus tandis que le RN voit son groupe augmenter considérablement. En voix, le RN arrive en tête avec 32,50% suivi du NFP 25,68 % et Ensemble 23,40%. C'est la forme du scrutin majoritaire par circonscription qui permet donc au NFP et à Ensemble d'obtenir plus de sièges que le RN. À ce stade de tripartition de l’Assemblée Nationale, la recherche d'une majorité apparait comme difficile et ouvre la voie à bien des arrangements. Notons que si les différents protagonistes discutent beaucoup des aspects pratiques du comment trouver une majorité, personne ne s'appesantit sur les raisons de cette situation, sur les responsabilités des uns et des autres, en clair ne fait une analyse ne terme de classe et pour cause, tous, y compris le RN, dans des formes diverses, se moulent dans la gestion du système lui-même. C'est pourtant une question fondamentale et nous devons l'éclairer pour faire face et construire une issue à la crise favorable aux intérêts des travailleurs.
D'où vient cette crise ? Répondre à cette question permet de mieux comprendre la teneur des événements et de construire une réponse populaire ouvrant par les luttes sociales et politiques une voie vers un nécessaire changement de société.
Le capitalisme est en crise profonde de réalisation du profit et d'accumulation du capital. Depuis les années 70, le capitalisme a compensé ces tendances par les délocalisations et la surexploitation des peuples d'une part et d'autre part par une financiarisation croissante de l'économie. Ces deux contre tendances s'essoufflent, le capitalisme n'a plus qu'une solution : casser le capital fixe par la guerre en accompagnant ce processus par une baisse violente de la rémunération de la force de travail avec précarisation, la casse des statuts, de la secu et la liquidation des services publics. C'est dans ce contexte que Macron et les capitalistes ont construit volontairement la montée du RN pour permettre une accélération de la destruction des conquêtes sociales et de la classe des travailleurs elle-même avec l'objectif de sauver le capitalisme.
Mais ce processus n'a pas commencé avec Macron. Depuis des décennies, marquées par la domination du duopole politique des partis de droite et des versions de l'union de la gauche, il s'agit, à marche forcée, d'intégrer le capitalisme français dans la mondialisation capitaliste et cela au prix de la destruction de toutes les conquêtes sociales et démocratiques. Cette marche forcée, si elle a permis d'enrichir quelques puissants groupes monopolistes, a appauvri les travailleurs, affaibli la classe qu'ils représentent et plus globalement mis la France à un rang de puissance seconde alignée en Europe sous la domination voulue du capitalisme allemand et au plan militaire sous celle des États-Unis et de leur bras armé l'OTAN.
Comme partout dans le monde, la crise profonde du système d'exploitation capitaliste a sa conséquence dans l'exacerbation des affrontements, y compris armés, au sein du système impérialiste. Il s'agit pour les capitalistes d'approfondir et d'accélérer les attaques contre les droits des travailleurs pour maintenir et accroître les profits.
Pour cela, devant la faillite et le désaveu populaire du duopole "droite/gauche", fut inventé et développé un nouveau duopole apparemment vierge de tout compromis avec le pouvoir, celui du nidroite-nigauche de Macron et du RN. L'illusion n'a pas durée, après un quinquennat de domination du macronisme, ce qui devait être le renouveau de la vie politique est lui-même en crise et incapable de pousser plus loin - il en a fait déjà pas mal - les mesures de transformations de la société française pour la soumettre entièrement aux exigences des capitalistes. À travers ce duopole, c'était un nouveau piège qui était tendu aux travailleurs et la question posée était : "comment le déjouer ? "
La gauche, dominée par un courant social-démocrate, hétéroclite, réformiste et qui n'envisage pas le moins du monde de s'attaquer à la racine du mal, c'est à dire, l'exploitation capitaliste, a inventé une réponse électoraliste qu'elle appelle un Nouveau Front Populaire. Cette référence à une page glorieuse des luttes de la classe ouvrière en France entend polariser toutes celles et ceux et certainement beaucoup de travailleurs qui ne veulent plus, à juste titre, du macronisme ni de la gauche ni de la droite qui ont fait la même politique et pensent trouver dans le RN un moyen d'exprimer leurs réelles difficultés générées par les politiques anti-sociales qui se succèdent depuis des décennies.
Au regard des responsabilités d'un parti révolutionnaire, il s'agit d'éclairer cette question et d'y répondre sans détour en mettant en débat, dans l'unité et dans l'action ce que nous pensons être la voie pour faire face et construire une issue populaire à la crise.
Tout d'abord, l'histoire, celle du front populaire lui-même, mais pas seulement, nous enseigne que rien ne peut être acquis par les urnes contre le patronat et son pouvoir sans une lutte des classes puissante et unie. Rappelons que le front populaire en 1936 a été d'abord le produit de très larges mobilisations avec de nombreuses occupations d'usines contre le fascisme et pour les revendications ouvrières et pas une décision de sommet d'appareils politiques. N'entretenons pas l'illusion que l'on pourra revenir sur les réformes des retraites (Macron et Hollande), du droit du travail (Macron et Hollande), des privatisations (Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron), de l'audiovisuel (Mitterrand)... sans lutte. C'est donc à la lutte qu'il faut appeler et il faut l'organiser en conséquence avec la masse des salariés, sinon rien ne bougera dans le bon sens.
Comment penser, comme l'écrit le contrat de législature du Nouveau Front Populaire, que c'est en se plaçant dans la perspective d'une Union Européenne renforcée avec l'OTAN, bras armé des États-Unis, comme ancrage international que nous allons pouvoir libérer la France de la domination des grands monopoles capitalistes qui sont précisément les organisateurs à leur profit de l'Union Européenne, qui génèrent les guerres et qui mettent leurs intérêts sous protection de l'OTAN ? La dimension internationaliste de la lutte des classes a donc une place majeure dans le combat pour changer la société.
Car c'est quand même de cela qu'il s'agit. Face à la violence des attaques capitalistes, il y a peu de place pour les rafistolages ! Imagine-t-on possible de rétablir la retraite à 60 ans, d'augmenter les salaires et les pensions, de répondre aux besoins d'éducation, de santé... sans s'attaquer aux profits capitalistes, sans mettre en cause la domination et l'exploitation capitaliste, sans poser la question de qui dirige la société et au profit de qui ? Pour notre parti, les luttes pour les revendications doivent s'articuler à celles pour gagner le pouvoir politique et économique afin de l'arracher aux capitalistes et qu'enfin les travailleurs, les seuls producteurs des richesses, dirigent la société à leur profit. Ce que nous appelons le socialisme, c'est la coopération et non la concurrence des producteurs des peuples et des nations.
Voilà en quelques mots simples, la vision que notre parti a de la situation. Il entend poser toutes ces questions aux travailleurs en soulignant la nécessité absolue pour sortir du piège qui nous est tendu de se rassembler, de lutter et de renforcer le courant de lutte des classes au plan syndical et politique.
L'activité et le renforcement du parti sont des éléments essentiels pour faire bouger les choses. Nous devons passer beaucoup de temps avec tous les adhérents pour que tous soient en mesure de mener cette bataille politique qui est et sera difficile en particulier compte-tenu de l'affaiblissement du courant de classe. Nous devons créer les conditions politiques et d'organisation qui permettent un renforcement significatif du parti. C'est pourquoi, nous proposons de préparer dès maintenant pour la rentrée des assemblées publiques dans toutes les régions où nous sommes présents pour débattre largement des conditions de renforcement de l'activité politique des révolutionnaires sur des bases claires et offensives. Cet engagement nécessite pour le parti de se doter des moyens financiers pour travailler et diffuser ses points de vue, améliorer sa propagande et l'élargir. De ce point de vue, nous devons prendre la mesure de ce que représente l'effort financier en cotisations et souscription pour consolider un budget encore trop fragile, et qui nous met à la merci des aléas de la lutte politique.
Paris le 13 juillet 2024