N° 867 03/04/2024 Jeudi 28 mars, Jean-Paul Delescaut, secrétaire-général de l’Union Départementale CGT du Nord, comparaissait devant le tribunal correctionnel de Lille pour « apologie du terrorisme » et « encouragement à la haine raciale ».
Un rassemblement avait été organisé par l’UD, et de nombreux militants avaient répondu présents. Plus de 500 personnes sont venues soutenir Jean-Paul, essentiellement de la CGT, mais aussi de Solidaires, de FO et de la FSU. Des militants d’organisations politiques étaient également présents. « Nous sommes tous Jean-Paul », scandait la foule des travailleurs. Une délégation de camarades de l’UD 02 était présente.
Pour le parquet et pour les avocats des parties civiles, parmi lesquelles l’Organisation des juifs d’Europe et l’Association communauté israélite (ACI) de Lille, des organisations pro-israéliennes, l’apologie du terrorisme est à lire dans cette phrase d’un tract de l’UD au lendemain de l’attaque des combattants palestiniens le 7 octobre : « Les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [7 octobre 2023], elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées. ». Quand-à l’incitation à la haine raciale, elle viendrait de ce que Jean-Paul Delescaut a fait publiquement état d’un « soutien à la lutte contre l’État colonial d’Israël », accusé d’être « fasciste », d’afficher « un racisme décomplexé », de « mener une politique d’apartheid concentrationnaire privant le peuple palestinien de ses droits fondamentaux ».
Tout est clair finalement : le tract dit qu’Israël est responsable de la riposte du 7 octobre, exactement comme le quotidien israélien Haaretz, qui indiquait, dès le jour même du 7 octobre, que le seul responsable de ce qui venait de se passer était Netanyahu. Quand-à dire qu’Israël est un État colonial, qui mène une politique d’apartheid, pour le Parti Révolutionnaire Communistes, c’est simplement un constat justifié et maintes fois prouvé ; pour une référence récente, on peut prendre ce que disait le réalisateur israélien, aux côtés de son confrère palestinien lors du festival de cinéma de la Biennale de Berlin, concernant le traitement différent par l’État colonial.
Pourquoi s’en prendre à Jean-Paul Delescaut ?
La référence qui vient tout de suite est celle des attaques de la machine politico-judiciaire du Capital contre les militants de lutte de la CGT. La CGT est clairement l’organisation qui a combattu le plus fermement les mesures de casse sociale et des services publics du Grand Capital et de son fondé de pouvoir Macron, notamment à l’occasion des différents épisodes de la casse du système de retraites. Comme des centaines d’autres militants de la CGT, il est ciblé à ce titre de résistant, par l’État et toutes les « forces spéciales de répression » qui le servent, comme disait Lénine, à savoir les véhicules de l’idéologie dominante, la police et la justice de classe. Nul doute que l’ex-préfet du Nord, désormais directeur de cabinet de Vautrin, la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, connu pour utiliser le mépris et la répression contre les travailleurs en lutte, et ses commanditaires n’ont pas voulu manquer une occasion de se payer un dirigeant syndical toujours présent dans les luttes et qu’ils trouvaient à chaque occasion face à eux.
Mais, ce serait méconnaître la réalité actuelle que d’en rester là. Ce dont est surtout victime Jean-Paul, c’est la répression contre quiconque défend réellement les Palestiniens, en contextualisant les faits, en disant ce qu’il est totalement interdit de dire dans les media comme dans les salons, même ceux où l’on se prétend défenseur des Palestiniens. Et cette répression, force est de constater qu’elle ne s’abat pas que sur la CGT, et même qu’une partie de la CGT, celle qui colle au discours « médian », celui des torts partagés, n’en sera jamais victime. La justice de classe range Jean-Paul, contre qui est requis un an de prison avec sursis, dans le même casier qu’Abdel, militant anticolonialiste de Montpellier, condamné à la même peine pour avoir refusé de qualifier de « terroriste » l’attaque du 7 octobre, et qui a fait appel, que Mohamed Makni, ancien adjoint PS d’Echirolles, qui avait qualifié « d’acte de résistance » les attaques du 7 octobre, ce qui lui a valu la privation de son mandat d’adjoint et son exclusion du PS, qui a également fait appel, comme les étudiants de Sciences Po, qui demandent enfin un débat sur la question palestinienne dans leur institut et sont poursuivis par les crypto-fascistes de l’UEJF, qui donnent le la pour que la machine de l’idéologie dominante hurle à l’antisémitisme et comme la présidente de l’AFPS de Poitiers, convoquée récemment au commissariat pour le même motif.
Il y a des années, à propos de l’Algérie, l’historien officiel Benjamin Stora, social-démocrate bon teint, aujourd’hui égérie de Macron, a évoqué la théorie des torts partagés : l’armée française à torturé, le FLN a torturé, match nul. C’est, au choix, une ignorance de la réalité ou une malhonnêteté intellectuelle qui atteint des sommets. Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, il s’agit de ne pas mettre sous le tapis ce qui est premier : la confrontation entre un État colonial et un peuple colonisé, entre une armée qui a des chars et des avions, et une résistance armée qui n’a que des armes légères et des bombes transportées dans les couffins.
Nous en sommes au même point, à cette différence près que l’État colonial ne cherche pas seulement à exploiter les autochtones, c’est-à-dire les Palestiniens, mais à les tuer ou les expulser. Le clivage en France, comme ailleurs aujourd’hui, concernant la question palestinienne est entre celles et ceux qui dénoncent le dernier État colonial du XXème siècle et ceux et celles qui parlent de tout autre chose que du conflit colonial et de la guerre de libération nationale et, dans ce second groupe, l’éventail est large, des fascistes israéliens qui parlent de Judée Samarie au lieu de Cisjordanie, à la « gauche » bon teint, qui parle de la paix sans dénoncer l’État colonial.
Quelle défense et quels écueils éviter ?
Défendre Jean-Paul Delescaut et avec lui tous les militants victimes de la censure antipalestinienne, c’est d’abord ne pas se contenter de croire que c’est la seule CGT qui est ciblée pour des questions habituelles de lutte des classes, bref, c’est ne pas mettre sous le tapis la question de la Palestine. Si on se trompe sur la nature de l’attaque, on va forcément se tromper sur celle de la réponse. Défendre notre camarade implique de parler d’abord et principalement de la question palestinienne.
Mais un autre écueil consiste à rester dans le moule de l’idéologie dominante, à ne pas tenter de vérifier les allégations de la pensée dominante, et donc à suivre la propagande d’Israël, l’État le plus menteur du monde, du mensonge original « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre » à celui des hôpitaux palestiniens abritant soi-disant le quartier général des organisations de résistance palestiniennes en passant par « Le peuple palestinien n’existe pas » de Golda Meir.
En ce sens, le discours de la secrétaire-générale de la CGT jeudi 28 mars n’était pas à la hauteur des enjeux. Une supplique aux juges alors que ce sont ceux qui condamnent, car ils sont aux ordres du Grand Capital ! Une énième condamnation d’une journée où jamais le doute sur le récit des fascistes sionistes n’est même interrogé, quel refus d’utiliser le doute, comme nous l’ont conseillé Descartes, Diderot et Marx ! Une référence à la colonisation sans jamais prononcer le mot d’État colonial, quel moyen de concéder à celles et ceux qui, dans la CGT ou ailleurs, affichent une posture de paix, d’engagement en faveur des Palestiniens, sans jamais éclairer la réalité ! Une référence à un « syndicat » palestinien financé par les USA, une absence de dénonciation de la Histadrout[i], le syndicat sioniste officiel israélien, qui a appelé, dès le 8 octobre, les patrons qui employaient des Palestiniens, à les licencier, quel choix politique délétère !
Notre combat est juste et c’est le seul qui permettra de gagner !
L’UD CGT du Nord a, dès le 7 octobre dernier, pointé la responsabilité d’Israël, à juste titre. Les partisans du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes combattent le colonialisme, nous en sommes, au Parti Révolutionnaire Communistes, comme nombre de militants de la CGT, dont Jean-Paul Delescaut.
C’est la seule manière de défendre, non seulement Jean-Paul et l’UD du Nord, mais toutes celles et tous ceux, qui, demain ou après-demain, seront victimes des mêmes attaques de la part du grand Capital et de son exécutant, Macron.
Il est vain de vouloir amadouer les exécutants des capitalistes ou de tenter une position qui mélangerait les colons et le colonisé. L’ennemi des prolétaires, c’est le colon, l’État colonial, l’armée d’occupation, la répression tous azimuts dans notre pays. Il faut dénoncer le génocide en en dénonçant les causes et l’histoire. Et renoncer à vouloir unir le réserviste israélien qui manifeste contre Netanyahu mais tue des Palestiniens à Gaza et les mêmes Palestiniens victimes de sa tuerie.
Défendre Jean-Paul Delescaut, enfin, c’est revendiquer la fin de l’apartheid, la fin de l’État raciste et colonial, de l’État sioniste, tel qu’il existe aujourd’hui, car il est la cause du problème et le problème à lui tout seul. Pour que les deux peuples vivent ensemble sur la terre de Palestine, il faut que la structure de l’État colonial disparaisse !
Cela veut dire défendre les revendications fondamentales du mouvement de libération nationale palestinien : fin immédiate de l'agression militaire sioniste, droit au retour de tous les réfugiés palestiniens, formation d'un État palestinien sur le territoire de la Palestine mandataire.
[i] Ces deux syndicats, sont membres de la CSI, la confédération syndicale internationale, dont la CGT est membre et pas les 5 syndicats palestiniens qui, le 16 octobre, avaient appelé à la solidarité internationale pour soutenir la résistance.