N° 843 28/12/2023 Le media en ligne "Rapports de force" a publié le 22 décembre dernier un article intitulé : « Syndicalisme : la CGT et la FSU réfléchissent et travaillent ensemble à leur rapprochement ».
On y apprend que les deux directions syndicales se sont rencontrées à trois reprises , le 10 juillet, le 14 novembre, enfin le 20 décembre et qu’elles ont décidé d’un calendrier jusqu’en 2026, date du congrès de la CGT. Apparemment, la Commission exécutive confédérale de la CGT a validé le principe et la délégation, conduite par le secrétaire-général de l’UD CGT de la Seine-Saint-Denis et la secrétaire-générale de la FERC-CGT (Fédération de l’Éducation, la Recherche et la Culture).
De la lutte des classes à la transformation sociale
Les deux organisations veulent promouvoir: le « syndicalisme de transformation sociale à vocation majoritaire ».
Le concept de syndicalisme de transformation sociale a débarqué dans le langage des directions syndicales de la CGT, la FSU et même Solidaires à peu près en même temps que celui de partage des richesses, que nous avons largement analysé dans nos articles. Il s’agit avec ce concept cette d’enterrer celui de syndicalisme de classe. La transformation sociale, personne ne sait ce que c’est, et l’on peut dire que Macron et ses prédécesseurs ont fait œuvre de trormation sociale dans notre pays...Mais au profit de qui ? Il s’agit bien de faire disparaitre la lutte des classes dans la CGT. Transformaansftion sociale est du même acabit que néolibéralisme à la place de stade impérialiste du capitalisme. Il s’agit bien uniquement de changer la CGT en la social-démocratisant au maximum. Dès le congrès fondateur de la FSU en 1994 il n’a jamais été question lutte de classe. La FSU a un long passé de cogestion des instances du ministère de l’éducation nationale, avant que la loi de transformation de la fonction publique ne réduise ces mêmes instances à une peau de chagrin. Cette œuvre de cogestion s’apparente bien plus à de la collaboration de classe qu’à une pratique syndicale de classe. Ce qui n’empêche pas qu’il y ait dans la FSU des militants attachés à la lutte, au rapport de force et même au combat contre le capitalisme. Mais c’est dans la CGT, et de loin, qu’il y en a le plus ; c’est pourquoi le but réel de ce rapprochement est d’isoler encore plus les tenants de la lutte des classes dans la centrale qui en compte un nombre non négligeable et, à terme, de transformer la CGT elle aussi en syndicat de collaboration de classe.
Enfin, l’ajout du « à vocation majoritaire » implique un glissement du concept, qui n’était déjà pas révolutionnaire, vers une manière de consensus mou. Benoît Teste, secrétaire-général de la FSU, explique cet ajout : « Cette transformation sociale tente de mobiliser les masses. Le but est de rassembler, non pas sur le plus petit dénominateur commun, mais de rechercher l’unité en toute circonstance pour rassembler très largement le plus grand nombre de collègues. On n’est pas là pour faire des actions minoritaires. ». Manifestement, il s’agit de poursuivre et amplifier la stratégie de l’intersyndicale durant les luttes de 2023 contre la casse des retraites, stratégie qui a conduit au résultat que l’on connaît. Il n’est pas question de gagner, mais d’être ensemble, le plus possible, dans un consensus autour du dialogue social, pour obtenir des compromis.
Syndicalisme et division syndicale
L’une des bases de cette œuvre, enclenchée en 2009 par Bernard Thibault, a été ravivée par Philippe Martinez et la direction de la FERC CGT depuis 2018 est cette idée que la cause principale du déclin du syndicalisme est sa division, une idée devenue ultra majoritaire dans la direction de la FERC, ce qui n’était pas le cas au début des années 2010.
Notons d’abord que l’on parle bien du « syndicalisme », comme s’il n’en existait qu’un seul. A la fin des années 1990, Georges Séguy avait théorisé cette idée qu’il n’existait qu’un seul syndicalisme, dans son plaidoyer pour justifier l’adhésion de la CGT à la CES, organe constitutif de l’Union européenne. Il s’agissait et il s’agit toujours de gommer ou de faire oublier la distinction entre syndicalisme de lutte des classes ou syndicalisme révolutionnaire, syndicalisme réformiste devenu aujourd’hui social-démocrate, et syndicalisme de collaboration de classe.
Ensuite la focalisation sur la division, comme unique ou essentielle explication de la désaffection syndicale permet de passer sous silence les évolutions idéologiques, et notamment, pour ce qui est de la CGT, le glissement, à partir de 1992, vers des positions réformistes puis franchement sociales-démocrates. Cette évolution ainsi que celle du salariat, organisée par le Grand Capital sont bien plus responsables de la baisse du nombre de syndiqués et du déclin du syndicalisme de classe que la division syndicale.
Et cette division, ce que ne veulent pas prendre en compte les tenants du mur des lamentations de la division syndicale, s’explique par des raisons politiques et existe justement parce qu’il n’y a pas qu’un seul syndicalisme. On peut le rappeler en quelques dates. L’Église, le patronat, le parti socialiste et même la CIA ont contribué à diviser le mouvement syndical afin d’affaiblir le courant de lutte des classes.
L’extrême droite et le recours à Macron
Outre la division syndicale, les directions de la FSU et de la CGT ont une préoccupation commune : une fixation sur deux concepts certainement pas traversés par la lutte des classes, à savoir « l’extrême-droite » et « l’arc républicain ». En faisant du RN l’ennemi absolu, les directions, tant de la FSU que de la CGT, ont et répandent une lecture erronée de la société capitaliste actuelle. L’ennemi principal de la classe ouvrière, des salariés, ce n’est pas le RN, c’est le Grand Capital. Et le Grand Capital a plusieurs relais, plusieurs fers au feu, aujourd’hui, d’abord les macronistes, ensuite tous les partis politiques représentés au Parlement, qu'ils soient directement l'expression des intérêts du Grand capital ou qu'ils entendent en perpétuer la domination en ne s'attaquant pas au système capitaliste. Ces fers au feu représentent une possibilité de fixer les mécontentements en les rendant stériles ou bien une opportunité de remplacement d’une équipe au pouvoir plutôt usée par une autre présentant de airs de virginité, ce qui n'est ni le cas de LR, ni du RN, ni des Unions de la Gauche, pas plus que du macronisme.
C’est ainsi qu’il faut comprendre, en matière de media, la fixation sur le seul Bolloré, jugé d’extrême droite (alors qu’il a deux fois contribué à l’élection de Macron). Ses media sont donc jugés infréquentables, alors que ceux possédés par Bouygues, Drahi, Niel ou autres ne le sont pas, alors qu’il s’agit du même cas de figures : des grands capitalistes qui tiennent ce qu’il est convenu d’appeler l’information et font répandre, tous sans exception, la parole de l’idéologie dominante.
Voici ce qu’en dit Charlotte Vanbesien, la secrétaire-générale de la FERC-CGT : « Il y a un climat politique dramatique de montée de l’extrême droite dans les différentes élections en France et dans le monde. Mais aussi de leurs idées. Le contexte du débat sur le projet de loi immigration illustre malheureusement cela à merveille. Ce climat nous oblige à être efficace pour donner espoir dans le camp progressiste. ».
Est-ce que le « camp progressiste » inclut Macron ? Ce n’est pas dit dans la chanson. Mais c’est au nom de ce combat contre l’extrême droite que les deux directions syndicales, avec d’autres, ont adressé un appel implorant et larmoyant à Macron pour qu’il ne promulgue pas la loi immigration, alors que c’est sa loi, son œuvre et qu’il a veillé tout particulièrement à ce qu’elle aboutisse, en négociant au téléphone avec Retailleau. Macron et les partis politiques qui constituent sa majorité relative à l’Assemblée nationale ne sont pas d’une nature politique différente de celle du RN ! Et s’il s’agit de lutter contre les idées racistes, contre cette loi inique, il faut lutter contre Macron et non pas l’appeler à l’aide.
Comment faire passer la pilule dans la CGT ?
Le problème, c’est que lors du 53ème congrès de la CGT, qui s’est tenu en mars dernier, les délégués ont obtenu, par amendement, la disparition d’une référence à un travail particulier d’unité ou unification avec la FSU et Solidaires, de la même manière qu’ils ont rayé du texte la référence au collectif « Plus jamais ça » où les trois syndicats étaient partenaires aux côtés de l’entreprise capitaliste baptisée Greenpeace.
Manifestement, la direction de la CGT a décidé d’ignorer ce « détail » ou de s’asseoir dessus. Elle tente une lecture différente de l’événement. Ces refus ne seraient pas liés au fond (l’unification syndicale), mais au fait que ces choses-là n’avaient pas été discutées par les instances quand Martinez était secrétaire-général. On passe donc d’une question de divergences politiques à un problème de démocratie, en oubliant, au passage, que, pour la première fois depuis que la CGT existe, le rapport d’activité de la direction sortante a été repoussé lors de ce congrès. Or, la commission en charge du document d’orientation avait, lors du congrès, maintenu ces deux formules, au prétexte que l’opposition ne venait pas du refus de la formulation écrite, mais du manque de démocratie et de discussion dans l’organisation sur ces deux sujets. Et les délégués, par leur vote de suppression, ont bien montré que cette assertion était fausse. C’est ce qui explique que la direction confédérale de la CGT déclare que « la déclinaison de cette stratégie sera mise en débat dans nos organisations et nécessitera des étapes partagées avec les syndiqués. ».
Un certain nombre de structures de la CGT sont fermement opposées à ce rapprochement, à commencer par la Fédération des Services Publics, qui syndique les fonctionnaires territoriaux et pour qui, souvent, quand elle existe dans les collectivités territoriales, la FSU est le syndicat du patron.
Mais plus largement, nombre de militants de lutte de la CGT ne voient pas d’un bon œil ce rapprochement avec une structure autonome jugée corporatiste, avec un syndicat au moins social-démocrate, dont le fonctionnement en tendances n’est pas le summum de la démocratie. Et, en effet, la structuration sclérosée de la FSU en tendances, de même que son organisation en métiers, regroupant les personnels enseignants à part des autres, avec un syndicat pour le premier degré (professeurs des écoles), trois autres pour le second degré (professeurs des collèges et lycées ; professeurs d’EPS ; professeurs des lycées professionnels), et ainsi de suite, pose un problème à nombre de militants de la CGT.
Conclusion
Le rapprochement envisagé n’est pas une simple péripétie bureaucratique. Il s’agit de réduire, dans la CGT, l’influence de celles et ceux qui se battent pour un syndicalisme de classe. Au vu du congrès, on peut en estimer le nombre à 1/3 de l’organisation, dont les représentants ont été soigneusement écartés de la direction actuelle.
Il est certain que s’il ne reste plus aucune direction d’aucune confédération qui adopte un tant soit peu une ligne de classes, l’unification s’en verra facilitée. Jamais les patronats britannique, allemand ou nordique n’ont tenté de créer des syndicats rivaux de leur syndicat unique lié organiquement au parti social-démocrate.
Le Parti Révolutionnaire Communistes n’a pas vocation à se mêler des débats internes à la CGT ou la FSU ; mais il porte un regard sur une question essentielle : le maintien de l’existence d’un véritable syndicalisme de classe dans ce pays. L’existence d’un tel syndicalisme, qui non seulement défende les salariés jour après jour, mais aussi combatte le capitalisme, est vitale pour qui veut abattre le capitalisme et construire une société socialiste ; donc pour le Parti Révolutionnaire Communistes. A ce titre il peut émettre un avis sur une opération décidée d’en haut, qui apporte avec elle des nuages noirs guère réjouissants.
Cela dit, la messe n’est pas dite. Et nul doute que les travailleurs de ce pays attachés à l’existence d’un syndicalisme de lutte des classes ne laisseront pas briser les outils dont ils disposent.