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N° 823 30/05/2023 Le congrès de la CES (Confédération Européenne des Syndicats) s’est tenu à Berlin la semaine dernière du mardi 23 au vendredi 26 mai. C’est l’occasion pour le Parti Révolutionnaire Communistes de parler un peu de cette structure qui s’apparente plus à un organisme officiel de l’Union Européenne qu’à une union de syndicats, fussent-ils sociaux-démocrates ou de collaboration de classe.

Notons d’abord que la CES, qui est officiellement financée par l’UE, a tenu un congrès quelques mois après le scandale du QATARGATE(1) dans lequel son secrétaire général d’alors a joué un rôle de premier plan, sans que la CES ne dise un mot de ce scandale. Et bien sûr, cet organisme ne peut pas dire un mot car son existence est étroitement liée au soutien de groupes d’affaires, d’organisations impérialistes et de gouvernements.
Les buts de la CES
Ce n’est un secret pour personne, la CES ne combat pas le capitalisme. Son but n’est pas non plus la satisfaction des revendications des travailleurs. Sur le site de l’organisme, en préparation du congrès, était défini ce but : « Les dirigeants syndicaux européens discuteront pendant quatre jours des revendications et des priorités des syndicats afin de garantir un accord équitable pour les travailleurs. ». Voilà donc le mot lâché, mais qu’est-ce donc qu’un "accord équitable pour les travailleurs" ? C’est le compromis social, ce sont des sacrifices partagés, où les patrons et les capitalistes font leur beurre et où les travailleurs ne sont pas trop lésés. Les travailleurs en lutte aujourd’hui ne veulent pas d’un "accord équitable", ils produisent les richesses que s’accaparent les capitalistes, ils veulent, selon la formule d’Olivier Mateu « tout leur reprendre ».
La secrétaire générale de la CES, l’Irlandaise Esther Lynch, a adressé un message, à l’occasion du premier mai, où elle venait, soi-disant soutenir la lutte contre la réforme des retraites. Le titre de son message n’est guère surprenant : « Together for a fair deal for workers », ce qui signifie : « Ensemble pour un traitement équitable pour les travailleurs ». Et elle a eu l’occasion de préciser sa pensée lors d’une interview. Au journaliste des "Dernières Nouvelles d’Alsace", qui l’interroge pendant la manifestation parisienne, elle indique : « Je suis ici pour apporter la solidarité de plus de 50 millions de travailleurs européens. Les travailleurs savent qu’il nous faut aujourd’hui rester ensemble, face à l’une des premières mesures d’austérité imposées en Europe. Ce n’est pas aux travailleurs de payer pour cette crise. » ; mais celui-ci, plein d’à-propos lui réplique que, dans son pays, l’âge légal de départ à la retraite est déjà à 67 ans. Mais voyons, ce n’est pas pareil, en Irlande, il y a eu beaucoup de réunions, de commissions, bref de dialogue social. Traduction : le gouvernement n’est pas passé en force, les syndicats se sont couchés et ont avalisé la mesure antisociale. En clair le problème n'est pas le report de l’âge de la retraite mais le moyen d'y arriver…
Nous l’avons déjà écrit à plusieurs reprises, le dialogue social c’est la négociation sans lutte, sans rapport de force, c’est de la collaboration de classe.

Et la CES est bien une organisation de collaboration de classe. A preuve, elle a transformé le déroulé du congrès en une "tribune" pour les représentants de la Commission européenne et de l’État membre hôte, et pas le moindre, l’Allemagne impérialiste, avec des dizaines de représentants de l’UE prenant la parole.
Parmi celles-ci, les plus marquantes ont été les interventions retentissantes de la propre présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, du chancelier allemand Olaf Scholz et du directeur général des patrons européens (Business Europe).
Tous ont remercié conjointement la CES pour ses précieux services à l’UE et au grand capital. Tous ont remercié la CES d’avoir promu les "dialogues sociaux" et la logique de "coopération de classe". Tous, par l’intermédiaire du Congrès de la CES, ont annoncé de nouvelles attaques anti-ouvrières des gouvernements, du capital et de l’UE contre les travailleurs, la nouvelle ère d’austérité pour les peuples, afin d’assurer la compétitivité, la croissance et les profits des grands capitalistes. « Les syndicats libres sont les piliers d’une société libre et démocratique » a indiqué le chancelier allemand, ce que l’on peut traduire par « les syndicats compréhensifs sont les piliers de la société capitaliste, de l’exploitation de l’Homme par l’Homme. »
Tous ces ennemis et exploiteurs des travailleurs sont partis sous les applaudissements de leurs serviteurs, les membres de la CES. Pire, le discours de la présidente de la Commission a été célébré par une standing ovation, toute la salle se levant en l’honneur de la personne directement responsable de la pauvreté énergétique des travailleurs européens, de l’inflation massive, de l’atteinte aux droits des travailleurs, du gel de nos salaires, de celle qui représente la corruption généralisée et la soumission aux multinationales pharmaceutiques.
Le syndicat grec de lutte des classes, PAME, qui n’est pas membre de la CES, commente la chose ainsi : « On n’applaudit pas les bouchers des ouvriers ! Aucun ouvrier militant, aucun syndicat militant ne peut accepter le rôle d’applaudir à l’attaque anti-ouvrière ! Aucune véritable organisation syndicale de travailleurs ne peut avoir quoi que ce soit à voir avec les mécanismes de type CES. »
Les leurres, les illusions sur ce qu’est la CES
La CGT, syndicat dans lequel demeurent des organisations de lutte des classes est, hélas, membre de la CES. Avant le congrès, le 21 mai, son secteur international a publié un bref message sur le congrès à venir. On ne peut qu’être surpris par l’étrange naïveté de ce qu’elle dit (et d’autres aussi) de la CES, qui est complètement hors du réel. D’abord, la CGT serait entendue des autorités de la CES. Un conseiller confédéral, docte spécialiste élu par personne, nous indique que : « Les contributions de la CGT sont assez attendues. Nos positions sont scrutées attentivement en Europe dans cette période où l’action et la mobilisation sont nécessaires » ; la preuve, continue le texte, c’est que la secrétaire générale de la CES, l’Irlandaise Esther Lynch est venue manifester en France deux fois contre la réforme des retraites. Sa démarche témoigne d’une réelle volonté politique. Il suffit de se reporter à ce que nous disons plus haut pour comprendre ce qu’est cette volonté politique.
Deuxième légende, il y aurait des acquis des travailleurs dus à la CES. A tout seigneur tout honneur, laissons la parole d’abord à Laurent Berger, dans son discours inaugural du congrès de la CES, dont il est le président : « Le plan d’investissement d’ampleur qu’est "Next Generation UE", le mécanisme de réassurance chômage européenne "SURE" ou encore l’emprunt commun… sont autant d’avancées pour l’Europe et pour les travailleuses et travailleurs qu’on peut mettre en partie au crédit du syndicalisme européen et de la CES. ». Mais, Sophie Binet, pour la CGT, n’est pas en reste dans son intervention : « Toutes les avancées européennes de la dernière période sont issues de nos luttes coordonnées par la CES. Sans les campagnes revendicatives offensives dans nos différents pays pour exiger des salaires répondant aux besoins des travailleurs, pas de Directive salaire minimum ! Sans les luttes des coursiers, sans contestations victorieuses du faux travail indépendant devant les tribunaux nationaux, pas de projet de Directive européenne sur les travailleurs de plateforme établissant une présomption de salariat ! Sans la mobilisation de notre comité des femmes, pas de directive sur la transparence salariale ! ». On apprend donc qu’il y a eu des "avancées européennes" dans lesquelles la CES a joué un rôle exemplaire. On y apprend aussi, encore plus surprenant, que la CES coordonne les luttes depuis ses bureaux de Bruxelles !!! Quel dommage que les salariés n’en aient pas conscience !
Pour autant, la CGT pointe tout de même quelques soucis. Le texte du secteur international se demande si la CES va être à l’offensive et proposer un agenda autonome ou pas par rapport à l'agenda de l'Union européenne. Sophie Binet en remet une couche dans son discours, en insistant sur la nécessité d'affirmer un programme syndical européen autonome, sans attendre les initiatives des institutions, afin d’exercer une influence plus forte sur l’agenda politique européen et obtenir la mise à l’ordre du jour des préoccupations syndicales.
Pour autant, il n’y a pas de rejet du comportement institutionnel de la CES puisque le texte du secteur international se pose une grave question : « Comment s'y prendre pour coordonner le travail institutionnel au niveau européen et des mobilisations nationales et européennes ? » ; il est certain que c’est la question importante que se posent les travailleurs.
Enfin, la secrétaire-générale de la CGT pointe tout de même trois priorités qui ne semblent pas mises en œuvre pour le moment par la CES : la nécessité de stopper le mouvement de privatisation mené par la commission européenne ; le retour des coupes dans les dépenses publiques (que la période COVID aurait soi-disant fait disparaître, langage typique de la CES) et l’utilisation des cadres comme cheval de Troie pour déréguler les garanties collectives par exemple sur le temps de travail et le télétravail. On attend avec impatience que la CES prenne à bras-le-corps ces sujets.
La tarte à la crème de la transition énergétique

Lors du congrès de la CES, on a aussi beaucoup discuté d’une des préoccupations majeure des véhicules de l’idéologie dominante, en France comme en Union Européenne : le soi-disant sauvetage de la planète. C’est Olaf Scholz qui a lancé l’affaire en affirmant : « Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de partenaires sociaux forts pour faire face aux défis de transition à venir, notamment la transition énergétique. »

Nous avons déjà évoqué cette question, et sans trop s’attarder, nous allons simplement évoquer l’intervention d’une militante de la CGT au congrès sur ce sujet, totalement représentative du stade d’ingestion de l’idéologie dominante qui caractérise certains militants de la CGT.
Son entrée en matière donne le la : « Notre cadre d’action marque notre volonté de développer une vision syndicale du concept de sobriété, en insistant notamment sur le travail décent et la réduction du temps de travail. Les scientifiques du GIEC, avec lesquels le monde syndical est en lien et dont les travaux permettent de mesurer le réchauffement climatique et son évolution, ne cessent d’alerter les décideurs sur l’urgence de la transition écologique et les mesures drastiques nécessaires immédiatement. » Outre l’utilisation des termes officiels de l’idéologie capitaliste comme sobriété ou décideurs, on ne mesure pas le quart de la moitié d’un doute sur l’organisme inter étatique et non scientifique qu’est le GIEC et son véritable rôle. Et tout le reste est à l’avenant, ainsi on y apprend que s’il faut la réduction du temps de travail, ce n’est pas pour vivre mieux ou embaucher, mais pour sauver la planète, un peu comme l’ISF, qui peut devenir acceptable pour certains, si c’est pour la "bonne cause". Donc, la réduction du temps de travail peut servir à « à libérer du temps pour pouvoir par exemple mettre en œuvre d’autres modes de consommation. » C’est à suggérer aux millions de Français qui ne prennent qu’un repas par jour. Outre l’adéquation totale au discours dominant que l’on trouve dans ce texte, on se demande où vit cette syndicaliste, tant elle apparaît coupée du réel.
En conclusion
Au bilan, on peut dire que la CES, par son congrès, aura bien mérité de ses patrons officiels, les dirigeants de l’UE et réels, les grands capitalistes européens.
C’est un congrès qui entrera dans l’histoire pour le nouveau plancher atteint par les cadres de la CES bien payés, transformant le soi-disant congrès "syndical" en une plate-forme pour l’annonce faite en plein congrès, des nouvelles attaques anti-ouvrières par les dirigeants patronaux, de l’UE et des Gouvernements des États.
La CES se montre de plus en plus comme une structure qui, contrairement à ce qui est dit, ne permet aucune avancée des droits des travailleurs, ne coordonne aucune lutte, ne combat pas le capitalisme, mais joue son rôle de serviteur des institutions et du Grand Capital. Ce n’est qu’une bande de bureaucrate adeptes du dialogue social et des "accords équitables".
Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, ce congrès a révélé la nature profonde de la CES ; les travailleurs n’ont rien à en attendre.

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(1) Qatargate : https://www.sitecommunistes.org/index.php/monde/monde/2095-rubrique-internationale-une-visite-qui-signe-comme-un-glissement-union-europeenne-les-serviteurs-zeles-legiferent-au-nom-des-interets-du-capital

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