N° 816 13/04/2023 I Un congrès de la CGT, ça intéresse les militants communistes
Il y a deux semaines, s’est déroulé le 53ème congrès de la CGT. C’est toujours un événement important, mais celui-là l’a été particulièrement et à plus d’un titre.
Nous nous proposons d’en tirer quelques enseignements. Non que le Parti Révolutionnaire Communistes veuille se mêler des affaires de la CGT. Mais l’existence et le renforcement du courant de lutte des classes dans le mouvement syndical intéresse forcément les militants révolutionnaires.
D’ailleurs, nous avions publié une brochure(1) sur le syndicalisme dans notre pays, qui est toujours d’actualité, les problématiques que nous allons développer ici y figuraient déjà.
II Un bilan du congrès
Il nous faut d’abord souligner l’intérêt qu’a suscité dans l’organisation ce congrès. On le sent à travers sa préparation, qui a donné lieu à une confrontation de points de vue divers sur l’orientation syndicale et dans le fait que 80 % des délégués étaient des néo-congressistes.
Le principal événement de ce congrès a eu lieu le mardi 28 mars : le rapport d’activité présenté au nom de la direction confédérale sortante a été repoussé. C’est la première fois, depuis que la CGT existe, que la direction sortante est ainsi désavouée. Et ce n’est pas une surprise complète. Depuis des mois, on sentait monter, dans la CGT, des critiques de plus en plus importantes tant contre l’orientation choisie par la direction confédérale que contre ses pratiques antidémocratiques.
Derrière ce vote, il faut voir une volonté de la majorité des congressistes de peser sur l’orientation future afin de revenir aux fondamentaux, de la lutte des classes. Comme symbole, nous avons les interventions et votes des congressistes contre le collectif « plus jamais ça », contre la perspective d’une union organique avec un syndicat très peu présent finalement dans la lutte contre la réforme des retraites, la FSU. Les affirmations d’un syndicat de lutte, la volonté de ne plus se contenter des journées saute-mouton de l’intersyndicale et de passer à la grève reconduite et élargie, seul moyen de gagner ont servi de trame au quotidien du congrès. Le fait qu’il se déroule en plein dans le mouvement de lutte le plus important que la France ait connu depuis mai 1968, juste après des luttes marquantes et gagnantes à l’automne, chez les raffineurs, les gaziers et les contrôleurs de train n'y est pas pour rien.
On y a rencontré également une volonté majoritaire des congressistes d’en finir avec les pratiques antidémocratiques de la direction sortante qui a refusé, en amont du congrès comme pendants sa tenue de rassembler l’ensemble de la CGT, a tenté jusqu’au bout de passer en force. A cet égard, le premier vote du CCN écartant de la liste des candidats à la future direction (la commission exécutive confédérale) ceux qui représentaient l’aile de lutte des classes, sous des prétextes fallacieux (nous y reviendrons) est un exemple frappant du fait qu’à aucun moment, il n’a été question, pour les dirigeants confédéraux désavoués par le congrès de tenir compte du vote contre le rapport d’activité, de rassembler le congrès.
Le document d’orientation a été largement amendé, y compris contre la volonté de la commission (les retraits de l’évocation du collectif « plus jamais ça » et de l’unification avec la FSU) et a été approuvé par 72 % des syndicats présents au congrès. Même amendé, ce document porte toujours les marqueurs de l’orientation syndicale de la direction de la CGT depuis 25 ans : le « syndicalisme rassemblé », le « dialogue social », l’ordre juste et "le partage des richesses" et les marqueurs plus récents : la part belle à l’écologie et le féminisme déconnecté des enjeux de classe.
III L’orientation de la direction confédérale de la CGT depuis des décennies
Détaillons un peu ce que sont ces marqueurs qui restent présents dans le document d’orientation et ont caractérisé les choix de la direction de la CGT depuis plus de vingt ans.
Les références répétées à l’intersyndicale, surtout dans le contexte de la lutte actuelle indiquent bien la dérive que porte l’orientation : l’unité syndicale n’est plus un moyen de gagner mais un but en soi. Que l’intersyndicale ait, dans un premier temps, permis de rassembler et de mettre en grève des millions de travailleurs est indéniable. Cependant, à partir du moment où il était clair que Macron ne bougerait pas, même si l’intersyndicale mettait des millions de personne en manifestation, il fallait passer à autre chose, ancrer et élargir la grève et ce, jour après jour, ce qu’on fait les raffineurs, dockers, cheminots, salariés des déchets, verriers, salariés des industries électriques et gazières, à l’appel principalement ou uniquement de leurs syndicats, fédérations et parfois Union Départementale CGT. Le but est passé de la gagne au maintien de l’intersyndicale soudée, ce qui nécessitait de se rallier au moins disant, soit aux positions de la CFDT, c’est-à-dire les journées saute-mouton, le refus des blocages et de l’élargissement du nombre de secteurs en lutte.
Ce concept a même été élargi à des associations comme c’est le cas avec le collectif « Plus jamais ça », qui contient des organisations comme Greenpeace dont la lutte des classes est le dernier des soucis. Cette idée d’une unité devenu un but en soi, avec les autres syndicats et au-delà est significative d’une résignation ou d’un abandon de la possibilité de gagner. La lutte se résume à quelques grosses journées de manifestation ou à empiler des tonnes de logos sur un tract ; quand il s’agit de lutter contre un projet essentiel et indispensable pour les grands capitalistes, c’est insuffisant. Et, à l’expérience, ça finit par être démobilisateur. L’unité d’action indispensable doit se construire en bas, parmi les travailleurs.
Par ailleurs, les directions successives de la CGT ont promu ce que l’on appelle le « dialogue social ». Cela consiste à passer beaucoup de temps à discuter avec le patronat ou l’État de beaucoup de sujets sans s’appuyer sur un rapport de force. C’est un leurre. Quand on voit qu’avec le niveau des grèves depuis près de trois mois, la réforme des retraites n’a pas encore été retirée, on comprend bien qu’il n’est rien possible d’obtenir sans rapport de force. Le seul dialogue social, c’est la grève.
Cela a conduit à ne pas valoriser certaines luttes, pourtant gagnantes, comme celle des gaziers en décembre dernier, à ne pas appeler franchement (contrairement à certaines fédérations et Unions Départementales) au blocage du pays. Et puis, vient de sortir, ce nouvel avatar, la "démocratie sociale", qui existerait comme la liberté politique et que Macron ne respecterait pas. Cela permet encore une fois de valoriser la position de l’intersyndicale en oubliant que la victoire n’est toujours pas au rendez-vous, mais surtout cela évite de remettre en cause l’ordre établi. Le problème, ce n’est pas l’irrespect de la « démocratie sociale », c’est que la démocratie bourgeoise, et plus particulièrement la Vème République est antidémocratique. La légitimité c’est celle des travailleurs en lutte, pas celle de la société capitaliste. Parler de « démocratie sociale » permet d’éviter de la dénoncer. La situation est celle que décrit Engels dans "L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État" : « Et enfin, la classe possédante règne directement au moyen du suffrage universel. Tant que la classe opprimée, c'est-à-dire, en l'occurrence, le prolé-tariat, ne sera pas encore assez mûr pour se libérer lui-même, il considérera dans sa majorité le régime social existant comme le seul possible et formera, politiquement parlant, la queue de la classe capitaliste, son aile gauche. »
Nous avons déjà traité, dans un précédent article, du partage des richesses(2) concept qui semble l’alpha et l’oméga du changement de société pour l’ancienne direction de la CGT et qui est maintenu dans le document d’orientation voté au congrès. Rappelons les grandes lignes de ce que nous disions. Le concept de partage des richesses est un des avatars les plus dangereux de l’arsenal idéologique du Grand Capital, et ce pour deux raisons. D’abord, il s’est peu à peu substitué à l’idée révolutionnaire de l’appropriation par les travailleurs des moyens de production et d’échange. Exit la socialisation de ces moyens. Exit même la question si dérangeante pour le Capital de « Qui possède ? ». Ensuite, il relève d’une gigantesque illusion. La classe capitaliste ne veut pas partager les richesses, ne peut d’ailleurs pas, à cause de la baisse tendancielle du taux de profit. […] Un objectif est posé « la transformation sociale » avec pour finalité « une autre répartition des richesses » et « une société plus juste ». La transformation sociale en elle-même ne signifie pas une transformation politique et économique, et ne porte pas un changement des bases sur lesquelles est assis le système économique actuel, à savoir le système d'exploitation capitaliste du travail salarié, d’autant qu'associé à « une autre répartition des richesses » et à « une société plus juste » cela signifierait que la transformation sociale se construirait sur des bases de partage, donc d'aménagement du capital. […] Cela révèle, pour ce qui est de la direction de la CGT, en tout cas, un changement de paradigme savamment organisé depuis 1995 où, lors du congrès confédéral, le concept de syndicalisme rassemblé s’est substitué à celui de la socialisation des moyens de production. Ce concept est central. En effet face à l'appropriation privée de la valeur produite par un travail de plus en plus social, il ne peut y avoir de changement révolutionnaire de la société sans en finir avec la propriété privée des grands moyens de production et d'échanges et sans un pouvoir politique aux mains de la classe des producteurs.
Évoquons maintenant les nouveaux thèmes dont s’est enrichie la sémantique officielle de la CGT le féminisme et l’écologie.
On ne saurait tracer un bilan de la précédente direction confédérale de la CGT ni du 53ème congrès sans évoquer la question "féministe". Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, la question du patriarcat est réelle. Cette domination est présente, aux côtés de l’oppression de classe, sous des formes ayant évolué, dans toutes les sociétés de classe, des premiers États de l’Antiquité au capitalisme à son stade impérialiste. Mais la victoire contre le patriarcat, comme contre la domination capitaliste ne peut se faire qu’en renversant le système capitaliste et établissant une société socialiste. Ce point acquis, il en est du féminisme comme du capitalisme, il n’en existe pas qu’un. Et le courant qui domine en France aujourd’hui ne remet pas en cause le système capitaliste et défend la femme bourgeoise au même titre que la femme prolétaire. Voici ce qu’en disait en 1912 Rosa Luxemburg, féministe et marxiste : « Les femmes de la bourgeoisie ne sont rien d’autre que des consommatrices de la plus-value que leurs hommes extorquent au prolétariat. Elles sont les parasites des parasites du corps social. Et les consommateurs sont généralement plus frénétiques et cruels pour défendre leurs « droits » à une vie parasitaire, que l’agent direct du pouvoir et de l’exploitation de classe. […] Économiquement et socialement, les femmes des classes exploiteuses ne sont pas un segment indépendant de la population. Leur unique fonction sociale, c’est d’être les instruments de la reproduction naturelle des classes dominantes. A l’opposé, les femmes du prolétariat sont économiquement indépendantes. Elles sont productives pour la société. »
Les dérives actuelles du "féminisme" emmènent à considérer tous les hommes comme des prédateurs et, donc, que l’ennemi est l’homme et non le capitalisme. Nous sommes passés d’une dénonciation, tout à fait juste, des violences commises contre les femmes à un soupçon permanent sur l’ensemble des hommes, tous violeurs en puissance, et à créer des commissions pour juger les comportements estimés déviants de certains camarades. Et l’on a pu voir pendant la préparation du congrès et son déroulement l’instrumentalisation de la cause soi-disant "féminisme" pour écarter des camarades des postes de direction ou pour accuser celles et ceux qui ne voulaient pas de la candidature choisie par Philippe Martinez d’être de dangereux "masculinistes".
L’écologie est un thème de l’idéologie dominante très présent. Il ne s’agit pas ici de développer outre-mesure le sujet, mais d’en dire un mot, parce que c’est au cœur de la controverse entre syndicalisme de classe et syndicalisme réformiste, social-démocrate ou de collaboration de classe. L’écologie, telle qu’elle s’exprime aujourd’hui, a deux parrains. D’abord le Club de Rome, une institution comprenant des scientifiques, des économistes, des hauts fonctionnaires de plusieurs pays d’Europe de l’ouest et des patrons. Émanation de l’OCDE, il reçoit très vite l’appui de la Fondation Rockfeller. Un rapport émis par des membres du club et approuvé par lui en 1972, intitulé "Limites à la croissance" signe le début des concepts de "développement durable", de "croissance zéro" et les débuts en Europe de l’ouest de l’écologie politique. Il s’agit d’établir une diversion afin de réduire le sentiment de classe des travailleurs, de remplacer le terrain de la lutte des classes par un autre, sans danger pour le capitalisme et son développement. Ensuite, le GIEC, un organisme politique et non scientifique, fondé par Reagan, Thatcher et le G7 en 1988. Les "experts" qui le constituent sont issus des sciences de la nature, mais aussi des sciences politiques et économistes. Son actuel président est un économiste qui a travaillé chez Exxon.
Envisagé dès la fin des années soixante par l’OCDE, l’ajustement du capitalisme vers d’autres activités que le charbon ou le pétrole, que l’on habille d’une justification philo-humaniste est à l’œuvre depuis au moins les années 80. Pour justifier tout cela, les tenants des multinationales et les dirigeants de certaines puissances impérialistes ont utilisé le scientisme. Ils ont décrété une science absolue, incontestable, que l’on n’a pas besoin de prouver qui se résume en cette phrase : « Il est avéré et prouvé que les dérèglements climatiques que nous connaissons sont d’origine humaine ». S’il paraît certain que tout ce que nous balançons dans l’atmosphère est un réel problème d'environnement, les thèses de l’origine humaine et du pire dérèglement climatique depuis la nuit des temps ne rencontrent pas l’adhésion unanime des scientifiques, mais il est difficile à ceux qui ne sont pas d’accord de faire financer leurs recherches ou même de s’exprimer. Et par ailleurs, c’est l’Homme, individu, qui est mis en cause (avec le cortège des culpabilisations), et pas les rapports sociaux en l'occurrence le système capitaliste. Le Parti Révolutionnaire Communistes ne rentre pas dans la procession quasi religieuse de la soi-disant transition énergétique qui n’est qu’un passage du capitalisme noir au capitalisme vert, qui ne s’attaque en aucun cas au système.
Or la perméabilité au discours de l’idéologie dominante en ce domaine est impressionnante. Au sein même du congrès de la CGT, des délégués l’ont recraché tel quel, sans précaution ni alerte. Comme avec le féminisme, il s’agit d’une diversion pour que les questions de classes soient reléguées. Et nous avons vu que, ces derniers temps, la CGT officielle a largement diffusé le discours dominant et s’est inscrite au sein du collectif « Plus jamais ça».
Enfin, il faut dire un mot de la volonté de transformer l’organisation de la CGT, qui est celle des directions successives depuis Bernard Thibault. La CGT est une organisation confédérée, ce qui signifie que les structures professionnelles (fédérations), territoriales (les unions départementales) et les syndicats ne sont pas des subordonnées de la confédération, mais qu’ils/elles décident totalement de leur orientation. Or, à plusieurs reprises, Bernard Thibault notamment a tenté de mettre les fédérations sous domination. Le projet a resurgi ensuite, et il s’est mis en place, sans validation par un congrès ou une instance, une verticalisation de la CGT, visant à mettre dans les faits le primat de la direction confédérale sur les directions fédérales ou de celles des comités régionaux, qui ne devraient être que des coordinations, sur les directions des UD, un fonctionnement sur le modèle de celui de la CFDT. Le 53ème congrès y a clairement mis un coup d’arrêt : la composition du nouveau bureau confédéral en est une preuve.
IV Conclusion
Lors de ce congrès les syndicats ont réussi à reprendre la main, au moins en partie, ils ont bouleversé des plans où tout était décidé à l’avance.
Il a vu l'émergence d'un discours de classe cohérent. Le rapport de force du syndicalisme de lutte des classes et des organisations qui le mettent en œuvre dans la CGT pèse de manière significative.
La disparition des pays socialistes et en premier lieu de l'URSS a considérablement modifié le rapport des forces à l'échelle internationale. Aujourd'hui, le capitalisme dans sa forme impérialiste moderne domine le monde et nous en mesurons tous les jours les conséquences pour les peuples. La question posée devient alors : Est-ce que le capitalisme est la fin de l'Histoire ! Si oui il ne reste plus qu'à l'humaniser. On n'est plus dans l'affrontement de classe. C’est ce qui explique, y compris chez des militants et dirigeants de la CGT, le recours à l’écologie, chargée d’humaniser le capitalisme, ou la volonté de dire que l’oppression de classe n’est finalement qu’une discrimination parmi d’autres, comme la domination patriarcale, ou même comme le racisme et autres discriminations.
La question posée est donc bien celle du choix entre le courant social-démocrate qui entend corriger à la marge les méfaits du capitalisme et le courant révolutionnaire qui entend organiser la lutte pour les revendications immédiates sans perdre de vue l'abolition du salariat et du patronat par la lutte des classes.
Après le 53ème congrès de la CGT, la question reste ouverte.