N° 806 02/02/2023 Ce slogan d'un autre partage des richesses est aujourd'hui très en vogue et il est fréquent de l'entendre dans la bouche de dirigeants politiques et syndicaux sur un large spectre de l'échiquier. N. Sarkozy en son temps ne préconisait-il pas un autre partage de la valeur.
Ainsi, Le 5 février 2009, N. Sarkozy intervenait dans une émission, « Face à la crise » où il y parlait, notamment, du partage de la valeur, relevant un « sentiment d’injustice majeur » dû au « siphonnage des profits par les actionnaires », envisageant une répartition égale entre salariés, actionnaires et investissements. Cette déclaration avait au moins le mérite de la clarté puisque n'était nullement mis en cause le système d'exploitation capitaliste du travail salarié.
Le syndicalisme, quel qu'il soit, n'est pas en dehors des courants idéologiques, des courants dominants, de la bataille idéologique qui traversent la société… et les idées dominantes dans la société sont loin de reposer sur une perception de lutte de classe. « Les idées dominantes sont celles de la classe dominante », disait Marx.
Le concept de partage des richesses est un des avatars les plus dangereux de l’arsenal idéologique du Grand Capital, et ce pour deux raisons. D’abord, il s’est peu à peu substitué à l’idée révolutionnaire de l’appropriation par les travailleurs des moyens de production et d’échange. Exit la socialisation de ces moyens. Exit même la question si dérangeante pour le Capital de « Qui possède ? ». Ensuite, il relève d’une gigantesque illusion. La classe capitaliste ne veut pas partager les richesses, ne peut d’ailleurs pas, à cause de la baisse tendancielle du taux de profit. Ainsi, entre 1960 et 2019, ce taux est passé de 10 % à un peu plus de 6,5 %, avec un maximum en 1967 et un minimum en 2009, 2019 étant la deuxième année la plus basse. Avec ce concept, nous sommes dans une demande a minima, un compromis, en quelque sorte. Mais l’histoire de ces trente dernières années, où, après la fin des pays socialistes d’Europe, il était de bon ton de ne plus parler de révolution, montre qu’aucune revendication minimale n’a été gagnée, qu’aucun compromis n’a été obtenu, nous avons vécu le rabotage à vitesse grand V de toutes les conquêtes sociales, et pas vu l’ombre du quart de la moitié d’un partage des richesses.
Ainsi, ce concept de partage des richesses, largement au cœur de l'idéologie véhiculée par les syndicats réformistes de la CFDT à la CFTC en passant par la CFE-CGC et l'UNSA... se retrouve-t-il dans le préambule du document d'orientation pour la préparation du 53e congrès de la CGT. Cela fait sens car un préambule est toujours le miroir d'une politique, toujours porteuse du sens politique sur lequel reposent les textes qu'il précède. Dès le premier paragraphe de ce préambule, un objectif est posé « la transformation sociale » avec pour finalité « une autre répartition des richesses » et « une société plus juste ». La transformation sociale en elle-même ne signifie pas une transformation politique et économique, et ne porte pas un changement des bases sur lesquelles est assis le système économique actuel, à savoir le système d'exploitation capitaliste du travail salarié, d’autant qu'associé à « une autre répartition des richesses » et à « une société plus juste » cela signifierait que la transformation sociale se construirait sur des bases de partage, donc d'aménagement du capital dans un ordre qui serait considéré comme un ordre juste. Or qu’est-ce qu’un ordre juste ? C'est la juste place attribuée à chacune des composantes de la société, qui concourent à la société, ce qui nous ramène à une vision qui nie les antagonismes de classe, qui associe capital et travail. L'ordre juste, nous ramène à des conceptions de concorde et d'harmonie, chacun a sa juste place contribuant au bien commun ; et le bien commun est porté par le préambule ; la transformation de la société (paragraphe 9) appelant à l'action pour « le bien commun » (paragraphe 10). Sauf que le bien commun, ce n'est pas le bien public. Dans le bien commun, le terme commun désigne une réalité partagée par tous, indépendamment d'une organisation de la société en classes antagoniques. C'est l'association capital travail ! Le bien public, lui, désigne une réalité qui dépend du pouvoir politique, d'un État qui implique les individus qui constituent la société sans que ceux-ci partagent les mêmes conceptions, sans que ceux-ci ne fassent qu'un seul corps.
Cette notion de bien commun nous ramène à la notion de responsabilité sociale des entreprises (Robert Owen 19e siècle(1) ) nous ramène à un système de production capitaliste sans existence d'un prolétariat et donc d'une base révolutionnaire. Ce sont les thèses de Proudhon, vivement combattues par K. Marx(2) qui a contrario, à partir de l'analyse du mode de production capitaliste montre la constitution d'une classe de prolétaires- ceux qui n'ont que leur force de travail à vendre- fondamentalement antagonique à la classe capitaliste, classe des prolétaires capable de mettre fin au système d'exploitation de l'Homme par l'Homme, parce qu’elle n’a à perdre que ses chaînes.
La question posée est donc bien celle du choix entre le courant social-démocrate qui entend corriger à la marge les méfaits du capitalisme et le courant révolutionnaire qui entend organiser la lutte pour les revendications immédiates sans perdre de vue l'abolition du salariat et du patronat par la lutte des classes. Nous avons d’ailleurs, il y a quelques années, rédigé et publié une brochure sur la question(3) .
Ce clivage a toujours traversé le mouvement ouvrier mais il prend une tournure aiguë depuis que les pays socialistes d’Europe ont disparu : syndicalisme de classe ou de gestion et de compromission ?
L’existence de syndicats révolutionnaires est vitale pour qui veut en finir avec le vieux monde capitaliste et construire le socialisme. Dans toute notre histoire, c’est dans la CGT, hormis les années 1921 à 1935 avec la CGTU, que se sont retrouvés les syndicalistes de lutte de classes. Cet outil formidable est lui aussi aujourd’hui à la croisée des chemins : son avenir intéresse au plus haut point les militants du Parti Révolutionnaire Communistes.
La question qui est posée à tous est donc bien celle de l'orientation : partage des richesses ou lutte des classes !
Cela révèle, pour ce qui est de la direction de la CGT, en tout cas, un changement de paradigme savamment organisé depuis 1995 où, lors du congrès confédéral, le concept de syndicalisme rassemblé s’est substitué à celui de la socialisation des moyens de production. Ce concept est central. En effet face à l'appropriation privée de la valeur produite par un travail de plus en plus social, il ne peut y avoir de changement révolutionnaire de la société sans en finir avec la propriété privée des grands moyens de production et d'échanges et sans un pouvoir politique aux mains de la classe des producteurs.
La logique d'une orientation qui vise à partager les richesses conduit à l'idée d'un syndicalisme rassemblé des grandes confédérations syndicales. Ce syndicalisme, tournant le dos à la lutte des classes serait aussi une solution à la difficulté de mener des luttes d'ampleur. Cela a évidemment comme tendance lourde une orientation de plus en plus marquée par les organisations de collaboration de classe et donc à un alignement vers le moins-disant revendicatif et l'attentisme, comme c'est le cas aujourd'hui avec la question des retraites où, les confédérations tout en rappelant leur opposition au report de l'âge de la retraite à 65 ans, laissent au gouvernement et au patronat le soin de mener le tempo et ouvrent la voie à toutes les manœuvres dans un donnant-donnant si cher à la CFDT avec lequel les salariés sont systématiquement perdants comme en 2003 et 2010 au sujet des retraites.
La disparition des pays socialistes et en premier lieu de l'URSS a considérablement modifié le rapport des forces à l'échelle internationale. Aujourd'hui, le capitalisme dans sa forme impérialiste moderne domine le monde et nous en mesurons tous les jours les conséquences pour les peuples. La question posée devient alors : Est-ce que le capitalisme est la fin de l'Histoire ! Si oui il ne reste plus qu'à l'humaniser. On n'est plus dans l'affrontement de classe. Il n'y aurait plus de syndicalisme de classe, de syndicalisme réformiste, ni de syndicalisme de collaboration de classe. Il y aurait le syndicalisme dans son ensemble et le patronat. L'orientation de classe ne serait plus pertinente et la CGT devrait renoncer ainsi à organiser des actions seule.
Le syndicalisme de classe : une urgente nécessité
Ce débat ne traverse pas que la CGT, mais il y est fort présent. Syndicalisme de compromission avec la CFDT... le patronat et le gouvernement, recherche d’alliances contre nature avec Greenpeace, qui s’en tient à une humanisation du capitalisme ou syndicalisme de lutte de classe pour faire reculer les prétentions du patronat et bataille pour abattre le capitalisme ? Ce choix est vital pour tous les salariés de ce pays. Le nôtre est fait : celui de la lutte des classes pour abattre le capitalisme et construire le socialisme !
1 Robert Owen, né le 14 mai 1771 à Newtown et mort le 17 novembre 1858 dans la même ville, est un entrepreneur et théoricien socialiste britannique. Ses idées et ses réalisations ont inspiré un courant « socialiste utopique » baptisé « owenisme », influent durant la première moitié du XIXᵉ siècle.
2 http://www.cuem.info/?page_id=795
"C’est dans cette critique contre Proudhon que Marx développe pour la première fois l’idée du matérialisme historique.
Que dit donc Proudhon ? Tout d’abord, observons qu’il rejette la dialectique hégélienne (thèse, antithèse, synthèse) ; pour lui, « La formule hégélienne n’est une triade que par le bon plaisir ou l’erreur du maître, qui compte trois termes là où il n’y en existe véritablement que deux, et qui n’a pas vu que l’antinomie ne se résout point, mais qu’elle indique une oscillation ou antagonisme susceptible seulement d’équilibre ». Proudhon en tire la conclusion suivante : « Pour que le pouvoir social agisse dans sa plénitude il faut que les forces en question dont il se compose soient en équilibre... Cet équilibre doit résulter du balancement des forces agissant les unes sur les autres en toute liberté et se faisant mutuellement équation ».
C’est là une magnifique définition de la collaboration de classe. À aucun moment, la question d’en finir avec le système d’exploitation capitaliste n’est posée ! Marx ne se prive pas de classer Proudhon parmi les « socialistes bourgeois ». Il les définit ainsi : « Les socialistes bourgeois veulent les conditions de la société moderne sans les luttes et les dangers qui en découlent nécessairement ; ils veulent la société actuelle après l’élimination des éléments qui la révolutionnent et la désagrègent. Ils veulent la bourgeoisie sans le prolétariat... Ils s’efforcent de dégoûter la classe ouvrière de tout mouvement révolutionnaire ». Ainsi, si le petit bourgeois Proudhon opte pour le soutien mutuel des termes antagonistes, la classe ouvrière et la bourgeoisie, Marx et Engels eux optent pour la solution révolutionnaire, c’est à dire l’expropriation du capital. Ainsi, dans la critique des positions de Proudhon est posée clairement l’alternative fondamentale entre collaboration et lutte de classe".
3 https://www.sitecommunistes.org/index.php/publications/documents/1169-syndicalisme-et-lutte-de-classe