Gantry 5

 

N° 927 27/05/2025  Dans un article précédent, traitant du show macronien à la télévision1 le 13 mai, nous avons noté que les questions sociétales et en particulier celle de l'immigration avaient fait l'objet : "[d'une] course à l'échalote sécuritaire qui a dû régaler les réactionnaires et fascistes de tous poils". Cette appréciation est totalement confirmée par l'opération politicienne qui se noue autour du rapport2 : "Frères musulmans et islamisme politique en France". Ce rapport, qui reprend les termes de l’extrême droite, a été demandé en avril 2024 sur commande du Président de la République en Conseil de défense et de sécurité nationale en janvier 2024,3. Il a été rendu partiellement public après qu'il a fait l'objet d'une discussion en conseil de défense le 21 mai.
Plus que le rapport lui-même qui n'apporte pas d'éléments nouveaux sur l'histoire des Frères Musulmans pas plus d'ailleurs que sur leur activité en France et dans le monde, ce qui est révélateur de l’opération politicienne, ce sont la mise en scène de sa publication par le ministre de l'intérieur et les réactions qu'il a suscitées.
Rappelons brièvement, que les Frères Musulmans sont une organisation pan-islamiste sunnite fondée en 1928, elle est pour le moins profondément conservatrice, voire réactionnaire. Elle est selon Xavier Ternisien4 : "une mouvance hétérogène, labile, multiforme, traversée de courant hétéroclite". Profondément impliquée dans la vie politique des pays arabes, ses composantes locales ont été en charge des gouvernements en Égypte, Tunisie, Maroc avant d'en être chassées et parfois interdites. En Syrie, sa forme locale a soutenu l'opposition syrienne à Bachar el Assad et se retrouve proche du pouvoir actuel adoubé par les puissances occidentales. Les rencontres récentes, Trump Ahmed al-Charaa, comme avec Erdogan en témoignent, de ce point de vue la diplomatie française n'est pas en reste. Il est vrai que la mouvance des Frères Musulmans, par son positionnement a suscité l'intérêt de la CIA avec laquelle elle entretiendrait des liens depuis 2007. Aujourd'hui elle est largement utilisée et financée comme l'un de leurs proxi par la Turquie et le Qatar dans la défense de leurs intérêts au sein de la région. Si le Hamas en Palestine a été fondé en 1987 par des Frères Musulmans palestiniens5, il s'en est relativement autonomisé pour incarner une orientation du mouvement de résistance national6.
Venons-en donc aux réactions à ce rapport. Si des voix plutôt rares7 s'élèvent pour mettre en garde contre la tentation politicienne d'utiliser ce dernier pour le fonds de commerce de division des travailleurs et des citoyens, la plupart se sont précipités comme la vérole sur le bas clergé de province pour stigmatiser les immigrés, les arabes, les musulmans... et tout ce qui peut entraîner des réactions racistes et xénophobes qui dans l'air du temps visent à créer en un ennemie commun tout, sauf la classe capitaliste exploiteuse !
Ainsi, le rassemblement National8, s'appuyant sur le rapport dont il extrait quelques morceaux choisis, appelle à l'interdiction des Frères Musulmans. De son côté Gabriel Attal responsable du groupe parlementaire macroniste Ensemble pour la République, fait de la surenchère et se répand dans la presse et sur les ondes pour stigmatiser les musulmans et sans presque de retenue oratoire entend créer un nouveau délit consistant à punir le port du voile pour les mineures. De son côté le Figaro titre9 : " Réseaux tentaculaires, organisation secrète, quartiers islamisés... Le rapport choc sur les Frères musulmans qui veulent instaurer la charia en France". De son côté le ministre de l'intérieur Bruno Retailleau, putatif candidat à la succession de Macron en 2017, qui le 31 mars 2025 à Londres au Policy Exchange a prononcé dans son intervention « Ne rien céder, Manifeste contre l’islamisme »10 une véritable déclaration de guerre n’hésitant pas à citer Goebbels : " Nous sommes prêts à utiliser tous les moyens légaux pour renverser l'actuel état de choses… Nous venons en ennemis, comme le loup s'attaque à un nouveau troupeau de moutons ". Il en rajoute encore une couche en déclarant lors d’un déplacement à la préfecture des Hauts-de-Seine, lundi 26 mai 2025 : "s'attaquer aux écosystèmes islamistes ».
Travailleurs, salariés, croyants et non croyants, ne tombons pas dans le piège de la division que nous tendent les forces politiques du capital. Ce qui divise la société ce n'est pas le fait religieux, c'est la société capitaliste et son système d'exploitation de l'Homme par l'Homme qui engendre deux classes fondamentalement antagoniques. Les travailleurs salariés exploités et leurs exploiteurs capitalistes. Notre lutte ; la lutte de classe est dirigée contre les exploiteurs et tous ceux qui politiquement et socialement les servent qu'ils se déguisent sous le masque de la religion ou non.
2 Ce rapport, ainsi que le dossier de presse qui l'accompagne sont consultables sur le site du ministère de l'intérieur : https://www.interieur.gouv.fr/actualites/dossiers-de-presse/publication-du-rapport-freres-musulmans-et-islamisme-politique-en
3 Un groupe de hauts fonctionnaires [a été] missionné en avril 2024 pour un travail approfondi destiné à documenter la réalité de l’islamisme politique. Par une lettre en date du 17 avril 2024, sur commande du Président de la République en Conseil de défense et de sécurité nationale en janvier 2024, les ministres chargés de l’intérieur, des affaires étrangères et des armées ont commandé à de hauts fonctionnaires une mission d’évaluation sur la mouvance des Frères musulmans et l’islamisme politique en France.
4 Xavier Ternisien, Les Frères Musulmans, Hachette pluriel, 2011.
10 Publiée par les éditions de l’Observatoire, avril 2025