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N°896 23/10/2024  Le débat sur l'immigration est porté, par les politiciens de tous bords et pas seulement en France, comme une question existentielle pour l'avenir des sociétés européennes. Cette question qui avec les salaires est présentée comme étant en tête des préoccupations des français tend à occuper complètement l'espace public. Occultant le plus souvent les causes profondes des phénomènes migratoires, les discours dominants visent à faire des immigrés les boucs émissaires des difficultés rencontrées par les salariés. Ils masquent ainsi que ces difficultés ont pour cause majeure le système d'exploitation capitaliste et de surcroît contribuent à diviser les travailleurs, ceux qualifiés de français, aux travailleurs immigrés qui sont aussi victimes de cette exploitation. Ainsi, voit-on fleurir la notion, véhiculée par le Rassemblement National (RN) de préférence nationale jusqu'à celle de Reconquête le mouvement dirigé par E. Zemmour de grand remplacement. Pour autant, les forces politiques qui jusqu'à présent et aujourd'hui gèrent les affaires du grand capital ne sont pas en reste sur le sujet. Il n'est que de voir la danse du ventre à laquelle se livre le nouveau ministre de l’Intérieur LR de conserve avec son premier Ministre et sa majorité (minoritaire au Parlement), à la seule fin de satisfaire les électorats de droite et d’extrême droite et d’emboîter le pas au RN, ce qui en retour permet, à peu de frais politiques, au RN d'assurer la fragile pérennité d'un gouvernement en sursis ! Notons que la « gauche » qui se réclame de la défense des immigrés, n’est pas plus loquace sur les causes des migrations actuelles, les faisant passer pour un phénomène éternel, sans différence de nature ni de causes.
Quelles sont donc les réalités de l'immigration dans le monde et en France ? Selon le rapport : État de la migration dans le monde 2024[1] de l'organisation ONU Migration :" On estimait à 281 millions le nombre de migrants internationaux dans le monde en 2020, soit 3,6 % de la population mondiale.
Dans l’ensemble, on estime que le nombre de migrants internationaux a augmenté ces cinquante dernières années. Selon les estimations, 281 millions de personnes vivaient dans un pays autre que leur pays de naissance en 2020, soit 128 millions de plus qu’en 1990 et plus de trois fois plus qu’en 1970." Le rapport ajoute que la majorité des migrants ne franchissent pas de frontières : "La grande majorité des migrants ne franchit pas de frontières ; ils sont beaucoup plus nombreux à se déplacer à l’intérieur des pays (on estimait à 740 millions le nombre de migrants internes en 2009)." Quelles sont les causes principales de migration de populations ? selon l'ONU[2], les raisons majeures des migrations ne sont pas liées à un choix mais à une nécessité engendrée par l'état du monde : "  Depuis toujours, l’humanité a été en mouvement. Certaines personnes se déplacent pour trouver un travail ou d'autres opportunités économiques, pour rejoindre leur famille ou pour étudier. D'autres se déplacent pour échapper à des conflits, à des persécutions ou à des violations massives des droits de l'homme. D'autres encore se déplacent en réaction aux effets néfastes du changement climatique, des catastrophes naturelles ou d'autres facteurs environnementaux." Notons et c'est important que les conditions de la migration des populations sont parfaitement inégales et si dans le système impérialiste les mouvements du capital sont relativement libérés, il n'en va pas de même de la force de travail. Ainsi un rapport de l'OIM note (ref 1) : " Les ressortissants des pays ayant des niveaux très élevés de développement humain peuvent voyager sans visa vers environ 85 pour cent de tous les autres pays du monde. Ces pays sont également des destinations significatives et préférées. Cependant, les restrictions de visa en place pour les pays ayant de faibles niveaux de développement humain indiquent que les voies de migration régulières posent problème pour leurs citoyens. Les voies irrégulières sont susceptibles d'être l'option la plus réaliste (voire la seule) disponible pour les migrants potentiels de ces pays." Si pour les pays appartenant au système impérialiste, les restrictions au déplacement de la force de travail permettent un contrôle plus étroit des travailleurs migrants et donc une plus grande capacité à les exploiter, le traitement qui leur est fait en fonction de critère géopolitiques et évident. Ainsi, les migrants ukrainiens qui fuient la guerre bénéficient-ils d'un accueil que ne connaissent pas les migrants venus d'Afrique.
En ce qui concerne la France, terre ancienne d'immigration, elle a connu l'immigration interne liée au développement du capitalisme qui nécessitait de rassembler une force de travail nombreuse en des lieux concentrés et a connu et connaît une immigration externe dont une partie importante est liée à son passé colonial. L'INSEE brosse un tableau[3] de la part des immigrés dans la population en France :" Les origines de la population immigrée se sont diversifiées en cinquante ans, les nouveaux immigrés arrivant en France étant nés dans des pays de plus en plus variés. Les généalogies se diversifient avec la mixité des unions au fil des générations : parmi les descendants d’immigrés de deuxième génération, plus d’un sur deux a un seul parent immigré ; parmi ceux de troisième génération âgés de moins de 60 ans, neuf sur dix n’ont qu’un seul ou deux grands‑parents immigrés." et pointe les inégalités sociales dont ils sont l'objet :" Les immigrés – en particulier ceux d’origine extra‑européenne – pâtissent d’une position plus défavorable sur le marché du travail, avec un taux de chômage de 13 % en 2021 (contre 8 % pour l’ensemble de la population), des niveaux de salaires plus faibles et des emplois moins qualifiés. Leurs conditions de vie, de logement et leur état de santé sont également moins bons que ceux du reste de la population : les immigrés sont notamment deux fois plus fréquemment en situation de pauvreté monétaire que l'ensemble de la population." Nous sommes donc bien loin et du grand remplacement et ces quelques données montrent que les immigrés sont le plus souvent astreints aux travaux les plus pénibles et les moins bien payés ! Le patronat pour qui la force de travail est l'unique source des profits permettant l'accumulation du capital et donc la pérennité du système ne s'y trompe pas. Pour lui l'immigration légale ou illégale aux yeux des lois en vigueur est une absolue nécessité et cela à double titre : capter de la force de travail qualifiée dans les domaines où la concurrence liée aux avancées technologiques est la plus forte et s'assurer une main-d’œuvre captive et bon marché pour assurer les travaux les plus pénibles. C'est ainsi que le premier dirigeant du Medef[4] a attiré l'attention des pouvoirs publics récemment : "Ce n'est pas le Medef qui décidera de notre politique d'immigration. Ça relève du Parlement, ça relève du gouvernement. Il n'en demeure pas moins qu'il faut, dans ce débat, introduire une dimension économique et surtout démographique. Oui, il y a des métiers en tension pour lesquels il faut commencer par mieux former nos jeunes, mieux faire revenir à l'emploi ceux qui en sont éloignés. Mais in fine, ne pas s'interdire de recourir à de la main d’œuvre immigrée mais de manière très régulée, très ciblée, comme le font très bien d'autres pays." En décembre 2023, comme le rapporte l'Express[5], P. Martin avait déjà cité des chiffres évaluant à 3,9 millions de personnes les besoins de la France en main d’œuvre immigrée d'ici 2050. Cette nécessité de force de travail est d'autant plus vive que la trajectoire démographique de la France[6] est marquée par une chute durable de la fécondité, un ralentissement significatif de l'espérance de vie et donc par un vieillissement de la population. De fait, c'est le solde migratoire qui assure une légère croissance de la population. Ce phénomène qui accompagne le déclin relatif de l'Union Européenne au plan mondial n'est pas propre à la France, nombre de pays y sont confrontés et puisent dans les réserves humaines hors de leur sol, la force de travail nécessaire au développement de leurs entreprises capitalistes. C'est le cas des USA avec l'Amérique Latine, des pays les plus riches de l'UE avec leur environnement à l'Est et au Sud, c'est le cas de la Russie[7] avec l'Asie centrale, ce sera bientôt le cas de la Chine où le recul de la population et son vieillissement contribuent à freiner son développement économique. Des grandes puissance émergentes, seule l'Inde est exportatrice de main-d’œuvre.
Si les phénomènes de migration sont anciens, le caractère nouveau, c'est qu'ils se produisent aujourd'hui dans un monde en profonde mutation où les puissances capitalistes s'affrontent violemment pour la conquête et le contrôle des richesses naturelles et alimentaires, des voies de communications et de la force de travail. Ce monde qui est celui de la crise généralisée du système d'exploitation capitaliste entraîne la multiplication des conflits et des guerres, à la surexploitation des nations les plus faibles, détruit les bases nourricières traditionnelles de populations entières, détruit les écosystèmes nécessaires à la vie, le tout favorisant les flux migratoires.
Français et immigrés ont le même adversaire : le capitalisme qui les exploite. La tâche première est donc bien de combattre le capitalisme sous sa forme impérialiste, d'apporter notre soutien internationaliste à la lutte des peuples pour leur émancipation de la domination impérialiste, d'accentuer nos efforts pour que dans notre pays travailleur français et immigrés s'unissent pour combattre leur ennemi de classe : le capitalisme !