Les propos du Président de la République au sujet d’un nécessaire « réarmement de la natalité » ont surpris et choqué. Mars[1] et en même-temps Vénus[2]. Les sujets démographiques sont plus complexes que ne le suggère la mythologie présidentielle et de plus ils sont à la conjonction des grands mouvements sociologiques et des choix personnels et intimes des individus. Les politiques dites natalistes sont aujourd’hui accusées d’être porteuses d’une vision rétrograde en particulier vis-à-vis des femmes comme l’attestent les réactions aux déclarations du Président de la République. Elles semblent annoncer justement une réflexion autour d’une mise en place d’une telle politique.
Malgré le développement d’un système productif modernisé dans lequel la part des hommes s’amenuise, l’automatisation, etc., il semblerait que soudain le vieil adage de Bodin[3] redevienne d’actualité : il n’est de richesse que d’hommes.
Position du problème
Depuis 2020, la croissance naturelle (solde entre les naissances et les décès sur le territoire) s’est effondrée en France : elle est passée de 140 000 en 2019 à 66 000 en 2020 et ne s’est pas redressée depuis. Les années antérieures, ce solde était supérieur à 200 000.
Le graphique ci-joint représente le nombre annuel de naissance. Il y a un écart de 23% entre le pic de 2010 et 2023. De là, nous concevons que la déclaration du Président de la République ne vient pas de nulle part. La surmortalité en 2020 liée à la COVID n’a pas amélioré les choses en 2020 mais de fait, la France traverse une période creuse en termes de berceau.
Pour autant, la population continue de croître notamment par la grâce d’un solde migratoire largement plus important que le solde naturel depuis 2020 (223 000 vs 66 000).
De plus, le fait est bien documenté et amplement relayé surtout durant les débats autour des réformes successives des retraites, la population vieillit puisqu’il n’a pas assez de naissance - et le phénomène semble s’amplifier - et le solde migratoire ne semble pas suffisant pour une population de 68 millions d’habitants (dont 17 millions de retraités) pour contrebalancer cette « insuffisance ».
en bleu le solde naturel en rouge le solde migratoire
Inquiétudes démographiques
Les inquiétudes portées par la Président de la République s’inscrivent dans une très longue tradition. Depuis toujours, les États et leur prince se sont préoccupés de disposer d’une population nombreuse selon les vues exprimées par Bodin (1529-1596) reprises en introduction.
Le Président de la République – et les intérêts qu’il représente – craignent-ils de manquer de bras ? Pour mettre au service de quelle cause ? Il est vrai que la baisse de la natalité aujourd’hui prépare les classes « creuses » de la population active dans une vingtaine d’années.
Compter sur les apports des immigrants est une option possible, en tout cas celle choisie clairement par le gouvernement allemand et le patronat de ce pays[4] qui a mis en place une politique de recrutement en Europe, en particulier à destination des diplômés.
La France ne peut sans doute pas suivre cette voie parce que sa désindustrialisation ne le nécessite pas urgemment. Pour autant, chez les plus de 25 ans, un immigré sur deux était en 2021 diplômé de l’enseignement supérieur. La ligne du gouvernement est celle de l’immigration « choisie », il s’agit « d’adapter l’immigration régulière aux réalités économiques et sociales de notre pays »[5]
Finalement, rien de nouveau par rapport aux stratégies du siècle dernier qui se sont caractérisées par une recherche de travailleurs à l’étranger pour soutenir les classes creuses des deux guerres mondiales, pour prendre part à la reconstruction et les user sur les chaînes industrielles.
Comme pour le dire en un mot, si le Capital peut disposer d’une main d’œuvre sous toute latitude, il n’y a pas à s’inquiéter des tendances démographiques peu dynamiques en France. Le démographe Le Bras[6] semble corroborer cette analyse : « ... ll y a des migrations, faibles certes, mais réelles, qui contribuent à l'accroissement de la population. Lorsque les 700 000 naissances d’une année s’ajoutent à l’arrivée de 140 000 jeunes ayant migré dans un pays comme le nôtre, cela crée une génération de 840 000 personnes. Ce qui revient à faire passer le nombre d’enfants par femme d’1,7 à 2.”[7]
Donc pourquoi une telle inquiétude de la part du Président de la République ? Le terme de « réarmer » le laisse à penser car comme évoquer précédemment que vient faire Mars dans cette affaire ? Les phénomènes démographiques s’inscrivent dans le temps long et cette mise en lumière de la natalité jugée trop faible déclenche dans l’imaginaire la lente disparition des Français. C’est tout et depuis toujours les alarmes des publicistes de droite extrême (hier contre les prolifiques Teutons) avec une réactualisation que constitue la théorie du grand remplacement.
Macron laisse ainsi à voir dans cet écart de langage au sujet de la natalité toute son appétence pour les thèses les plus éculées de la droite extrême la plus rance.
Les vraies inquiétudes de la vie
Les premières inquiétudes ont trait aux grands flux migratoires. Il atteste que le Capital – qui circule sans aucune entrave sur toute la planète est à même aussi de susciter des transferts de population pour ses besoins.
Il est à souligner que les principaux flux migratoires s’effectuent du Sud vers le Sud du fait notamment de conflits sanglants par des déplacements de population. En dernière analyse, ces conflits s’inscrivent dans le cadre de conflits impérialistes et par suite encore à mettre à l’actif si on peut dire du Capital. Un exemple : la guerre de plus de 30 ans en République Démocratique du Congo, la destruction de l’Irak, de la Syrie, la partition du Soudan…
Un autre aspect doit aussi nous arrêter : les pays d’émigration perdent en permanence des jeunes diplômés qui vont exercer leurs qualifications ailleurs. Malgré l’extrême jeunesse relative de ces pays, nous sommes certains que cette perte continue de substance les empêchent de progresser et de sortir d’une lourde tutelle par un développement économique à plus forte composante nationale en termes de qualifications qui par suite, pourrait concourir à un renforcement de la souveraineté de ces nations.
En ce qui concerne les choix individuels qui conduisent à une faible natalité sous nos latitudes, d’évidence, les facteurs sont multiples. Pour autant, les difficultés de vie professionnelles et les incertitudes liées ne sont pas de nature à favoriser la natalité. De plus, l’éco-anxiété dans les jeunes générations est devenue une préoccupation de santé publique et a sûrement un effet sur la natalité. A cet égard, sa chute brutale en 2020 l’illustre parfaitement.
Si les choix individuels prévalent dans le domaine de la natalité, le rôle d’une politique progressiste dans ce domaine consiste à éviter les renoncements pour contraintes. Et pour reprendre les termes du Président de la République, pour « réarmer la natalité », le plus urgent n’est pas tant le prolongement des congés parentaux qu’une vraie structuration d’accueil de la petite enfance, par exemple.
Alors évidemment, cela coûte de l’argent de mettre en place un réel service public de la petite enfance qui prendrait de fait soin des parents aussi. D’autres idées pourraient émerger pour aider les couples à envisager avec sérénité leur future parentalité. Mais est-ce envisageable dans le cadre d’une politique qui détricote les services publics, serre les budgets sociaux, privilégie les intérêts du capital ?
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Mars_(mythologie)
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/V%C3%A9nus_(mythologie)