Gantry 5

 

770-25/05/2022 Les élèves de terminale de toute la France ont passé, la semaine dernière, les épreuves dites de spécialités. Il s’agit, pour chaque élève de passer un examen final dans deux matières choisies depuis la première et qui ne font pas partie du tronc commun.

Entre autres, l’une des matières est intitulée « sciences économiques et sociales » (SES), un mélange d’économie et de sociologie.

Le moins que l’on puisse dire est que les épreuves de SES des jeudi 12 et vendredi 13 mai derniers ont suscité des remous. Un certain nombre d’enseignants se sont plaints de trouver des sujets fortement inspirés par l’idéologie « libérale », c’est-à-dire, en clair, par la pensée officielle que, parmi d’autres, Macron utilise en permanence. Voici l’un des messages les plus éclairant sur cette grogne de certains enseignants que l'on trouve sur les réseaux sociaux : « Alors mesdames et messieurs, tenez-vous bien, voici : vous montrerez que les classes sociales ça veut rien dire, que les politiques de justice sociale c’est de la merde et que nous serons sauvés de la crise écologique par la Start-Up Nation. »
On peut noter les sujets suivants ; le jeudi : sujet bateau, mais tout de même très tendance : « À l’aide de deux arguments, montrez que le travail est source d’intégration sociale. » et sujet beaucoup plus clairement orienté contre l'idée de justice sociale : « À l’aide d’un exemple, vous montrerez que l’action des pouvoirs publics en faveur de la justice sociale peut produire des effets pervers. ». Mais le pompon est atteint le vendredi avec le sujet suivant : « À l’aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous montrerez que l’approche en termes de classes sociales, pour rendre compte de la société française, peut être remise en cause. ».
L’émoi a été si important que le syndicat majoritaire des enseignants du secondaire, le SNES-FSU s’est fendu d’un communiqué et surtout que le journal « Libération », un des véhicules les plus en pointe de l’idéologie dominante, jamais en retard quand il faut venir au secours de Macron, s’est fendu d’un article. Ce pendant du « journal officiel » a confié la riposte à ses fastcheckers . Le titre faussement interrogatif est ici déjà tout un programme! : « L’épreuve de SES de 2022 était-elle fortement orientée vers le libéralisme ? ».
Sous prétexte de passer en revue les arguments pour et contre, le journal de Drahi, un capitaliste ordinaire, s’inscrit en faux contre cette interprétation. Il se sert de la réaction de l’association des professeurs de SES, qui critique le type de sujet (propre à recracher un cours et non à problématiser) mais ne dit rien sur le fond et appelle au secours un « sociologue » qui indique que, tout au long de l’année, les élèves ont étudié la portée et les limites de l’action de l’Etat en faveur de la justice sociale, qu’on leur demande de réutiliser ces cours et qu’il n’y a rien de plus normal. Circulez, il n’y a donc rien à voir. Et d’ajouter que les problématiques de genre/patriarcales ou le déclin de la conscience de classe viennent remettre en cause une lecture purement en termes de classes sociales. Notons que l’Etat du « sociologue » est non défini, quel Etat ? L’Etat capitaliste ? Régi par quelles règles ? Ensuite, Marx et Engels qui ont mis en évidence l’existence des classes sociales avaient, sans attendre notre expert, lié la question du patriarcat à celle de la domination de classe.
Cet expert peu ferré sur la question des classes sociales, répond aussi : « Ah oui mais il y avait aussi un document qui montre l’importance de la redistribution pour réduire les inégalités, ou que les évolutions de l’emploi peuvent fragiliser le rôle intégrateur du travail, notamment en le précarisant ». Ah ben oui, ma chère, vous voyez, il y en a pour tous les goûts.
Mais plus que ce pâle individu, ce sont les corrigés proposés par les journaux « spécialisés », « L’Etudiant » et « Studyrama », que les fastcheckers appellent en renfort en fin d’article, qui sont édifiants. Ainsi, on nous explique doctement qu’il fallait répondre que le travail intègre car il permet à un individu d’obtenir un statut social grâce à son revenu, mais aussi d’accéder à la protection sociale et que la hausse des impôts peut réduire la consommation et donc pousser les entreprises à produire moins, ce qui entraînerait davantage de chômage. Quand-à l’exercice traitant des classes sociales, les réponses attendues étaient que les citoyens ont accès à davantage de produits de consommation, qu’ils ne se considèrent plus comme appartenant à une classe et qu’ils se définissent désormais comme des «singularités». Bons princes, on nous concède tout de même qu’il est possible cependant de nuancer la démonstration en proposant de rappeler, en ouverture, que le concept de classe sociale reste défendu par certains chercheurs pour comprendre les inégalités sociales.

Finalement, dans cette affaire, le plus inquiétant est ce que cela nous dit du contenu des cours ; et ce d’autant plus que nous apprenons, au hasard de « l’article » de Monsieur et Madame Fastcheck que, l’an dernier, il y a eu le sujet suivant : « Vous montrerez que des politiques de flexibilisation du marché du travail permettent de lutter contre le chômage structurel. » Donc, en réalité, rien de nouveau sous le soleil.
Depuis qu’elle existe, l’Ecole de l’Etat de Jules Ferry est une machine à formater et intégrer, même si elle n’est pas que cela. Elle l’est depuis les années 70/80 de la maternelle à la terminale, et surtout, ne parlons pas de l’université.
Mais, là, nous franchissons des montagnes, des Himalaya. Des sommets de méconnaissance de la lutte des classes, du mécanisme qui régit toutes les sociétés depuis l’apparition des classes voisinent avec l’idéologie des différences, très en verve à gauche, qui répand les modes US comme les théories des genres, la racialisation et considère finalement que l’exploitation de l’Homme par l’Homme n’est qu’une discrimination comme les autres. Cela inclut le refus d’analyser le système capitaliste et de mettre à portée des élèves les outils le permettant. Ce qui inquiète aussi, c’est l’intégration des enseignants au système, avec une remise en cause très partielle de ces sujets.
Bref, ce que nous dit cette histoire c’est que l’Ecole est de moins en moins émancipatrice et qu’il faut combattre pied à pied pour que l’on en vienne à l’étude du système capitaliste. Le Parti révolutionnaire Communistes le dénonce et a pour but de le renverser. Cette idée a du chemin à faire.

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