N° 851 12/12/2023 La chape de plomb dans les media traditionnels
Depuis le 7 octobre, l’information à propos de la guerre coloniale en Palestine est impossible en France, si l’on s’en tient aux media traditionnels. Le seul discours de ces media d’abord audiovisuels, parce que ce sont les plus consultés, mais les journaux ne sont pas en reste, est celui de l’idéologie dominante, celui de la défense absolue d’Israël. Ce discours, qui est celui de toutes les chaînes de radio-télévision, avec en tête le triptyque BFM/CNews/LCI va du déni de la réalité aux mensonges assumés, ce n’est pas de l’information, c’est de la propagande, et elle atteint des sommets quand un invité pas tout à fait dans la ligne ose émettre un avis différent. Cette situation résulte d’abord de la mainmise de grands capitalistes sur ces chaînes, directement ou indirectement, via Macron, quand il s’agit du « service public ». Ces grands capitalistes sont dans le camp impérialiste, plus précisément celui dirigé par l’impérialisme US et donc soutiennent Israël, qui est le flic de leur bloc occidental au Moyen Orient. Mais, elle résulte aussi du fait que de nombre de « journalistes » sont des militants de la défense de la puissance impérialiste dominante.
LFI au milieu du gué
Nous en avons un exemple avec Ruth Elkrief, dont on nous rabat les oreilles en ce moment. Recevant Manuel Bompard, coordinateur de LFI, elle s’est comportée non comme une personne chargée d’interroger un homme politique, mais comme une adversaire politique résolue qui a débattu avec lui, avec pas mal d’arguments tronqués ou faux. Une chose est claire, Ruth Elkrief nie l’existence d’un génocide à Gaza, c’est-à-dire la réalité. Est-ce cela une journaliste ?
Et voilà que Jean-Luc Mélenchon, dans un message public, dit qu’elle est fanatique et manipulatrice. Mélenchon, comme Bompard et tous les autres dirigeants de LFI est dans une situation compliquée, il est au milieu du gué mais ne franchit pas la rivière. On sent que ces gens sont sincèrement solidaires des Palestiniens, mais ils se plient au discours dominant, ils se prêtent à l’exercice obligé de la « condamnation du Hamas », ils ne disent pas que le gouvernement Netanyahu est fasciste (c’est tellement plus pratique de parler d’extrême droite, qui plus est en ne désignant que Ben Gvir, Schmotrich et leurs amis), ils ne disent pas quel est son but réel, l’annexion de toute la Palestine, ils ne vont pas à la marche pour l’antisémitisme à cause du RN, et ne dénoncent pas le fait que cette marche était destinée non pas à lutter contre l’antisémitisme, mais contre l’antisionisme, et constituait une action de soutien plein et entier à Israël, dans laquelle, donc, le RN avait toute sa place, et leur critique du discours unique des media se fait a minima (beaucoup moins fort, par exemple, que Dominique de Villepin). Enfin, l’accusation contre Elkrief de « haïr les musulmans », outre qu’elle n’est pas vraiment étayée, brouille complètement le message. La guerre en Palestine n’est pas une guerre de religion ! La position politique de LFI, leurs hésitations les fragilisent. Le Parti Révolutionnaire Communistes n’est pas là pour défendre cette organisation sociale-démocrate, mais elle porte un jugement sur les réactions quasi unanimes, les cris d’orfraie poussés par les bien-pensants après la réaction de Mélenchon.
Ruth Elkrief, soldat du Grand Capital, présentée comme victime
Ces réactions pourraient se résumer en deux courtes phrases : « Haro sur ceux qui critiquent une journaliste ! Et Mélenchon a mis une cible dans le dos de Ruth Elkrief ! ». On aurait aimé entendre les mêmes s’indigner de la quasi soixantaine de journalistes tués à Gaza ou au Sud Liban, dont beaucoup ont été ciblés es-qualité par l’armée d’occupation ; la cible dans le dos, eux et elles l’ont eue, et on sait ce que cela a donné.
Est-ce que Elkrief est une journaliste ? Si « journaliste » signifie : relayeuse et propagandiste de l’idéologie dominante, gardienne d’une version unique de la guerre coloniale, faisant, contre toute réalité de l’agresseur israélien une victime, garde-chiourme chargée de cacher le massacre et la situation d’apartheid, alors, Elkrief est une « journaliste ».
Mais si journaliste, cela signifie : personne qui donne toutes les informations sans en omettre, qui donne la parole à tous les points de vue, qui contextualise en ne faisant du 7 octobre qu’un événement parmi d’autres, qui rappelle toute l’histoire depuis 1948, et même 1917 avec la Déclaration Balfour, alors, Elkrief ne fait pas partie de la corporation.
Qu’elle ait un avis sur la question, qu’elle défende l’État sioniste n’est pas le problème. Le problème c’est qu’effectivement, elle manipule, et surtout elle ment quand elle parle des ONG, quand elle fait tout commencer le 7 octobre, elle ment par omission quand elle oublie les journalistes, les médecins, les personnels de l’ONU ciblés et tués par Israël, quand elle tait le vrai projet des fascistes au pouvoir en Israël (et de leur opposition politique officielle) : chasser les Palestiniens de toute la Palestine et en tuer le plus possible.
Que viennent faire Roussel et Binet dans cette galère ?
Interrogé sur Sud-Radio par Jean-Jacques Bourdin, Fabien Roussel, qui n’en rate pas une, a tenu à apporter son soutien à Elkrief, montrant ainsi que, comme souvent, il avale et relaie le discours de l’idéologie dominante, qui, ici, la fait passer pour une victime. Il indique même qu’il y a du « Trumpisme » chez Mélenchon. C’est un peu étonnant quand on sait que Trump est un soutien fervent d’Israël, comme Elkrief. On sait bien que Roussel n’est pas vraiment un aigle en politique, qu’il croit être dans une vraie démocratie (il a dit dans l’interview qu’il n’annonçait pas qu’il voterait contre la loi immigration, parce qu’il veut « laisser la place au débat », on croit rêver), qu’il nous a habitués à se ranger du côté du Grand Capital. Mais là, il a encore franchi un cap. Évoquant la « journaliste » dont il prend la défense, il ne dit pas un mot de la situation en Palestine, il ne condamne pas, contrairement à Villepin, le discours unique des media, l’impossibilité de dire autre chose que la doxa, car il n’en sort jamais, de la doxa.
Mais qu’une personne qui se dit « communiste » défende une propagandiste de l’État d’apartheid, une menteuse et une manipulatrice qui nie le génocide à Gaza, qui s’attaque jour après jour aux structures de l’ONU, à MSF, coupables de dénoncer le massacre, cela ne peut que nous indigner.
Interrogée sur France Info à propos de la situation en Palestine, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT a, elle, dénoncé les meurtres de journalistes (mais sans dire qui en était responsable), ainsi que la volonté du gouvernement de Netanyahu de cacher la situation à Gaza. Elle s’est bien évidemment livrée elle aussi à l’exercice obligée de condamnation et a indiqué que qualifier l’État colonialiste d’Israël d’Entité sioniste (qualificatif issu de l’OLP) n’était pas la position de la CGT.
En fin d’interview, elle est sollicitée pour réagir au message de Mélenchon concernant Elkrief. Elle assure qu’elle est choquée et que le SNJ-CGT (syndicat national des journalistes) a émis une protestation, bref, elle soutient Elkrief. Ensuite, dans une phrase dont on peine à saisir le sens, elle explique qu’elle défend Elkrief au nom de la liberté de la presse, de la liberté des journalistes, particulièrement à un moment où la presse est concentrée dans les mains de quelques milliardaires. Et de citer Bolloré… Il y a là une incohérence totale, comment dénoncer cette mainmise en défendant Elkrief, qui travaille pour BFM et LCI et est une porte-parole de Drahi et de Bouygues. Il semble que, pour elle, finalement, le seul milliardaire qui empêche les avis différents dans les media qu’il possède soit Bolloré, soupçonné d’être d’extrême droite, l’obsession, de la secrétaire générale. Or, Elkrief n’est pas empêchée de s’exprimer par ses patrons, elle est d’accord avec eux. Et, pour le Parti Révolutionnaire Communistes, Drahi, Bouygues et Bolloré, c’est du pareil au même : des grands capitalistes qui détiennent des media et organisent l’information dans le sens de leurs intérêts de classe et donc de l’idéologie dominante, et s’agissant de la guerre de colonisation en Palestine, le message des trois, porté par Elkrief ou d’autres, est, à la virgule près, le même.
En matière de journalistes empêchés de s’exprimer, on peut regretter que la secrétaire générale de la CGT n’ait pas plutôt évoqué le cas de Mohamed Kassi, journaliste de France 24, sanctionné par sa direction pour avoir osé ne pas dresser le tapis rouge devant le porte-parole de l’armée sioniste.