N° 898 06/11/2024 Depuis plusieurs mois les Martiniquais sont mobilisés contre les prix pratiqués par la grande distribution. La fièvre inflationniste qui a touché l’Europe sous l’effet en particulier de l’augmentation des prix de l’énergie s’est répercutée en Martinique et plus généralement dans les départements d’Outre-mer, de manière insupportable pour une population caractérisée par une forte précarité et un taux de pauvreté élevé (un quart des ménages en Martinique se situe sous le seuil de pauvreté).
L’économie des départements d’Outre-mer peut être décrite comme une économie de comptoir dans la mesure où la production locale est très loin de couvrir les besoins des populations. Ainsi, la Martinique ne couvre que 20% de l’alimentation locale et la Réunion, la mieux dotée, parvient à répondre par sa production locale à 30% de la consommation. Ce n’est certes pas beaucoup plus bas que l’Ile de France mais cette dernière région ne souffre pas du handicap, dans la circonstance, de l’insularité lointaine.
Plus de la moitié des terres agricoles martiniquaises sont dédiées à la culture d’exportation (banane, canne à sucre pour le rhum) et plus de la moitié de la superficie agricole est entre les mains de 1% de la population. Ce fameux 1% est composé des « grandes » familles martiniquaises, descendantes directes des colons esclavagistes des siècles passés.
Certes, la fortune des premiers d’entre eux (300 M€), M. Hayot semble relativement modeste par rapport à celle de M. Arnault (LVMH), pour autant, en sus des terres agricoles, M. Hayot et ses amis du 1% possèdent aussi les hypermarchés, ont des intérêts dans les concessions automobiles, les locations automobiles, etc. : de fait, leurs intérêts sont placés idéalement dans une économie de comptoir, assimilable à une situation coloniale (avec des colons, natifs de l’île).
Cette économie se caractérise aussi par le poids écrasant des emplois tertiaires (86% des salariés) dont 23% dans les fonctions publiques d’Etat et territoriales. La problématique de la vie chère n’est pas une nouveauté puisque les agents de la fonction publique perçoivent une prime de vie chère (40%). Cet « effort » de l’Etat et collectivités territoriales participait jusqu’à présent à la solvabilité d’une partie des consommateurs martiniquais (et plus généralement des consommateurs des autres départements d’Outre-mer).
Ce « sas de sécurité » n’est plus suffisant comme l’illustre la montée du mécontentement dans l’île.
La concentration du pouvoir économique, quasi monopolistique, explique d’évidence l’écart de prix exorbitant des produits vendus en Martinique et dans la France hexagonale d’où sont importés même les produits… d’Amérique du Sud !
Les puissants intérêts économiques défendent leur pré carré. Ainsi, lors de la conférence de négociation retransmise sur la télévision locale, le Directeur général de Groupe Bernard Hayot (GBH), le fils de Bernard Hayot explique les grands efforts consentis par son groupe, sans entrer dans les détails et se tourne vers le préfet pour demander à l’Etat de faire quelque chose ! En l’occurrence, de travailler à une péréquation des prix (en ajustant ou supprimant la TVA). De fait, il existe déjà une péréquation tarifaire pour les services publics mais il serait question de l’étendre au domaine marchand. Bien évidemment une suppression de la TVA n’entamera en rien la marge de GBH et compagnie.
Déjà les autorités politiques territoriales ont annoncé pour les produits de première nécessité, la suppression de l’octroi de mer (taxe sur les produits importés dans l’île qui finance la collectivité territoriale).
Paradoxalement, depuis plusieurs mois les grands distributeurs réclament une révision de la taxation des produits de consommation qui serait donc la cause première, selon eux, des prix élevés en Martinique. Profitant ainsi de la mobilisation populaire pour remettre au centre des débats leurs préconisations et finalement se dédouaner de toute responsabilité dans la cherté de la vie.
Aucun doute que les mesures fiscales ne constituent que des réponses face à l’urgence pour les autorités, en particulier, d’une mobilisation qui éveille les consciences. Le système actuel pousse les plus jeunes à l’exil (et la population martiniquaise vieillit). Vivre et travailler au pays nécessite un développement d’activités nouvelles hors de la griffe des puissances économiques monopolistiques locales en particulier dans les domaines sensibles de la production vivrière, de l’eau, de l’énergie, etc.
Pour cela, il est impératif de lutter contre le capitalisme de rentes qui enserre la vie économique et sociale du pays.