N° 844 25/10/2023 Si l'adversaire de classe construit un vocabulaire qui évacue la lutte de son champ sémantique c'est que les mots ont un sens et sont chargés d'une signification précise. Ils ne sont pas neutres et tout particulièrement dans le champ de la lutte des classes. En commençant par le mot classe lui-même qui, s'il est abondamment utilisé pour décrire la structure sociale, est toujours flanqué d'un adjectif lui donnant un sens au regard de la position prise par rapport à la réalité de la lutte des classes. Ainsi, accompagné de moyenne, il situe cette classe moyenne comme un groupe social au regard de ses revenus mais sans rapport avec la place qu'il occupe dans les rapports de production capitaliste. À contrario, accompagné d'ouvrière ou travailleuse, il attribue une fonction et une position à cette classe ouvrière ou travailleuse dans la production capitaliste et renvoie à une division de la société en classes : la classe en soi et même au-delà dans la conscience de cette classe d'être une classe et d'agir comme telle ce que les sociologues appellent la classe pour soi.
L'idéologie dominante, celle de la classe capitaliste dominante, a fabriqué toute une série d'expressions qui visent à masquer la réalité du caractère antagonique et irréductible du capital et du travail et de l'exploitation dessinant deux grandes classes sociales, celle qui détient les grands moyens de productions et d'échanges, la classe des exploiteurs capitalistes et celle des exploités, les prolétaires manuels et intellectuels qui n'ont que leur force de travail à vendre.
Ainsi, leurs rapports, celui du moins de leurs représentants respectifs, loin du conflit, devrait être régi par le dialogue social. Le Trésor de la Langue Française (TLF), nous dit que dialogue signifie : " Communication le plus souvent verbale entre deux personnes ou groupes de personnes". Il n'y a là rien de très engageant et en tout cas ce dialogue ne résulte pas à priori d'un conflit. Exit donc la lutte sociale. Le terme négociation que détestent les patrons et l'État renvoie lui à la résolution d'un conflit, c'est ce que dit le TLF : négociation "série d'entretiens pour parvenir à un accord, pour conclure une affaire du domaine privé ou public ou mettre fin à un différend".
Si dialogue social il y a, autant qu'il ait lieu entre partenaires sociaux ! C'est ainsi que sont désignés par l'idéologie dominante les représentants du patronat et des salariés. Le TLF donne de partenaire une définition simplement éclatante au regard de la fonction que le patronat et le pouvoir attribuent à ces partenaires sociaux : " Personne avec qui on est associé dans la présentation d'un numéro au spectacle". Cela se passe de commentaire ! le dialogue social est donc parfaitement compatible avec des partenaires sociaux, mais totalement incompatible avec la lutte de classes antagoniques !
Alors que l'État déverse des centaines de milliards pour assurer la remontée des taux de profit du capital et favoriser son accumulation, voilà qu'arrive le concept dit de conditionnalité des aides que tout bon partenaire social et surtout lorsqu'il représente les salariés doit brandir pour demander à ce que soient justifiées ces fameuses aides qui sont en fait exclusivement de la richesse produite par les salariés et détournées via l'État vers le capital. Cette fameuse conditionnalité n'est au fond que l'acceptation du processus d'extorsion de la valeur produite par le travail, matinée de vagues promesses d'un peu de justice sociale pour la rendre acceptable ! Cela nous rapproche de l'expression ô combien utilisée dans les discours syndicaux et politiques d'un autre partage de la richesse. Cette notion qui fleure bon le christianisme social sous-entend que capital et travail joueraient un rôle équivalent dans la création de valeur et que le problème social ne résulterait donc que d'une mauvaise ou déséquilibrée répartition entre le capital et le travail. C'est oublier que les rapports de production capitalistes sont des rapports d'exploitation dans lesquels, le possesseur du capital achète ou loue la force de travail du salarié et en dispose à sa guise pendant tout le temps où il l'a acquise, et cette force de travail du fait du processus d'exploitation a la vertu de produire plus de valeur que sa propre valeur. Il n'y a donc là aucun partage possible !
Ne nous laissons donc pas abuser par les mots de l'adversaire, usons de notre vocabulaire en lui donnant le contenu de classe qu'il convient.