N° 900 20/11/2024 Depuis quelques années, la désindustrialisation s’accélère. De 13 raffineries de pétrole en 2010 il en reste 6 en 2024, avec de sérieuses menaces sur celle de Esso Gravenchon (76) depuis l’annonce de l’arrêt du vapocraqueur, unité essentielle de ce site pétrochimique intégré. Alors que le marché intérieur s’est certes résorbé, mais à un rythme beaucoup moins drastique, nous importons l’essentiel de nos produits pétroliers, carburants mais aussi les bases pétrochimiques.
Dans quelles conditions sociales et environnementales sont fabriqués ces produits importés, c’est toute la question.
Les industries chimiques, situées en aval subissent également le contrecoup de cette politique. Des pans entiers ont été frappés depuis la crise sanitaire : Hutchinson (caoutchouc), Yara (fertilisants), Adisseo (Nutrition animale), Ferropem (Silicium), Sanofi (médicament), Air liquide (Santé à domicile), la liste est longue. Elle se poursuit aujourd’hui avec la mise en redressement judiciaire de Vencorex, l’un des employeurs de la plateforme pétrochimique de Pont-de-Claix (38), présent dans la chimie du chlore (médicament, traitement de l’eau) et la production d’isocyanates (base des mousses et revêtements polyuréthanes), avec 400 emplois directs menacés. Le groupe Michelin pour sa part, a cyniquement annoncé la fermeture des sites de Vannes (56) Cholet (49) et ses 1.250 emplois directs.
Il s’agit en réalité de milliers d’emplois supprimés car celui de l’industrie est pourvoyeur de nombreux postes induits, que ce soit dans les services industriels et les entreprises sous-traitantes, mais aussi le commerce et les services en général.
Dans l’Isère, Vencorex touchant des dizaines de millions d’euros de subventions publiques, est fournisseur de produits aux autres unités industrielles de la plateforme et bien au-delà, faisant craindre un effet domino sur des dizaines de sites chimiques, parmi lesquels Arkema Jarrie, Framatome, Seqens, Solvay, Air Liquide et Suez.
La lutte des salariés s’organise contre ces groupes transnationaux, le pipeline d’éthylène de l’axe Est, alimentant l’industrie chimique française depuis Fos-sur-Mer jusqu’à la frontière allemande, est bloqué par l’immobilisme patronal. La fédération CGT des industries chimiques réclame la nationalisation temporaire de l’usine.
Ceci se passe dans un contexte où l’Etat se contente de « prendre acte » des décisions des actionnaires, fermeture après fermeture alors qu’il devrait intervenir, y compris du point de vue capitaliste car l’industrie structure le territoire entre la nécessité de proximité des ressources, les marchés de consommation, les réseaux de transports conçus pour desservir ces zones et aussi les services publics au service du capital.
On ne parle pas ici de baisse ni de mutation de la consommation. Les fabrications continueront d’être utiles et utilisées, mais réalisées « ailleurs ». Ce n’est une bonne nouvelle ni pour les travailleurs, ni pour l’environnement car l’une des causes des délocalisations se situe aussi dans l’absence de normes environnementales dans les pays d’accueil. A en croire les industriels, la cause de la désindustrialisation, c’est la « compétitivité » et les « charges », les charges, comprenez les coûts salariaux et plus précisément le prix de la force de travail qui seraient trop importantes en France face à la concurrence internationale.
Ces industries fortement capitalistiques ne sont pourtant pas des activités mobilisant une grande part de main d’œuvre. La part des salaires dans la richesse produite y est plus faible que dans le secteur automobile par exemple. Mais un sou est un sou, dans ces temps de disette pour les actionnaires. Le poids du capital nécessite de peser sur chaque aspect de la production dans le seul but d’accroitre les profits.
L’INSEE nous apprend que le rapport des dividendes versés par les entreprises françaises, à la masse salariale distribuée, est passé de moins de 5% au début des années 1980, à quasiment 20% aujourd’hui. Et dans notre monde globalisé, c’est la même chose dans tous les pays !
Avec l’explosion du coût du capital, la richesse créée par les travailleurs est dilapidée en dividendes et en rachats d’actions. Les gouvernements, bras armés d’une bourgeoisie apatride et dominante ne vont certainement pas agir pour stopper cette ponction implacable.
La désindustrialisation « ici » se traduit-elle par une industrialisation « ailleurs » ? Oui en partie, mais pas pour développer les pays d’accueil, simplement pour optimiser les chaînes de valeur au niveau mondial dans le but d’accroitre les profits. Et à quel prix pour les populations dans les pays d’origine des délocalisations des productions !
Pour paraphraser un acteur de western devenu plus tard président d’une grande puissance, la compétitivité ce n’est pas la solution, c’est le problème !
Laisser au capital le soin de décider où vont les investissements, et pour produire quoi, ne répondra en rien aux besoins d’une société humaine.