Gantry 5

 

757-08/02/2022 Le Président-candidat Macron, comme prévu, a attendu la conclusion d’un pré-accord entre EDF et General Electric au sujet du rachat d’une partie des activités de la compagnie américaine pour venir à Belfort le 10 février tenir son grand discours sur l’énergie.

D’emblée, le Président en exercice assène : « il n’y a pas de vraie souveraineté s’il n’y a pas des choix que la Nation peut porter et tenir en matière d’énergie ». Voilà qui est une précieuse indication de la part d’un gouvernement qui a négocié de long mois en vain avec la Commission Européenne pour revoir le dispositif de vente de l’énergie électrique d’EDF à ses concurrents (Accès régulé à l’Electricité Nucléaire Historique – ARENH). Nous voilà au moins avertis : Macron continue à affirmer le contraire de ce qu’il porte depuis qu’il est aux affaires publiques aussi bien comme secrétaire de la Commission Attali que Maître à Bercy.
Il faut aussi comprendre que les choix de la Nation sont définis par le Président lui-même, ce qui laisse rêveur quant à la vision démocratique de cet ultra premier de cordée. Il n’hésite pas à raconter au passage des billevesées comme le fameux bouclier tarifaire qui selon lui protège « néanmoins nos compatriotes et nos entrepreneurs ». Il faut juste rappeler que le tarif n’est appliqué qu’aux clients résidentiels d’EDF au tarif régulé de vente (TRV). Les entrepreneurs n’ont accès qu’aux offres commerciales, y compris d’EDF. En l’occurrence, les seuls entrepreneurs vraiment concernés sont les concurrents directs EDF, parmi lesquels des entreprises comme TotalEnergies dont la capitalisation représente 132 Milliards d'Euros.
Après une telle entrée en matière, la déjà faible crédibilité du tribun présidentiel en prend un coup et la suite est à l’avenant.
Les objectifs de la France consistent à diminuer de 55% nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990, d’atteindre la neutralité carbone en 2050 avec une consommation énergétique réduite de 40%. Notons qu’il s’agit d’un engagement international décliné dans le cadre européen. La grande affaire est de réduire l’usage de l’énergie fossile (charbon, pétrole, gaz naturel) notamment dans l’industrie. Et pour ce faire, l’hydrogène est présenté comme le vecteur énergétique idoine. L’hydrogène se fabrique de deux manières principales :
• Hydrogène vert : en envoyant un courant électrique dans l’eau (H2O), technique dite d’électrolyse. Il faut 5 kWh d’électricité pour produire 1 m3 d’hydrogène qui contient 3 kWh d’énergie. Autant dire que l'on obtient moins d'énergie que l'on en consomme !
• Hydrogène bleu : en mélangeant de la vapeur d’eau avec du gaz naturel (CH4), technique qui produit du CO2 (pour éviter cette émission, il faut le capter et l’enfouir).
La fabrication de l’hydrogène demande donc une dépense énergétique importante (un petit souci quand il s’agirait de réduire de 40% nos consommations d’énergie…) et des efforts supplémentaires pour le stocker et transporter car il s’agit d’un gaz ultra léger qu’il faut donc comprimer. Aujourd’hui, 95% de l’hydrogène est produit selon la deuxième méthode sans captage des émissions de gaz à effet de serre pour les besoins industriels (raffineries, chimie).
Dans une harmonie suspecte, l’Allemagne puis la Commission européenne qui lui a aussitôt emboîté le pas, ont décidé de dédier des fonds de plusieurs milliards aux projets de production de ce combustible miracle qui n’émet que de l’eau lors de sa combustion (aussi un peu d’oxyde d’azote semble-t-il). Et la France, toujours en toute indépendance de ses choix, a suivi, pour soutenir les modestes entreprises comme TotalEnergies, Air Liquide, Engie qui se sont lancés à la course aux projets… et aux subventions d'état.
A titre de comparaison, Vattenfall, la compagnie publique d’électricité suédoise, n’a pas attendu les décisions berlinoises pour développer un projet pilote d’aciérie zéro carbone avec les industriels locaux. En France, l’Etat se hâte pour aider Arcelor-Mittal de rattraper son retard, on juge à cette aune de l’indépendance industrielle de la France.
Le Président candidat juge nécessaire de planifier et constituer des filières dans le domaine relativement nouveau de l’hydrogène. En fait de filière nouvelle, il ne s’agit que de s’assurer d’une production nationale d’électrolyseur et d’avancer sur les techniques de stockages de l’hydrogène. Au passage, GTT le spécialiste français des cuves pour gaz naturel liquéfié (GNL) qui équipe une grande majorité de la flotte mondiale de méthaniers (navires de transport GNL), a noué un partenariat industriel pour le transport de l’hydrogène liquéfié avec… Shell, sans doute un garant de l’indépendance énergétique de la Nation. Tout est donc sous contrôle ... des grands monopoles capitalistes !
Mais la grande affaire du siècle, ce sera l’électrification de l’économie. L’électricité se distingue par aucune émission de gaz à effet de serre lors de son usage. En revanche, produire de l’électricité conduit nécessairement à des émissions y compris aujourd’hui lorsqu’elle est produite par des éoliennes ou des réacteurs nucléaires, car il a bien fallu couler du béton et fondre des aciers pour construire ces unités de production.
Le Président candidat s’inspire des travaux du RTE (Réseau de Transport d’Electricité) pour décider (tout seul ?) de la future composition du parc de production d’électricité nationale. Il y a bien des choses à dire sur les 6 scénarios de RTE pris en référence, la première étant que ces perspectives sont construites à environnement institutionnel constant, car il semblerait évident qu’en 2050, le marché et la concurrence seront toujours de mise. Le Président candidat choisit le scénario qui conserve une place au nucléaire tout en projetant un développement important des énergies renouvelables intermittentes (ENRi : éoliens, solaires). Alors entre ce scénario et celui d’une sortie du nucléaire avec encore plus ENRi, le RTE, appréciez à sa juste valeur de la précision, il ne voit qu’un écart de coût de 10 Md€, autant dire même pas le profit d’un pétrolier lors d’une bonne année… Bref, le candidat à la Présidence de la République cache ses choix derrière des dires contestables d’experts.
Le projet serait donc de multiplier par 10 la capacité photovoltaïque et édifier des éoliennes en mer (40 GW, aujourd’hui 0 GW). Pour l’éolien terrestre, très contesté, est annoncé « [une] fiscalité qui rend les projets encore plus intéressants pour nos élus locaux ». Est-ce la peine de commenter ? Sur les 8760 heures que compte une année, les panneaux solaires produisent 15% du temps, les éoliennes terrestres un tiers du temps et les éoliennes marines entre 40% et 50% du temps. Le candidat nous explique que ces moyens de production sont de plus en plus rentables et compétitifs (c’est-à-dire qu’ils ont de moins en moins besoin de subventions – un peu moins de 10 Md€ aujourd’hui). Certes, mais plus s’implantent des moyens de production ENRi, plus il faut adapter les réseaux et donc il faut prendre en compte ces coûts afférents. L’Allemagne, pays en « avance », devrait dépenser dans ce secteur des dizaines de milliards d’euros. Par ailleurs, les batteries de stockage, évoquées pour conserver l’électricité intermittente produite lors des creux de consommation, demandent, même si elles sont fabriquées en France, l’importation de métaux (cobalt, cuivre, lithium) dont l’extraction n’a rien de particulièrement bénéfique pour le climat.
Pour autant, l’Etat va consacrer 1 Md€ au développement d’une filière industrielle ENRi. Somme qu’il faut rapporter aux subventions aujourd’hui accordées aux exploitants de ce type d’énergie pour mesurer la rationalité du système, aujourd'hui rien que pour la méthanisation les subventions approchent les 13 milliards d'euros.
Il faut donc développer les ENRi, nous dit-il car il faut 15 ans pour construire un réacteur ? Il n’a pas fallu 15 ans pour construire les différents réacteurs aujourd’hui en activité !!! Sans doute parce qu’à l’époque, il existait déjà ce que le Président d’aujourd’hui appelle de ses vœux une planification industrielle dans laquelle, le Capitalisme français y trouvait son compte. L’entêtement d’AREVA sur l’EPR, une mise en chantier trop rapide avec l’impréparation consécutive, la multiplicité des contrats de sous-traitance, etc., tout un ensemble de facteurs ont contribué aux retards des chantiers EPR en Finlande, en France et (un peu moins) en Chine. Notons au passage que la croissance des coûts de l’EPR de Flamanville est pour beaucoup de nature financière (1 année de retard = 1 Md€), hors coûts financiers, l’EPR coûte moins de 10 Md€ alors que la facture finale sera supérieure à 20 Md€.
Donc le Président candidat veut relancer le nucléaire en France, c’est la grande affaire de son discours. Il faut prolonger l’exploitation des centrales nucléaires qui peuvent l’être. Dommage pour Fessenheim qui avait obtenu une prolongation d’exploitation par l’Autorité de Sûreté nucléaire de 10 ans. Le Président candidat d’aujourd’hui n’est pas le Président d’hier qui avait un ministre nommé Hulot. Le Président, avec la grande sagesse de celui qui sait, décide d’un programme de 6 réacteurs EPR deuxième génération pour une mise en service à l’horizon 2035. Pourquoi 6 ? Il s’agit tout simplement de la reprise du projet qu’EDF a avancé en 2019. Pourquoi avoir attendu 3 ans pour y répondre positivement ? Parce que l’agenda industriel ne coïncide pas toujours avec l’agenda politique. Le Président visionnaire a fait déjà perdre 3 ans à EDF !!!
Le discours du Président candidat recèle un énorme angle mort. A l’entendre, EDF est une entreprise, bien national, qui sera cornaqué par une Direction de programmes interministériels dédiée au nouveau nucléaire, mais l’objet d’EDF devient la production d’électricité nucléaire et même de conduire l’intégration de la filière. C’est ainsi qu’AREVA NV, rebaptisé Framatome, a intégré le groupe EDF. C’est ainsi qu’EDF va acquérir une partie de GE Nucléaire (hier Alstom Energie) pour 1 Md€ si les négociations aboutissent.
Or EDF n’a pas les moyens financiers de cette ambition présidentielle. L’Etat financerait, certes, mais il s’agit d’aides d’Etat, généralement censurées par la Commission européenne. A moins de contreparties. Par ailleurs, se dessinent l’image d’une EDF maîtrisant toute la chaîne industrielle nucléaire de l’exploitation des centrales jusqu’à la construction des équipements principaux d’une centrale. Il ne manque que l’intégration du traitement du combustible uranium pour reproduire le schéma industriel russe de ROSATOM.
Par ailleurs, l’insistance de la présence auprès d’EDF de l’Etat dans la seule filière nucléaire laisse à penser que ladite « nationalisation » envisagée ne concerne que les activités nucléaires. Bref, le projet de désintégration d’EDF, intitulé hier « Hercule », serait de nouveau à l’ordre du jour.
Car si le discours du Président candidat insiste beaucoup sur la reconquête industrielle ; il n’évoque jamais le service public de l’énergie, n’interroge pas le fonctionnement du marché de l’énergie. Même si demain, la France assure son approvisionnement en électricité par les ENRi et le nucléaire, elle ne sera pas isolée des effets des choix de ses voisins comme c’est le cas aujourd’hui. Dans cette perspective, évoquer l’indépendance nationale et de choix de long terme n’a aucun sens.
La vraie souveraineté nationale et populaire consisterait à reconstruire un service public unifié par la nationalisation complète du secteur de l'énergie, qui protège au mieux les usagers des aléas des marchés internationaux, en s’appuyant notamment sur des entités industrielles au service du développement économique. Malgré le ton volontariste et la prétention à une vision de long terme, le Président candidat navigue à vue en évoquant les sujets en vogue (hydrogène, ENRi) et en poursuivant son objectif de déconstruction et de privatisation des secteurs rentables d’EDF.

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