Gantry 5

 

N° 909 22/01/2024  L'annonce du 12 décembre 2024 par le PDG du CNRS, Antoine Petit, de la création d'un nouveau label pour des laboratoires : les Key labs (les laboratoires clés) et de leur financement a suscité de nombreuses réactions négatives des universitaires et chercheurs. Selon les organisations syndicales 25 % des unités de recherche actuelles seraient classés key labs et bénéficieraient sur une période de cinq ans d'un financement accru avec une priorité au recrutement de personnels scientifiques et techniques. L'objectif affiché : constituer des entités de niveau international jouant le rôle de chefs de file de la recherche dans un nombre limité de domaines jugés stratégiques. L'inquiétude tient au fait que si 25% des unités se voient renforcées, il est clair qu'à budget stagnant, les 75% d'autres verront le leur diminuer et surtout verront tarir les recrutements, sans compter sur les départs vers les pôles qui seront considérés comme les plus attractifs pour les carrières. Face à  cette situation, les réactions négatives sont nombreuses : celles des organisations syndicales mais aussi des responsables de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ainsi, France Universités qui regroupe les Présidents d'Universités ont, dans un communiqué du 17 janvier exprimé leur désaccord total. De son côté l'Association des Directeurs de Laboratoires (ADL) estime au travers d'un sondage qu'elle vient de réaliser que 88% des directeurs d'unités de recherche sont opposés à ces Keylabs. Enfin, une pétition[1] lancée par des scientifiques a rassemblé plus de 5.500 signatures en quelques jours, demandant la démission du PDG du CNRS dénonçant l'orientation donnée qu'ils jugent nuisible pour la recherche : " Ces orientations, notamment matérialisées par le projet des «Key Labs », constituent une remise en cause profonde de l'essence même de la recherche scientifique publique telle que le CNRS la défend depuis sa création. Les «Key Labs », en ciblant les financements et ressources sur quelques rares (25 %) laboratoires identifiés comme majeurs sur des critères inconnus, viennent accentuer la tendance préoccupante de l'intensification de la concurrence dans le monde de la recherche. Ce processus, largement engagé au fil des années de la mandature de M. Antoine Petit et totalement assumé et même prôné par lui, atteint cette fois un paroxysme pour nous insupportable."
La décision du PDG Antoine Petit a été communiquée aux directeurs d'unités lors d'une réunion convoquée  à la maison de la mutualité, une semaine avant que se tienne le conseil d'administration du CNRS le 20 décembre et qui a adopté le Contrat d’Objectifs de Moyens et de Performance (COMP) CNRS- ÉTAT 2024-2028. Ce COMP contenait à la section : "Développer une recherche fondamentale au meilleur niveau international" et à mot couvert l'idée du recentrage annoncé mais sans en évoquer le moins du monde ses modalités : "Dans le cadre de ce nouveau contrat, une quarantaine de priorités thématiques ont été identifiées par le CNRS. Elles traduisent sa vision des évolutions de la science dans les cinq prochaines années. Elles bénéficieront d’une focalisation d’une partie importante des moyens financiers du CNRS. Par ailleurs, nous avons identifié six grands défis transverses qui nous paraissent aujourd’hui particulièrement matures scientifiquement pour que l’on puisse y apporter une contribution significative en mobilisant l’ensemble des disciplines. Il s’agit de structurer les communautés scientifiques significatives à moyen terme, environ 10 ans, en y consacrant en particulier une partie significative des recrutements de nouveaux chercheurs et chercheuses permanents."
Les personnels de l'Université et de la recherche sont donc confrontés dans la logique d’une politique qui se développe depuis des décennies à des réformes ayant pour but de mettre la recherche et l'enseignement supérieur au service exclusif de la compétitivité des entreprises, c’est à dire au besoin de profits de ces dernières. Dans des contextes généraux de concurrence exacerbée des puissances capitalistes se taillant la part du lion dans les technologies émergentes, d'affaiblissement des moyens de l'enseignement supérieur et de la recherche, comme dans celui d'une hémorragie des capacités productives en France, la tendance est de porter l'effort sur des segments limités où l'on espère conserver un certain avantage. Cette stratégie a pour conséquence, une vision de plus en plus utilitariste de la recherche avec une politique de contrat, de précarité de l'emploi et de contrôle étroit des orientations par l'État, d'où la mise au rancart des instances scientifiques et des espaces démocratiques au profit de directions politiques et bureaucratiques.
Les personnels de l'enseignement supérieur et de la recherche ont donc mille fois raison de ne pas accepter ce nouveau coup porté aux outils qu'ils ont patiemment construits et qu'ils font vivre contre vents et marées et d'organiser une riposte vive pour le faire échouer. Ils doivent mesurer aussi que sans une alliance avec les travailleurs : ouvriers, techniciens, ingénieurs et employés qui se battent contre les fermetures d'entreprises et la désindustrialisation, ils seront enfermés dans une défense que l'on pourrait qualifier de corporatiste ne pouvant mener qu'à leur isolement.
Ce tous ensemble, n'est donc pas un slogan mais l'impérieuse nécessité de construire une contre-offensive unitaire des travailleurs face aux attaques d'un système capitaliste qui, dans sa crise profonde, tend à des affrontements de plus en plus violents pour réaliser ses profits et l'accumulation capitaliste.