Gantry 5

 

N° 866 27/03/2024  Les cours de la Bourse de Paris sont en forte hausse depuis le début de l’année, du moins si on en croit l’indice du CAC 40 (indice basé sur le cours de 40 grandes entreprises cotées). Cette fièvre boursière suscite l’indignation de partis classés à gauche et des syndicats, en particulier dans un contexte d’austérité budgétaire et des faibles augmentations de salaire quand la hausse des prix ronge la valeur des salaires. Certes, le capitalisme est injuste mais il serait plus utile d’en décortiquer le fonctionnement….pour mieux le combattre comme forme d'exploitation du travail salarié
 la bourse s emballe
 
Que se passe-t-il à la Bourse ? Rien de vraiment réel
Les bourses capitalistes sont un moyen pour les capitalistes de rassembler des capitaux pour développer une activité productive de biens ou services. Ils émettent donc des actions, titres de propriétés, qui donnent droit aux souscripteurs (les acheteurs) à une future rémunération tirée des profits engendrés par l’activité économique ; en termes marxistes, il s’agit d’un droit à l’accaparement du produit du surtravail.
Cette activité de vente d’actions se déroule sur le marché primaire boursier. Mais l’actualité financière se focalise sur le marché secondaire sur lequel s’échangent des actions. Rien n’interdit à des possesseurs d’actions de société anonyme de les revendre sur ce marché. Et sur ce marché secondaire, agissent justement des spécialistes d’achats/ventes des actions souvent adossés à de grands groupes financiers qui y pratiquent une activité de spéculation en propre ou pour des tiers, c’est-à-dire prosaïquement acheter le moins cher possible et revendre le plus cher possible.
Il est à noter que si le marché secondaire était supprimé, il ne se passerait rien dans la sphère dite réelle de production de biens et services (à l’exception évidemment des services financiers dont une source de revenu serait tarie). En ce sens, il ne se passe rien de réel à la Bourse.
De fait, la bonne tenue des cours n’est pas un gage d’une activité productive florissante (profitable). En revanche la réciproque est moins vraie car si les cours s’effondrent, c’est précisément parce que la sphère réelle de production se montre en incapacité de dégager les profits exigés par les détenteurs du capital. D'une certaine façon, la Bourse est un thermomètre mais que dans un seul sens, autant dire inutile.
 
La bulle, le capital fictif et le retour aux réalités
Qu’est-ce qui provoque un emballement du marché ? La bulle internet par exemple ou tout autre phénomène de cette nature (les tulipes aux Pays-Bas au XVIIéme siècle, la crise liée au système de Law[1]...). Une action est un titre de propriété sur une fraction des profits. Si les perspectives de profits sont élevées alors il est probable que le cours de cette action va grimper car la demande de cette action va augmenter puisque tous les spéculateurs usent de critères similaires. Bref, il s’agit d’une prophétie autoréalisatrice dans un contexte moutonnier. Tout le monde pense que la même chose va arriver et la fait advenir, dans le cas de la Bourse, l’augmentation du cours de l’action.
Le spéculateur est un capitaliste particulier qui se passe de marchandise. Il ne s’agit pas de la formule générale du capital : A(rgent)-M(archandise)-A’(argent) avec A < A’ mais de A-A’ avec A < A’. Dans le premier cas, la variable cachée est la force de travail dont le coût (le salaire) reflète les besoins du travailleur et non la valeur d’échange de la marchandise de manière à dégager de la plus-value (A’- A), dans le second, il s’agit d’un pari gagnant dont nous avons décrit la nature. Pour autant, alors que A’ est réalisé dans le premier cas, dans le second, il ne l’est pas, il demeure fictif tant que l’action n’est pas revendue. Il s’agit d’un capital fictif, fragile car si tous les spéculateurs -moutonnier par nature – revendent pour réaliser leurs gains alors justement le cours de l’action baisse (et c’est dommage pour les derniers vendeurs). Autre possibilité avec un même résultat : les perspectives de profits ne se réalisent pas, alors mouvement symétrique de celui qui a prévalu à l’achat de l’action prometteuse avec à la fin une baisse du cours de l’action. Comme l’expliquait Keynes[2] (lui-même spéculateur), un bon spéculateur doit avoir la capacité de raisonner comme la moyenne et même anticiper ses raisonnements (de la moyenne). Un brin compliqué.
Il est clair - comme dit précédemment – que ces mouvements hiératiques des cours ne répondent pas aux besoins, ni à la réalité du secteur productif. D’ailleurs, les « chartistes » sont des spécialistes des cours de bourse qui expliquent les cours par… les cours (techniques statistiques - séries temporelles).
Quand une bulle spéculative éclate à la Bourse des actions ou ailleurs, c’est un douloureux retour aux réalités parce que d’une part la fin de l’euphorie rappellent que les courbes ne montent pas indéfiniment jusqu’au ciel et que d’autre part à un moment, la valeur des titres est d’une telle extravagance par rapport à des critères du monde réel (entendu comme système de production) qu’elle ne vaut plus précisément plus rien à moins de trouver un naïf prêt à vous en défaire à cette faramineuse hauteur. Il n’y a guère que les banques centrales et les États qui se résolvent à ce type de douloureuses opérations, comme en 2008, pour préserver les intérêts bien entendus du Capital en rachetant des titres de dette (subprimes), ce qui est une façon de faire fonctionner les vases communicants du travail vers le capital .
 
nx jouet
 
A quoi sert vraiment la Bourse
Dire que la Bourse ne sert à rien, c’est, il faut l’admettre, aller vite en besogne. Elle ne sert à rien au monde du Travail, c’est entendu. Pour autant, pour le Capital, elle fait partie d’un dispositif de contraintes assez efficace, en un mot, il s’agit d’un outil utile dans le cadre de l’affrontement Travail/Capital, autrement dans la lutte des classes.
La capitalisation d’une entreprise (société anonyme) représente la valeur de toutes les actions selon leurs cotations à la Bourse. Il s’agit de la « valeur » de l’entreprise telle qu’évaluée par le « marché », terme générique pour désigner l’opinion des opérateurs en Bourse (banques, fonds d’investissement essentiellement). Pour les propriétaires de l’entreprise, il est important que le cours de l’action se maintienne pour deux raisons principales : d’une part, la valeur de leur patrimoine dépend de la capitalisation de l’entreprise, d’autre part, l’accès à des prêts bancaires dépend aussi de la bonne tenue de la cotation qui reflète l’appréciation du « marché ». 
Or sur quelle base s’appuie « le marché » pour définir la cotation d’une entreprise ? Sur les « bonnes » nouvelles qui se résument à sa « profitabilité » présente ou future, en clair, sa capacité à « créer de la valeur » selon la doxa du monde des affaires. En fait, il ne s’agit pas de « créer » mais d’« extraire » de la valeur… du Travail. Le dispositif boursier exerce donc une pression supplémentaire sur le Travail à l’instar de celle des agences internationales de notation qui veillent à la « conformité » des politiques économiques des États.
Dans les entreprises non cotées, généralement de plus petite taille et sous une autre forme juridique que la société anonyme, les salariés identifient leurs interlocuteurs patronaux et les échanges sont directs. Dans le cas contraire, les salariés n’ont pas la même facilité à porter leurs revendications aux « décideurs » patronaux car le pouvoir économique est aussi porté par le « marché ».
 
Alors quelle revendication du Travail ?
La Bourse est bien le temple du capitalisme et cela ne date pas d’aujourd’hui. Les mouvements spéculatifs ne démontrent rien de supplémentaires par rapport aux informations venues de l’économie réelle. Les profits sont bons ? Les cours grimpent. Taxer du capital fictif quand les cours montent, cela revient à admettre qu’il existe un niveau de spéculation acceptable (sur quels critères ?) et il s’agit finalement du même débat au sujet de la taxation sur les super profits comme s’il existait un niveau de profit légitime.
Il serait plus audacieux de demander la fermeture du marché secondaire de la Bourse en expliquant pourquoi il ne sert pas vraiment le développement économique et participe à la pression sur le salariat (des grandes entreprises cotées et par cascade tous les entreprises sous-traitantes ou approvisionneuses). La revendication semble « irréaliste » et non atteignable, certes, mais elle aurait le mérité éminent de mettre en lumière les mécanismes d’exploitation du travail directes et indirectes. Bref, une leçon de chose au sujet du capitalisme.
Notre brochure
brochure
 
Bulletin d'adhésion
bulletin d'adhésion
 
Affiche
affiche