N° 851 12/12/2023 Dans notre Communistes-Hebdo N°850[1] nous avons analysé le rapport Gillet concernant l'enseignement supérieur et recherche (ESR) : " En clair ce qui se prépare c'est la mise sous tutelle d'une partie du CNRS sous la coupe d'Universités baptisées de recherche dans le cadre d'agences de financement dont les acteurs de la recherche et de l'enseignement supérieur se disputeront les montants dans le cadre d'un budget général rogné par l'inflation. Face à cette situation, les personnels de la recherche en exprimant leurs revendications sur les salaires, l'emploi, les moyens et les conditions de travail doivent aussi se préparer à la lutte pour empêcher une nouvelle caporalisation de l'ESR et exiger au contraire sa profonde démocratisation." Nous annoncions que le Président de la République allait prendre en main ce dossier rapidement. C'est chose faite, le voilà même transformé en Maréchal la Science.
Lors de son discours sur l’avenir de la recherche, le 7 décembre 2023, devant un parterre de responsables scientifiques triés sur le volet, il a longuement exposé les orientations qu'il compte mettre en œuvre.
En premier lieu, notons que la question de l'ESR devient un domaine réservé du chef de l’État. En installant un " conseil présidentiel " restreint chargé de l’éclairer sur la marche de la science, il devient le pilote suprême d'un dispositif dont personne ne peut ignorer qu'il ne peut guère s'accommoder d'une extrême verticalité. En effet, les politiques de recherche ne peuvent que s'asseoir sur les équipes qui les mettent en œuvre, sur l'évaluation des travaux par les scientifiques eux-mêmes, sur des choix stratégiques dans la durée en matière de développement technologique et industriel et surtout sur des financements stables. Ainsi, les choix du capitalisme français de désindustrialisation et de délocalisations des productions, choix qui ont été financés et soutenus par l'État depuis des décennies, ont-ils conduits à des reculs importants dans le domaine de l'énergie et de la pharmacie pour ne citer que ces deux exemples.
Pourtant toutes les orientations annoncées par E. Macron confortent le traitement fait à l'ESR depuis des décennies et qui ont conduit à son affaiblissement, à sa bureaucratisation et à une perte de capacités scientifiques et techniques.
En quoi la transformation des organismes de recherche en " de vraies agences de programmes ", capables de définir les thématiques prioritaires va-t-elle changer les capacités des laboratoires quand ces programmes ne feront que s'ajouter à une politique dite de contrats qui plombent déjà les capacités des équipes dans des concurrences mortifères et qui prennent sur le temps consacré à la recherche. Ces programmes qui leurs seraient confiés sont du plus haut flou et ressemblent plus à des arguments électoraux que scientifiques ! Qu'on en juge : au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), le climat, la biodiversité et la société durable ; à l’Institut National de la Recherche Agronomique et de l'Environnement (INRAE), l’agriculture, les forêts et les ressources naturelles ; au Centre de l' Energie Atomique (CEA), l’énergie décarbonée (on appréciera la pudeur à ne pas parler de nucléaire!), les composants, systèmes et infrastructures numériques ; à l’Institut National de la Recherche en Informatique et Automatique (INRIA), le numérique logiciel ; à l’Institut National en Santé et en Recherche Médicale (INSERM), la santé ; et enfin au Centre National d'Etudes Spatiales (CNES), le domaine spatial. Sauf à penser que le CNRS serait dépouillé de ses autres activités de recherche, on ne peut que constater que les organismes cités sont déjà dédiés à ces programmes. Alors, invention macronneuse de "l'eau tiède" ou prendrait-on les français pour des débiles profonds incapables de comprendre que, par exemple, la mission de Institut National en Santé et en Recherche Médicale (INSERM) c'est la santé et le reste à l'avenant.
Mais quels moyens nouveaux nous annonce le Maréchal la Science ? Aucun. En 2024 le budget de l'ESR est de 23,6 milliards d'Euros en progression d'un 1,1 milliards + 4,2 % (c'est à dire moins que l'inflation). C'est ce milliard que l'on nous présente aujourd’hui comme le coup de pouce décisif à la recherche...de qui se moque-t-on?
En plus des réformes que le Maréchal la Science veut imposer, il y a en prime l'injonction de les faire en 18 mois. Il s'agit probablement d'une nouvelle complexification simplificatrice qui vise à accélérer l'autonomie des Universités en les rendant gestionnaires sur leur territoire des équipes de recherche du CNRS, de l'INSERM...Un beau gâchis en perspective avec des personnels techniques et de gestion de plus en plus en difficultés tant les procédures contractuelles et le manque de moyens humains ont brouillé leur travail. Cette autonomie grandissante permettra aussi d'augmenter les frais d'inscriptions, de favoriser quelques Universités de recherche et d'élite ; tandis que le tout venant fera un enseignement à minima dans des collèges universitaires sans recherche !
Il est d'ailleurs significatif que craignant la fronde des personnels, la question des statuts ne furent pas vraiment évoqués par le Maréchal la Science, sauf pour affirmer que cela devrait se régler au plan local. On a là le mode d'emploi pour faire exploser le statut de fonctionnaire en s'appuyant sur une autonomie d'Universités encouragées à recruter des Contrats à Durée Déterminée voire des Contrats à Durée Indéterminée et qui le minerait de l'intérieur.
Nous nous n’attendions à rien de bon et c'est le cas. Nous avons la responsabilité d'expliquer aux personnels de l'ESR le sens de la politique en cours. Elle ne déroge pas de tout le reste. Leur seul mot d'ordre : c'est tout pour le profit en précarisant la situation des salariés en faisant reculer les acquis démocratiques. Face à cela, il n'y a qu'une voie celle de la lutte sociale et politique. C'est à quoi appelle notre parti dans l'ESR comme ailleurs!
[1] https://www.sitecommunistes.org/index.php/france/entreprises/2553-enseignement-superieur-donner-aux-grandes-firmes-capitalistes-les-moyens-daccroitre-leurs-profits