Gantry 5

 

N° 840 28/09/2023 Lors de la présentation de son plan de transition écologique, le Président de la République a indiqué qu’il prendrait les mesures nécessaires pour contrôler le prix de l’électricité. Déclaration bien surprenante de la part d’un chantre du marché et gardien des intérêts du capital. Elle démontre en creux les contradictions d’une politique énergétique « européenne » et la gabegie générée par la libéralisation du marché de l’électricité et du gaz.
 
Pourquoi le marché de l’électricité est une invention récente
Dans la théorie économique standard – qui justifie le capitalisme par d’élégants modèles incompréhensibles pour le commun des mortels - il revient au marché de révéler le prix d’un bien et son évolution indique les oscillations de l’offre et la demande. Si le prix de marché de l’électricité passe de 50 €/MWh à 120 €/MWh, nous en déduirons donc que la demande croît plus rapidement que l’offre. Toujours selon cette théorie, si un gouvernement décide de bloquer les prix de l’électricité à 50 €/MWh alors l’offre déjà insuffisante devrait encore se réduire ou se proposer ailleurs à meilleur prix puisque le marché ne ment pas et donc à moins de 120 €/MWh, le producteur renonce à produire pour attendre des jours meilleurs et plus profitables.
Mais l’électricité a le défaut de ne pas se stocker et de ne pas se transporter aisément. Donc attendre des jours meilleurs, cela veut dire pour l’électricien ne pas faire tourner sa centrale et donc ne pas la rentabiliser. Du côté du gouvernement, la pénurie d’électricité signifie des délestages tournants et un arrêt momentané des activités économiques et donc cela fait frémir le Capital. Bref, et la théorie des économistes distingués n’en parlent jamais, c’est l’équilibre de la terreur.
Pour ces raisons spécifiques à l’électricité, tous les systèmes électriques se sont développés, même en régime capitaliste, autour de monopoles aux aires géographiques variables, nationalisés ou non, mais dont les tarifs étaient contrôlés par une entité publique. La sagesse et l’intérêt bien compris invitaient à écarter l’électricité des affres du marché.
 
Pourquoi les marchés de l’électricité et du gaz ont été, à un moment donné, comme une fête
Les marchés de l’électricité et du gaz sont une invention récente qui s’inscrit dans la vague – assez longue à ce jour – de libéralisation de l’économie, comprenez cession de toutes les clefs au Capital. L’Union européenne – que certains sans rire désirent autre – a été le catalyseur de la transformation des systèmes électriques et gaziers européens en marché. Inspirée du modèle anglais, à coup de directives, tout en prétendant à la souveraineté des États en matière de politique énergétique, l’Union européenne – quelque soit sa coloration principale – a détricoté les systèmes électriques et gaziers dont les bilans étaient pourtant satisfaisants.
De nouveaux intérêts se sont déployés dans le secteur, en particulier les acteurs de la finance qui ont lancé des activités de trading d’électricité et de gaz. Des acteurs industriels ont profité de la porte ouverte par la libéralisation pour faire fructifier leur capital dans le secteur. Ou encore, EDF, elle-même, s’est porté acquéreur d’entreprises d’électricité en Allemagne, au Royaume-Uni, en Pologne, en Slovaquie. Une grande fête de monopoly.
Portés par l’idée d’investissements lucratifs dans la production à partir de centrales gaz (turbines), les lobbyings ont poussé à une libéralisation rapide. Ainsi exit les tarifs, bonjour les prix de marché. Et cela a semblé marcher puisque les prix de marché se sont mis à baisser, mettant en lumière pour les naïfs l’adage selon laquelle la concurrence fait baisser les prix.
Les prix ont tellement baissé qu’ils étaient quelquefois négatifs. En clair, en une image, vous pouvez être payé pour laisser votre lampe allumée. Et voilà la dure loi de l’offre et de la demande qui frappe : des investissements nombreux dans les turbines à gaz, plus les éoliennes qui fleurissent aboutissent à un suréquipement relatif européen d’autant que la croissance européenne n’est pas très porteuse. Des centrales gaz sont mises sous cocon (à l’arrêt, juste entretenues pour un éventuel redémarrage plus tard) et l’électricité n’est plus un secteur très porteur sauf dans le domaine des éoliennes et autre panneaux solaires, très subventionné.
Personne, à l’époque – sauf les représentants du capital investi dans le secteur – ne s’est plaint des prix trop bas (pour rentabiliser l’investissement) de l’électricité.
 
La fête est finie
La reprise des activités post covid a retourné la situation en particulier sur le marché mondial du gaz. Son prix a doublé l’année précédent les hostilités en Ukraine du fait d’une forte demande asiatique. Et là, Macron et consort découvrent la loi du kWh marginal car sur le marché de l’électricité, ce n’est pas l’équilibre offre/demande qui fait le prix - car pour l’électricité non stockable, l’offre est toujours égale à la demande - mais le dernier kWh produit pour répondre à une demande donnée. Or le dernier kWh produit est toujours le plus cher, or le dernier kWh est produit à partir du gaz, or le prix du gaz augmente vertigineusement, or le gaz représente 60% des coûts d’une centrale gaz donc les prix de l’électricité s’envolent.
Et comme le marché est européen, tous les Européens en profitent.
A système électrique inchangé avant libéralisation, hors effet disponibilité nucléaire (une autre histoire à part entière), les différents pays européens auraient été touchés de manière différenciée en termes de prix de l’électricité : l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne auraient prix cher quand même, la Belgique aurait été égratignée, la Pologne pratiquement rien (vive le charbon) et la France encore moins (vive le nucléaire). Nous pouvons donc saluer l’œuvre unificatrice du marché européen!. Évidemment dans l’hypothèse du maintien des contrats long terme gazier, il ne serait rien passé du tout (pas dans les mêmes proportions, les prix du gaz sont indexés dans les contrats sur les produits pétroliers), enfin jusqu’au début des hostilités en Ukraine. Et à la réflexion, y aurait-il eu des hostilités en Ukraine avec le maintien du paysage gazier à l’identique ? Les autorités russes et leurs partenaires occidentaux auraient-ils ressenties l’impérative nécessité de construire les Nord Stream ?
Toutes ces considérations étaient nécessaires pour savourer le retournement du gouvernement français au sujet de la question du prix de l’électricité. Dans une optique de réindustrialisation, le capital a besoin d’une énergie électrique la moins onéreuse possible. D’ailleurs, c’est pour cette raison qu’EDF a été créée dans le cadre de la reconstruction d’après-guerre.
L’obstination allemande à ne rien changer s’explique aisément dans la mesure où le marché européen partage ses coûts entre tous les pays européens (le marché a aussi un prix…) Le Capital allemand veille sur ses intérêts qui consistent à ne pas céder une once de compétitivité à ses partenaires.
Décidément, l’Union est une lutte de tous les instants!
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