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N° 827 28/06/2023 Un certain nombre d’analystes non hostiles au capitalisme s’alarme des excès de la finance. Ainsi M. Vittori, dans les Echos du 6 juin 2023, se demande si les craquements dans le secteur financier et les baisses de cours généralisé des produits financiers ou des prix au m2 n’annoncent une crise majeure.

Il est vrai que ces 20 dernières années, la « création de valeur » a été colossale dans ce secteur phare du capitalisme moderne, pour autant, dans la sphère dite réelle de production de biens et services, l’expansion n’a pas été aussi spectaculaire.
Le PIB mondial est légèrement inférieur à 100.000 milliards de dollars. Cela représente peu ou prou l’ensemble de la production mondiale de biens et de services. Une étude récente de McKinsey Global Institute (MGI) nous apprend que la somme des actifs réels (usines, infrastructures, immobilier, propriété intellectuelle, etc.) et financiers (portefeuilles d’action, d’obligations, dépôts, etc.) représenterait 6 fois ce montant, avec une augmentation durant les 20 premiers années du siècle de… 160.000 milliards de dollars.
Alors que les autorités monétaires se sont alarmées de la montée de l’inflation, elles ne semblent pas se préoccuper de cette inflation financière avec par exemple des prix de l’immobilier qui ont grimpé (un tiers de l’augmentation concentrée dans 50 villes) ou la capitalisation boursière des géants de ladite nouvelle économie qui a dépassé le cap des 1.000 milliards. Pour tout dire, elles ont même alimenté ce phénomène par une politique très laxiste, en clair, pour éviter le total effondrement du système financier touché par la grave crise de 2008, les Banques Centrales ont fait tourner la planche à billet, pour dire les choses grossièrement, injectant des milliards dans la sphère financière, qui les a fait fructifier, en particulier en reprenant les titres de dettes douteuses.
Même un Jacques de Larosière (ancien gouverneur de la Banque de France, ancien Directeur général du FMI), s’inquiète de ce qu’il dénonce comme une illusion financière. Curieusement, il converge avec K. Marx qui se gaussait, de son temps, de ceux qui s’enorgueillissaient de faire de l’argent avec de l’argent. Il nommait ce type d’accumulation, « capital fictif », dans la mesure où le « vrai » capital ne s’accroît que selon la célèbre formule A(rgent)-M(archandise)-A’(rgent) (avec A<a’).
La quasi-totalité de ce « capital » financier – qu’il serait plus pertinent de qualifier de patrimoine – est davantage valorisée à partir d’hypothèses spéculatives partagées (et renforcées par les agences de notation) que de capacité à générer de l’accumulation de capital. C’est bien ce qui préoccupe les défenseurs un peu lucides du système capitalisme comme Larosière : un patrimoine titanesque qui gonfle sans retour vers le système productif puisqu’il se suffit à lui-même.
L’étude de MGI tend même à prouver que ce capital fictif vampirise le capital réel dans la mesure où son accroissement exponentiel contraste avec la plus faible croissance du PIB et en définitif de la productivité. De fait, si les flux financiers sont drainés vers du capital fictif, alors il fait défaut au système productif y compris dans les pays à bas coût salariaux.
Ainsi, finalement, la globalisation, menée et accélérée dans un contexte de « déréglementation » financière. De fait, le secteur financier a imposé ses propres règles, par exemple, les normes comptables internationales, IFRS (International financial reporting standards)(1) , sont décidés par un organisme privé, émanation des grandes entreprises capitalistes mondiales, conduit à ce que certains ont dénoncé comme « une économie casino ». Il serait plus exact d’analyser cette phase comme une transformation du régime d’accumulation qui s’appuie désormais sur une accélération de circulation planétaire du capital et sur une grande inventivité en matière de manipulations (engineering) financières.
Par exemple, le marché financier des produits dérivés consistait initialement à couvrir les risques liés à de achats à terme (engagement de prendre livraison d’un produit à un prix donné à une date future déterminée par les contractants). L’objet de la transaction et l’évolution de son prix était bien une marchandise (matières premières ou agroalimentaires), aujourd’hui ces contrats sont construits la plupart du temps sur d’autres produits financiers. Et la valeur des échanges sur le marché des produits dérivés représente… 6 fois le PIB mondial.
Les gains réalisés sont aussitôt réinjectés dans le circuit financier ou dans les biens immobiliers, l’investissement dans la sphère productive étant d’un bien moindre rapport.
Mais aussi rapide que soit la circulation du capital, ces mouvements ne créent pas ex nihilo du capital.
Les alarmes de la crise de 1997, la bulle internet de 2000 et la crise de 2008 n’ont en rien ralenti cette frénésie spéculative. Comble d’ironie, pour réindustrialiser le pays (France) ou conserver son industrie (Allemagne), l’État met la main à la poche, s’endette et alimente les portefeuilles financiers (obligations)…
Cette configuration économique accentue les inégalités sociales à un niveau rarement atteint depuis la fin de la Seconde guerre mondiale comme le montrent les études de Piketty (qui a le grand défaut de confondre capital et patrimoine)(2) . Mais il existe aussi une inégalité dans l’exposition aux risques systémiques : il est clair que le patrimoine des 0,01% les plus riches fondra moins vite que celui des autres.
Si la « bulle » éclate, les conséquences seront majeures pour le monde du travail. Il est pourtant clair que si l’action d’une entreprise chute en Bourse, cela n’entame sa capacité à produire. Mais si l’entreprise ne « vaut plus rien », le risque de lui prêter des fonds sera revu en forte hausse (la garantie – la valeur de l’entreprise elle-même est réduite) et donc par suite, les prêts seront plus onéreux ou même impossibles à contracter et par suite, l’entreprise cessera ou réduira ses activités avec tout ce que cela implique pour les travailleurs (chômage partiel ou total).
Bref, que le capitalisme fictif, fruit du développement même de l'accumulation capitaliste et de la circulation mondiale du capital, prospère ou périclite, il est, comme le capitalisme réel qui en est à l'origine, fondamentalement nocif pour le monde du travail. Situation d’autant plus dramatique qu’il n’a aucun moyen pour endiguer ses cycles de développement/contraction. La question de fond incontournable est donc bien celle d'en finir avec le capitalisme, système de rapports sociaux d'exploitations, dont la logique de développement ne peut-être que l'épuisement des forces productives et celle des ressources naturelles et de la nature elle-même.

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(1)  https://acpr.banque-france.fr/europe-et-international/cadre-comptable/standards-internationaux/normes-comptables-internationales-ifrs

(2) Lecture critique du "capital au XXe siècle" de Thomas Piketti http://www.cuem.info/?page_id=358

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