N° 812 15/03/2023 Les puces les plus sophistiquées sont un élément clé de l'électronique civile comme militaire. Le développement de la guerre en Ukraine, souligne encore plus le rôle que jouent ces éléments dans la fabrication et l'usage des armes modernes comme dans les techniques du renseignement.
Le contrôle de leur production, des matériaux nécessaires pour les produire, des machines pour les graver comme de leur commerce sont donc devenus des enjeux stratégiques dans la lutte intense et violente que se mènent les puissances capitalistes à l'échelle du monde.
Cette réalité explique que, craignant d'être dépassés par la Chine dans ce domaine, les États-Unis ont lancé une véritable guerre à base de sanctions, de financements massifs de sa propre industrie et de constitution d'alliances avec le Japon qui maîtrise les technologies les plus avancées et les Pays-Bas fournisseurs des meilleures machines à graver dans ce domaine.
Ainsi, les décisions de Washington au travers du Chips and Science Act de limiter les exportations de semi-conducteurs vers la Chine sont non seulement l’indice d’une forte inquiétude des dirigeants économiques et politiques états-uniens sur les avancées du rival chinois mais aussi et surtout une nouvelle étape dans l’affrontement des deux principaux acteurs du système impérialiste mondial. La fiche d'information qui rapporte la promulgation de ce document sur le site de la maison Blanche est particulièrement évocateur des enjeux :" CHIPS et la loi sur la science réduiront les coûts, créeront des emplois, renforceront les chaînes d'approvisionnement et contreront la Chine".
La Chine ferait la course en tête …
Un rapport de l’Australian Strategic Policy Institute (ASPI), The global race for future power (2023) , s’alarme de constater que les dix premiers instituts de recherches mondiaux dans les domaines considérés comme stratégiques (Intelligence artificielle, biotechnologies, robotiques, défense et espace, technologies quantiques, etc.) sont situés en Chine. La production d’articles de recherche à fort contenu de ces centres de recherche est cinq fois plus importante que le deuxième au classement mondial, les États-Unis. Toujours selon ce rapport, la Chine serait leader dans 37 domaines considérés comme stratégiques sur 44. Les recommandations de cet institut australo-américain nous informent du niveau d’inquiétude pour ce qu'ils nomment les « démocraties », en fait le bloc impérialiste dominé par les États-Unis. Il serait en grand danger d’être surpassées et les appels à l’unité face au péril jaune et ponctué de recommandations à des exemptions fiscales pour les fonds investis dans la recherche.
Plus intéressant : il est indiqué l’avance des États-Unis sur les vaccins, certes, mais aussi, dans le domaine de « la conception et le développement de dispositifs semi-conducteurs avancés et sont à la pointe de la recherche dans les domaines du calcul à haute performance et de la conception et de la fabrication de circuits intégrés avancés et de la fabrication de circuits intégrés » et aussi de l’informatique quantique dont on pressent qu'elle doit bouleverser la capacité et la vitesse des calculs scientifiques.
À la lumière de ces informations, les décisions d’embargo prisent par les États-Unis contre la Chine, s’expliquent surtout par le souci de conserver un domaine stratégique d’excellence dont les applications nombreuses pourraient freiner l’avancée technologique chinoise. C'est cet objectif qui est clairement affiché par Kevin Wolf ancien sous secrétaire d'État au commerce de Barack Obama : " tenir à distance [ la Chine] et courir plus vite"!
Une agression qui coûterait cher à tout le monde !
Dans les centres de recherche éparpillés à travers le monde, certains excellents dans certains domaines, font référence et échangent avec d’autres centres. La vision proposée par l’ASPI est pour le moins sujette à caution : il est question d’instituts de recherche installés en Chine mais rien ne dit qu’ils sont exclusivement chinois, ni qu’ils entretiennent des échanges hors des frontières chinoises.
En clair, la fébrile agitation américaine et ses justifications académiques comme ceux de l’ASPI nous renseignent davantage sur la stratégie de tension voulue par Washington que sur la perte de vitesse technologique des dites démocraties. Le ridicule n’arrête pas la superpuissance, espionnée à partir de ballons météorologiques et plus récemment par les grues de chargements des containers dans les ports américains!
Les États-Unis interdissent la vente à la Chine de microprocesseurs avancés et des machines pour les fabriquer. Des cadres américains (souvent sino-américains) travaillant en Chine dans ce secteur sont rentrés dans leur pays à la suite de la campagne américaine. Dans ce domaine, la Chine aurait effectivement un retard technologique. Comme on n’est jamais assez prudent, une entreprise néerlandaise (ASML dispose d’un quasi-monopole sur la technique de lithographie des puces) s’est conformée à cette interdiction d’Outre Atlantique en arrêtant la vente de ces machines de production de puces électronique à ses clients chinois. Le Japon a suivi. Il est utile de mentionner que le leader mondial de production de semi-conducteurs – sous licence américaine – n’est autre que Taïwan avec l'entreprise Taiwan Semiconductor Manufacturing Company TSMC. Cette dernière produit 90% des puces les plus sophistiquées. Elle représente la première capitalisation boursière en Asie et fait l'objet de toutes les attentions états-uniennes puisque lors de sa visite à Taïwan Nancy Pelosi a rencontré le patron de TSMC, Mark Lui, formé aux États-Unis.
Les États engagent d’énormes programmes de financement pour soutenir leurs monopoles. Comme pour la transition énergétique, les États engagent d'énormes programmes de financement de l'industrie électronique. C'est une caractéristique du rôle qu'ils jouent dans le processus de l'accumulation capitaliste tout en étant des acteurs de la guerre commerciale. Ainsi, les États-Unis au travers du Chips and science act promulgué le 9 août 2022, prévoient-ils 280 milliards de dollars d'aides, dont près d'un tiers reviendra aux entreprises de semi-conducteurs, et le reste à la recherche et développement. Pour sa part, le gouvernement chinois s'apprête à dépenser 135 milliards d'Euros, le Japon 35 milliards de dollars tandis que l'Europe avec le Chips act de février 2022 ont engagé 43 milliards d'euros.
Il semblerait que le coup porté par Washington soit sensible. Cependant, le gouvernement chinois a quelques cartes en main en termes de représailles avec par exemple un embargo sur les terres rares (plus de 90% de la production mondiale). Pour autant, l’insertion de la Chine dans le système capitaliste international l’incite à la prudence dans la mesure où elle peut prendre des décisions aux impacts systémiques énormes avec des rétroactions sur sa propre économie.
Elle pourrait éventuellement concentrer son activité sur les micro-processeurs moins avancés présents dans nombre de biens d’équipement et de consommation et ainsi tuer la concurrence mondiale comme elle a su le faire pour les panneaux photovoltaïques. D’ailleurs des inquiétudes se font jour dans l’Union européenne pour sa propre industrie. A ce jour, la Chine produit un cinquième des microprocesseurs dans le monde et elle s’est faite une place dans ce marché très rapidement…Car finalement, les micro-processeurs classiques font encore le gros de la demande.
Ainsi, la guerre commerciale entre les grandes puissances capitalistes, apparaît comme un élément de la guerre tout court. Elle constitue un élément de ralentissement des processus de globalisation des échanges et de division internationale du travail. Elle s'appuie et justifie la montée des tensions militaires et donc de la production des armements.