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N° 787 21/09/2022 La hausse des prix du gaz naturel sur le marché de gros a commencé en 2021 avec un prix de marché multiplié par 4 en 2021 et presque par 3 depuis le début de l’année 2022 avec de fortes variations journalières (une hausse journalière de 10% pouvant alterner avec une du même ordre le jour suivant).

Les prix de l’électricité sur le marché de gros ont quadruplé en 2021 et plus que doublé depuis le début de l’année 2022.

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Dans le même temps, le baril de pétrole ne connaissait qu’une augmentation de 70% si on peut dire…
Les conséquences de cette montée des prix de l’énergie sont bien connues : la montée de l’inflation, des secteurs industriels en difficulté. Les gouvernements de l’Union européenne peinent à définir une politique pour sortir de cette situation socialement explosive. Ils ont mis en place des plans de dizaines de milliards d’aide pour alléger la facture. La Commission européenne a décidé de taxer les super profits des entreprises mais la mise en œuvre d’une telle mesure semble d’une très grande complexité et ressort davantage de l’incantation que d’une volonté de résoudre une équation difficile : comment à la fois préserver en même temps le sacro-saint marché et les populations et les activités économiques de ses méfaits.
Les lois d’airain de l’offre et la demande… mais pas que
Si le prix du gaz est élevé, c’est donc que l’offre est inférieure à la demande. Or, la consommation de gaz est saisonnière avec un pic des consommations en hiver. Et nous ne sommes pas en hiver.
Il est vrai que les prix du gaz ont commencé à monter en 2021 avec la reprise économique post COVID : alors que la demande, en particulier asiatique, grimpait, les producteurs ont eu un délai d’adaptation à cette reprise. Il est probable qu’à cette époque, des cargaisons de gaz liquéfié, initialement destinées à l’Europe, ont été détournées vers le marché asiatique plus rémunérateur. A l’époque, la Commission européenne sommait la Russie d’accroître ses livraisons à l’Europe, qui curieusement, s’est montrée peu coopérative : elle avait besoin de regarnir ses propres stockages.
Donc, avant l’agression russe contre l’Ukraine, les prix du gaz s’étaient déjà alignés à un niveau supérieur. Et ils ont continué à grimper avant même que la Russie ne cesse d’approvisionner de manière régulière ses clients européens. Ces derniers avaient des besoins plus élevés parce qu’ils devaient remplir leurs stockages dont le niveau était particulièrement bas.
A tout cela, il faut ajouter les besoins supplémentaires en gaz pour faire tourner les centrales électriques en Allemagne puisque ce pays met en œuvre un plan de fermeture des centrales électriques charbon. Enfin, comble de malchance, des centrales nucléaires françaises ont connu quelques problèmes techniques nécessitant l’arrêt de leur exploitation (15 réacteurs en arrêt non prévu et 10 en arrêt programmé). Ce qui a conduit la France à importer de l’électricité produite à partir de gaz (d’Espagne notamment) et augmenterai la tension (faute de disponibilité à l’exportation de nucléaire français).
Il est probable que le déséquilibre offre/demande ait entraîné une hausse des prix. Certes, mais la multiplication par 10 des prix pose question alors que manifestement il n’y a pas de pénurie de gaz.
Il est clair qu’il entre dans cette spirale inflationniste des menées spéculatives intenses. Intensité que personne ne semble en mesure ou ne voit la nécessité de déterminer. Pourtant, les grandes entreprises d’énergie sont toutes dotées de département de négoce dont les résultats au premier semestre étaient excellents (par exemple Engie).
Il est bien connu et aussi bien documenté que les périodes d’incertitude sont toujours favorables aux opérateurs de marché de ce type. Pourtant, sur ce point, peu de commentaires dans les médias…
Le prix de marché de l’électricité : une mécanique infernale
Même le ministre Le Maire n’a pas bien compris comment se forme le prix de l’électricité sur le marché. Il notait que les prix en France grimpaient à cause du prix du gaz alors que le gaz entre pour une part marginale dans la production électrique française. C’est dire si c’est compliqué…
En fait, l’électricité ne se stocke pas, la demande est toujours égale à l’offre. S’il manque quelques MW, le black-out menace. Pour cette raison, pour obtenir la production nécessaire, après le choix des productions par ordre croissant de coût, il faut aussi acheter - même en petite quantité - le plus cher disponible. Et le prix de marché sera précisément ce prix pour s’assurer que toute la demande sera satisfaite (1% d’écart entre offre et demande, en électricité, ce sont de gros ennuis(1) ).
De là vient l’influence majeure des prix du gaz sur celui de l’électricité.
Un autre aspect des marchés mérite d’être commenté. Sur les marchés du gaz et de l’électricité, il existe – comme pour tous les marchés de gros de matière première – la possibilité d’acheter ou vendre des MWh de gaz et d’électricité à terme, c’est-à-dire acheter ou vendre aujourd’hui pour une livraison effective dans un mois à trois ans, avec un système de dépôt de garantie pour l’acheteur (qui paiera son achat à la livraison). Ces échanges à termes conduisent aux développements de technique de couverture de risque (si vous achetez aujourd’hui un kWh livré dans 1 an à 20 €, il se pourrait que le prix courant ne soit l’année prochaine que 15€). Sans entrer dans les détails des opérations, ces développements permettent à des opérateurs purement financiers de procurer cette couverture de risque. Pour ce faire, ils achètent et vendent des kWh sans n’en livrer jamais aucun. La multiplication de ce type d’opération ouvre des perspectives de spéculation et aussi d’emballements de marché à l’instar du fonctionnement du marché pétrolier dans lequel les « barils papiers » sont en terme de quantités une dizaine de fois plus important que les vrais barils extraits ou vendus.
La Commission européenne a une révélation
Contrairement au marché du pétrole, les marchés du gaz et de l’électricité sont de facture récente dans l’Union européenne. Ils ont été bâtis dans le cadre de la libéralisation et des privatisations des systèmes gaziers et électriques. Jusque là, ils fonctionnaient autour d’opérateurs (privés ou publics, régionaux ou nationaux) qui bénéficiaient d’un monopole sur leur aire géographique et répondaient à des critères de gestion de type services publics (notamment prix de vente contrôlés).
Réduisant le service public de l’énergie électrique et du gaz naturel au seul acheminement de ces énergies, en clair, les réseaux, la Commission Européenne a décidé d’organiser le marché du gaz et de l’électricité comme un marché classique de matière première. Les gestionnaires de réseaux de transport (haute tension pour l’électricité, haute pression pour le gaz) sont chargés d’assurer l’adéquation journalière en quantité physique entre demande et offre.
Le problème pour l’électricité : il s’agit en grande partie d’une énergie secondaire (il faut du gaz, du charbon pour la produire) et son prix est fixé par le dernier kWh offert, selon les moments, un kWh gaz ou charbon, avec les difficultés déjà mentionnées.
La Commission Européenne sous pression admet qu’il faudrait revoir les fonctionnements des marchés sans indiquer d’autre piste qu’un plafonnement des prix temporaires. Pour le marché de l’électricité, durant une période limitée, pour les productions d’électricité « non carbonées » (nucléaire, énergies renouvelables, hydraulique), elle considèrera que toutes les ventes au-dessus de 180 €/MWh électrique généreront de super bénéfices (par exemple pour les ventes à 200 €/MWh, prélèvement de 20 €/MWh). Elle espère récupérer 140 Md€ ainsi de « contribution » (s’il s’agit d’une taxe, l’unanimité est requise).
La Présidente de la Commission Européenne a fustigé les producteurs d’électricité hydraulique, éolienne ou nucléaire qui font des bénéfices « injustes » grâce à la guerre (leur coût de production est très inférieur aux prix de marché). C’est sûr, ils auraient dû faire… quoi au fait ? S’abstenir de produire ? Puisqu’ils sont obligés de passer par le marché, nous ne voyions pas d’autres solutions.
Pour un service public nationalisé
Le bluff de la Commission Européenne n’impressionne pas trop les producteurs et opérateurs du marché de l’énergie qui ne dérogent à aucune règle européenne. La seule solution opérante consisterait à suspendre le marché qui permettrait d’échapper à la loi du dernier kWh produit et revenir à une livraison à un coût moyen.
La production électrique étant resté relativement concentrée en France, le mouvement se ferait sans mal. Il suffirait de donner au gestionnaire de réseau de transport le rôle d’agrégateur (il achète la production nécessaire pour répondre à la demande aux producteurs nationaux + importations à la marge) qu’il livrerait ensuite à prix moyen aux consommateurs. Bref un retour au bon vieux tarif que semble même souhaiter le MEDEF, c’est dire.
En ce qui concerne la nationalisation du système électrique, il s’agit de ne pas faire de contresens : la propriété à 100% du capital social d’une entreprise n’en fait pas une entreprise nationalisée, puisqu’elle est astreinte à une gestion classique de société commerciale autrement dit capitaliste. De plus, en annonçant la prise de contrôle totale du capital d'EDF, l'État ne dit rien du futur de cette société et en particulier du caractère de monopole public de l'énergie, laissant ouverte la porte à un découpage déjà formalisé dans le plan baptisé : "Hercule". Pour nous, une entreprise nationalisée doit répondre à des objectifs industriels et sociaux issus d’une délibération démocratique. Elle n’entre pas dans le jeu de l’accumulation de capital et de fait n’a pas d’actionnaires.
Pour le gaz naturel, les transformations paraissent plus ardues dans la mesure où les producteurs ont vu tout l’intérêt des marchés par rapport aux contrats long terme auxquels la Commission Européenne n’a eu de cesse de vouloir y mettre un terme. Pour autant, une compagnie nationale française, qui négocie l’achat de gaz pour la consommation nationale, aurait un attrait certain pour les producteurs, étant donné les aléas du marché et la marche générale des systèmes énergétiques vers la décarbonation.
Personne ne peut aujourd’hui le nier : un système nationalisé autour de grandes entreprises publiques aurait limité l’impact de la crise énergétique actuelle qui frappe les classes populaires. Notre Parti Révolutionnaire Communistes mène la lutte politique pour un service public de l'énergie entièrement sous le contrôle de la nation et couvrant la recherche, la production et la distribution. Dans l'immédiat il exige le blocage des prix de l'énergie.

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(1)Les gestionnaires de réseaux grands transports (RTE en France) assurent l’équilibre offre/demande,
donc les quantités à produire et en dernière analyse le prix au jour le jour (aussi dit prix spot).

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