737-05/10/2021 La montée brutale des prix du gaz naturel et de l’électricité sur les marchés a et aura des lourdes conséquences sur la facture des consommateurs.
Situation délicate pour un gouvernement français en campagne électorale. Comme ses prédécesseurs, le gouvernement qui ne jure que par le marché et les privatisations est responsable de la situation dans la mesure où il est bien l’héritier de la longue tradition des gouvernements français. Gouvernements qui comptent sur le Capital et son fameux marché pour se substituer de manière "efficace" aux services publics organisés autour de grandes institutions ou entreprises nationalisées. Aujourd’hui, le monde du travail paie la facture.
La libéralisation du secteur de l’énergie à l’échelle européenne et les privatisations n’ont abouti qu’à la dégradation du droit à l’énergie. Cela coûte cher à la Nation. Depuis la transformation d'EDF en Société anonyme en 2004, 64 milliards d'euros de dividendes ont été versés par EDF et Engie.
Les décisions d'augmentation du Tarif Régulé de Vente de l'électricité (TRV) résultent directement de la politique d'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence et de la loi NOME (Nouvelle Organisation du Marché de l'Electricité) de 2010, organisant ce marché en mettant à disposition des "fournisseurs alternatifs" un quart de la production nucléaire d'EDF par l'ARENH (Accès Régulé à l'Electricité Nucléaire Historique). Les décisions d'augmentation du Tarif Régulé de Vente, comme celle de 10% ne visent qu’à entretenir artificiellement la rentabilité et la survie des "fournisseurs alternatifs".
Le premier ministre Castex se dit aujourd'hui déçu par le marché: une clause de style pour éviter d'endosser la responsabilité politique de la situation! Mais quelles sont ces lois du marché ?
Les lois du marché – aussi sophistiquées soient les modèles mathématiques qui décrivent leurs fonctionnements – sont d’une simplicité biblique : plus les prix baissent, plus la demande augmente mais plus les prix baissent plus l’offre diminue et plus l’offre diminue plus les prix grimpent.
Ce schéma de base ne fonctionne pas avec une telle flexibilité pour tous les biens. En effet, si un bien est nécessaire, comme le gaz ou l’électricité, une augmentation des prix de fourniture aura un effet faiblement déprimant sur la demande parce que les consommateurs ont besoin de se chauffer en hiver et de lumière à la nuit tombée.
C’est pourquoi, certains biens de première nécessité ont longtemps été sortis hors du marché en procédant, par exemple, à la nationalisation quasi-totale du secteur énergétique à la libération avant que le rapport de force ne permette au Capital d’investir aussi ces champs d’activités, notamment en téléguidant et organisant la destruction des services publics par les États à coup de directives européennes qu'ils écrivent et appliquent conjointement.
Pendant que le ministre des finances français fustige les manipulations de marché des Russes qui n’auraient pas livré le gaz dans le but de faire grimper les prix, le patron de Total explique tranquillement que le marché fonctionne correctement. Le Ministre développe une théorie du complot assez cocasse car même si cela était, pourquoi les Russes n’y avaient-ils pas pensé plus tôt ?
Tout à l’affolement, il demande une réunion européenne d’urgence car il estime, contrairement au patron de Total, que le modèle de marché unique européen de l’énergie (en fait gaz et électricité) est obsolète. Mais n’importe qui un tant soit peu au fait des spécificités de la chaîne de fourniture du gaz et de l’électricité, avait déjà compris que les anciens modes de fonctionnement étaient plus fiables pour assurer la pérennité et l’efficacité de ces chaînes.
Gaz et électricité : comment cela marche ?
En une vingtaine d’années, la transformation du fonctionnement du secteur gaz et électricité a été totale sans que les principaux intéressés, la grande masse des consommateurs, n’en aient une claire conscience et n'ait été consultée.
Pour le gaz, avant l'ouverture du marché de l'énergie et la privatisation de GdF, il existait un monopole d’importation (GdF) qui négociait avec des producteurs (néerlandais, russes, norvégiens, algériens) les quantités et les prix. Sa puissance de négociation était forte car proportionnelle aux quantités demandées. Ce système n’était pas propre à la France en Europe. Comme les contrats bilatéraux couvraient la totalité des besoins et comme le gaz est stockable, il n’était pas nécessaire d’organiser un marché. Ces contrats étaient signés pour 20 à 30 ans avec des formules d’indexation sur les produits concurrents du gaz, c’est-à-dire les fiouls.
La libéralisation a conduit GdF à rétrocéder une partie des contrats long terme à des concurrents, les acteurs gaziers à recourir à des appels sur des marchés du gaz qui se sont organisés (aux Pays-Bas notamment).
Aujourd’hui, le prix du gaz dépend presque exclusivement des équilibres offre et demande de gaz. Le nouveau système actuel introduit donc un risque sur le prix du gaz (voir l’actualité) en sus d’un risque sur les quantités alors que dans l’ancien système, seul un incident majeur de nature technique ou politique (l’Ukraine avait par exemple capté du gaz destiné à d’autres acheteurs dans les années 2000) pouvait interrompre l’approvisionnement, le risque prix étant couvert par des contrats long terme.
Par suite, qui dit introduction de risque prix, induit que des gains exceptionnels sont aussi réalisables. Ces gains seront réalisés par les producteurs gaz mais aussi par les intermédiaires de marché.
Pour l’électricité : le schéma pour l’électricité est différent puisque elle est produite localement, d’une part, et que d’autre part, l’électricité n’est pas stockable. A tout moment, la production doit être égale à la consommation. Pour l’électricité – et c’est d’une importance majeure – ce qui fait le prix, ce n’est pas des arbitrages offre/demande, puisque la demande varie peu par rapport au prix (l’électricité est un bien indispensable), mais ce qu’on appelle la "courbe d’offre".
Prenons un exemple : imaginons que la demande de la journée soit de 10 milliards de kWh (10 TWh). Les producteurs offrent 12 TWh mais chacun à un prix différent qui reflète leurs coûts marges comprises. Le « prix de marché » sera le prix le plus élevé des kWh retenus. Pour cette raison, alors que la France produit très peu d’électricité à partir de combustibles, par le biais du marché européen, elle se voit imposer un prix qui correspond à celui d’une production au gaz en Allemagne (ou au charbon en Pologne). Il était donc prévisible que le mélange dans un seul marché de systèmes électriques dissemblables allait créer des perturbations. La France, qui possède le système de production parmi les moins dispendieux car l’électricité d’origine nucléaire défie toute concurrence (sauf celle des éoliennes… mais subventionnées), n’avait aucun intérêt à ce marché. Les autres, davantage, car sans le nucléaire français, les prix de marché seraient encore plus élevés (car à défaut de nucléaire, il faudrait démarrer les plus anciennes centrales charbon voire fuel, plus chères et plus émettrices de CO2)
Dans le cadre du monopole national d’EDF, les prix de vente reflétaient le coût de fourniture de l’électricité, non pas un coût comptable, mais un coût qui comprenait les développements futurs du parc de production planifiés par EDF.
Du point de vue du Capital, la situation actuelle n’a rien de particulièrement inquiétante. La montée des prix de l’énergie est même une bonne affaire pour les opérateurs. Pour des politiciens en campagne électorale, cette crise n’est pas du plus bel effet mais leurs propositions ressemblent à un cautère sur une jambe de bois. Si Castex affirme vouloir construire un "bouclier" contre les hausses, en réalité, il ne fait que les reporter à plus tard évitant ainsi un trop lourd téléscopage avec l'élection présidentielle et il ne remet pas en cause ni les privatisations ni le marché unique de l'énergie!
Pour le monde du travail, c’est une autre affaire : les factures grimpent et les aides sur le budget d’État, en dernière analyse, en tant que contribuable, en taxes directes ou indirectes, à la fin, c’est bien lui qui paie. La seule revendication ne peut être l’augmentation du chèque énergie mais la disparition du marché du gaz et de l’électricité, d’une création somme toute récente.
Pour en finir avec la spéculation sur ces biens essentiels et vitaux que sont l'électricité et le gaz, il faut mener la bataille pour exiger l'abandon du marché européen du gaz et de l'électricité et dans l'immédiat obtenir par la lutte le blocage des prix, revenir sur les privatisations. Cela implique de retouver une maîtrise complète de la Nation sur les choix stratégiques, y compris du nucléaire, sur le secteur énergétique par la nationalisation totale de toute la filière qui va de la recherche et du développement en passant par la production et la distribution.