N° 823 30/05/2023 Victoire d’Erdogan Ce second tour a vu la victoire de Recep Tayyip Erdogan, le candidat "islamo-conservateur", selon la formule des journalistes français. La participation électorale a été de 84,22 % -87,04 % au premier tour). Erdogan a recueilli 52,16 % (49,5 % au premier tour) et son adversaire Kemal Kiliçdaroglu 47,84 % (44,9 % au premier tour).

Le candidat ultranationaliste Sinan Ogan, qui avait obtenu 5,17 % des voix au premier tour, s’était rallié à Erdogan.
Les media des pays impérialistes de "l’Occident" qui spéculaient avant le premier tour sur la défaite d’Erdogan, dont on peut penser qu’ils la souhaitaient, sont les mêmes aujourd’hui qui qualifie de triomphe sa victoire ; et pourtant, la chose mérite d’être nuancée.

Le système de gouvernement en Turquie
Erdogan et son parti l’AKP dominent la vie politique turque depuis les élections législatives de 2002, après lesquelles il est devenu premier ministre. Par étape, il a transformé le régime parlementaire turc en régime présidentiel, inaugurant l’élection au suffrage universel direct, qu’il a remporté en 2014 (la première) puis en 2018 (élection anticipée, le mandat est de 5 ans) et faisant coïncider, selon la formule inventée par Jospin en France, les élections législatives et les élections présidentielles. Le referendum constitutionnel de 2017, remporté avec 51,41 % des voix, lui a permis d’abroger la fonction de premier ministre : il est donc depuis à la fois chef de l’Etat et du gouvernement.
Pour autant, ces plus de vingt ans de domination politique et de transformation du système de gouvernement sont à regarder de près, car ils traduisent tout de même une usure du pouvoir.

L’effritement de l’AKP et d’Erdogan
Lors de cette troisième édition de l’élection présidentielle au suffrage direct, pour la première fois, Erdogan n’a pas été élu au premier tour. Il avait obtenu 51 % en 2014, contre 38 % à son principal rival le kemaliste Ihsanoglu, qui regroupait alors les deux des anciens partis traditionnels turcs, le CHP (social-démocrate, fondé par Ataturk) et le MHP (parti nationaliste laïc, devenu très sensible à l’islamisme et proche des fascistes Loup Gris) et 9 % au candidat du HDP (social-démocrate, essentiellement composé de Kurdes). En 2018, le MHP, allant au bout de son évolution pro-islamiste, avait changé de camp et soutenait la candidature d’Erdogan, qui recueillit 52,6 % contre 30,64 % au candidat du CHP Ince, et 8,4 % à celui du HDP.
Par ailleurs sa majorité législative s’est aussi effritée. Obtenant 317 députés (sur 600) en 2015, l’AKP en perd 22, passant à 295 en 2018 et perd ainsi la majorité absolue. Le MHP lui apporte le complément avec 49 députés (9 de plus), ce qui porte la coalition baptisée Alliance Populaire à 344 députés. Lors de l’élection de 2023, ce nombre est passé à 268. La coalition, formée désormais de trois partis ne recueille plus que 49,47 % des voix (soit 4,19 % en moins) et 323 députés (21 en moins). Dans cette union, l’AKP ne recueille plus que 35,61 % et 268 députés. A noter que le MHP va poursuivre sa politique de soutien sans participation au futur gouvernement, entamée en 2018. En face, la coalition bâtie autour du CHP, qui est le parti de Kiliçdaroglu, baptisée Alliance de la Nation, recueille 35,61 % (plus 1,07 %) et 212 députés (plus 23) et celle autour de l’YSP, qui a remplacé le HDP, 10,55 % (moins 1,15 %) et 65 députés (moins 2). Donc, la majorité d’Erdogan s’érode et il semble bien que l’union de toutes les gauches ait plus profité au CHP qu’à ses alliés de la présidentielles, verts et pro-kurdes.

Quelles perspectives ?
Si l’on regarde la répartition géographique et sociologique des voix des deux protagonistes, on peut faire le même constat que celui du premier tour. Les couches moyennes et la petite bourgeoisie intellectuelle (hauts cadres notamment) des grandes villes comme Istanbul et Ankara ont voté majoritairement pour Kiliçdaroglu. En revanche, hors Kurdistan, dans les zones rurales et semi rurales, la paysannerie, mais aussi la petite bourgeoisie traditionnelle (commerçants, petits patrons) ont massivement voté pour Erdogan. Pour ce qui est des milieux ouvriers, c’est partagé : les quartiers populaires d’Istanbul ont choisi Erdogan, mais les travailleurs de Diyarbakir (Kurdistan) ou de la côte ionienne, à l’ouest (notamment Izmir) ont suivi Kiliçdaroglu.
Pour autant, la volonté, manifestement portée par une partie non négligeable de la population turque, du « tout sauf Erdogan » (Kilçdaroglu a dragué les électeurs nationalistes d’Ogan entre les deux tours, en faisant une campagne marquée par une surenchère nationaliste.) a donc échoué. C’est que les différences entre les deux candidats, comme c’est de plus en plus le cas dans les démocraties capitalistes entre la gauche et la droite, sont exagérées artificiellement et que, pour tout dire, ni Kiliçdaroglu, ni ses soutiens du Kurdistan ne veulent renverser le capitalisme.
Voici des extraits de ce qu’en disait le Parti Communiste Turc (TKP) à la veille du second tour. Dans un premier temps, ils rappellent leur position et ce qu’elle signifie : « Le 28 mai, comme nous l'avons fait il y a deux semaines, nous voterons pour que Kemal Kılıçdaroğlu rejette le projet de l’AKP incarné par Erdoğan. Ce vote ne signifie pas un choix entre deux candidats qui rivalisent d'américanisme, de sectarisme et d'hostilité envers les immigrés, ni l’acceptation de l’une des deux coalitions. Ni l’Alliance Populaire, ni l'Alliance de la Nation. Le Parti communiste de Turquie a appelé à voter pour le départ d'Erdogan lors des élections présidentielles, car il ne voulait pas que les réactions et les luttes de longue date contre le gouvernement AKP et plus particulièrement contre Erdogan, soient désormais teintée d'un pessimisme profond et généralisé. Erdogan doit partir. Cet objectif peut être atteint ou non. Nous ferons notre part, utiliserons notre vote contre Erdoğan et protégerons les urnes. »
Ensuite, ils rappellent leur détermination et leur rôle, quel que soit l’élu : « Nous agirons sans perdre un seul jour pour créer une option politique pour les travailleurs contre le parlement le plus à droite et le plus sombre de l'histoire de la Turquie, pour résister aux tentatives de faire payer les travailleurs, et hisser le drapeau de l'indépendance-laïcité-socialisme, et nous combattrons le pessimisme chez nos concitoyens. Ne laissons personne être trompé par ces élections, au cours desquelles notre peuple ne peut pas élever la voix contre les sales marchés sans scrupules et les mensonges désespérés. On verra dans peu de temps que la Turquie ne cédera pas à cette disgrâce. La lumière vaincra sûrement les ténèbres. Le Parti Communiste de Turquie vous invite dans ses rangs pour la lutte pour la laïcité, l'indépendance et le socialisme. »

Seule la lutte pour la construction du socialisme comptera et permettra de rejeter les politiques au service du Grand Capital, qu’elles émanent d’Erdogan ou de Kiliçdaroglu, ou en France de Macron, des LR ou du RN ou de la NUPES. Le Parti Révolutionnaire Communistes soutient et soutiendra toutes les batailles luttes pour faire reculer les capitalistes, pour édifier le socialisme partout dans le monde.

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