N° 872 07/05/2024 Un étrange engouement s’est fait jour autour des BRICS, considérés comme un front de résistance contre l’impérialisme occidental. Pour élargir ce concept, dont l’acronyme initial a été popularisé initialement par Goldman-Sachs, les BRICS ont été plus ou moins intronisés leaders du Sud Global. Il convient de reprendre ses esprits : en aucun cas, une réunion des BRICS, élargie à d’autres puissances dudit Sud Global, ne s’inscrit dans le mouvement historique des pays non alignés, marqué par la conférence de Bandung[1].
Le schéma d’opposition frontale entre BRICS et Occident (Japon compris) ne rend pas compte de la complexité des relations internationales : si d’évidence, la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis est le trait majeur de la scène internationale, en revanche, l’Afrique du Sud, l’Inde et le Brésil ne s’inscrivent pas dans stratégie de confrontation ouverte avec l’Occident. Par ailleurs, l’Inde et la Chine entretiennent de vieux contentieux. La Russie est un cas particulier et pour le sujet qui nous intéresse ici, retenons que le pouvoir russe reçoit des autres membres du groupe un soutien discret mais réel ou de la bienveillance ou encore une stricte neutralité dans le conflit ouvert en cours avec l’OTAN.
Pour dire les choses clairement : même s’il existe quelques oppositions de forme, les BRICS ne portent pas de modèle alternatif à celui développé sous l’emprise de l’impérium états-unien. Par exemple, les BRICS ont lancé une réflexion au sujet de la dédollarisation des échanges internationaux et créait en 2014 la Nouvelle Banque de Développement destinée à financer des projets d’infrastructure avec une préoccupation environnementale, une sorte de rivale de la Banque Mondiale. Pour autant, les prêts sont majoritairement libellés… en dollars américains. Et la NDB, elle-même, effectue les trois quarts de ses emprunts en dollars américain[2].
Cette institution à ambition mondiale n’a reçu que 3 demandes d’adhésion en 8 ans d’existence. A titre de comparaison, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, dirigée par la Chine, compte une centaine de pays membres dont des principaux pays membres de l’Union Européenne[3] . Les Etats-Unis ont refusé de rejoindre cette banque, qui se pose en rivale des institutions financières internationales sous leur Tutelle (Banque Mondiale, Banque asiatique de Développement).
En clair, il y a le discours qui donne le change au sujet de la lutte contre « l’impérialisme financier » des Etats-Unis, concrétisé par un fort pouvoir de sanction, et la réalité beaucoup moins convaincante en termes d’alternative. Et la solidarité des BRICS est aussi sujette à caution : quelle crédibilité accordée à leur prétention à ouvrir une autre voie, quand l’Afrique du Sud doit se tourner vers le FMI pour équilibrer sa balance des paiements, faute d’une réelle solidarité, à commencer financière – et c’est le moins si le projet est de faire pièce au dollars américain – entre BRICS ?
Il est bien difficile de déceler dans les déclarations des BRICS clôturant leur sommet de 2023 un début de critique de l’organisation économique mondiale actuelle. Et tout au contraire, s’y trouvent des rappels aux règles du commerce mondial sous l’égide de l’OMC, assez peu soucieuse des échanges inéquitables, des appels à traiter la dette insupportable des pays pauvres sans en questionner l’origine. Ils promeuvent les partenariats publics/privés, s’insurgent contre le protectionnisme sous couvert de développement durable. [4]
L’impertinence consiste à adhérer à « un dispositif mondial de sécurité financière solide, au centre duquel se trouve un Fonds Monétaire International (FMI). » Un FMI donc, plutôt que le FMI car de fait, les BRICS réclament une révision des quotas de part dans l’institution et par suite des droits de vote supérieur pour les pays émergents donc des BRICS, bien sûr dans le but louable d’une meilleure défense des pays les plus pauvres.
Les déclarations des BRICS laissent souvent à penser qu’ils sont les défenseurs des pays en développement, maltraités par les instances financières internationales et les pays développés. Les pays en développement sont effectivement sous la coupe des institutions financières internationales et en mot, victimes des menées de l’impérialisme occidental.
Mais l’aménagement du système capitalisme mondial pour donner plus de place aux BRICS dans les prises de décision n’est pas gage d’un meilleur sort pour ces pays. Par exemple, il est difficile de comprendre en quoi une régulation des productions agricoles par les marchés (point 9 de déclaration finale de 2023) pourrait mettre un terme aux problèmes de malnutrition et de famines.
Les BRICS sont des pays capitalistes même si la Chine présente des caractéristiques particulières d’un capitalisme d’Etat et de parti (qui forme l’essentiel des dirigeants économiques) coexistant avec un secteur privé. Leur ambition est de peser davantage dans les affaires du monde capitaliste et non d’en changer fondamentalement les règles.
[1] Conférence de Bandung : https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1955_num_1_1_3260
[2] Eric Toussaint : https://www.cadtm.org/Les-BRICS-et-leur-Nouvelle-banque-de-developpement-offrent-ils-des-alternatives
[3] 75% sont réservés aux Etats asiatiques, 25% pour les autres