N° 816 11/04/2023 Lula en Chine
Décidément les voyages diplomatiques s'enchaînent à Pékin, le dernier en date, les 13 et 14 avril, est celui du Président du Brésil, Lula.
Rappelons que le Brésil fait partie des BRICS(1) . Ces cinq pays liés par des accords de coopération, contestent la domination états-uniennes et tentent de constituer un ensemble cohérent dans un monde capitaliste qu'ils veulent multi-polaire et dont ils représenteraient la force montante face au déclin relatif des États-Unis.
Il faut évidemment y voir un symbole fort, Lula a prononcé son premier discours en Chine lors de la cérémonie d’investiture de Dilma Rousseff(2) à la tête de la Nouvelle Banque de développement (NBD), la banque des BRICS qui se veut un outil pour concurrencer la domination du dollar dans les échanges commerciaux mondiaux. Dans une relation inégale compte-tenu des poids économiques respectifs de la Chine et du Brésil, ce dernier entend prendre toute sa place, ce d'autant qu'il représente après les États-Unis l'une des plus importante puissance économique du continent américain.
Les accords commerciaux signés lors de la visite de Lula ont été pour la première fois réalisés dans la monnaie chinoise le Yuan. Il s'agit-là, même si les montants restent modestes, d'un signal politique fort exprimant la volonté de se passer du dollar comme unique monnaie d'échange du commerce international. Le pouvoir brésilien s'il milite pour des réformes profondes des instances internationales comme le Fonds Monétaire International et l'Organisation Mondiale du Commerce, qu'il juge trop liés à la stratégie de domination états-uniennes, a quand même prudemment évité de provoquer son puissant voisin en disant souhaiter que les États-Unis investissent au Brésil : " Nous n’avons pas l’intention de nous éloigner d’un quelconque partenaire commercial, en particulier de la qualité des États-Unis. Nous faisons un effort de rapprochement, nous voulons des investissements des États-Unis au Brésil".
Par rapport à la guerre en Ukraine, rappelons que Le Brésil a condamné à l'ONU l'invasion de l'Ukraine, mais s'est opposé aux sanctions contre Moscou, Lula a soutenu l'idée d'une initiative commune de pays non directement engagés dans le conflit afin de poser les bases d'un dialogue conduisant à la paix. Il a d'ailleurs réitéré cette proposition lors de sa visite aux Émirats Arabes Unis, parlant alors d'un club de la paix et fustigeant les États-Unis et leurs alliés comme entretenant la guerre par des livraisons d'armes à l'Ukraine : "Le président Poutine ne prend aucune initiative pour arrêter la guerre. Le président d’Ukraine ne prend aucune initiative pour arrêter la guerre", a déclaré Lula. Quant à l’Europe et aux États-Unis, " ils contribuent à la poursuite de la guerre, alors qu’ils devraient s’asseoir autour de la table et dire : ça suffit.". Ces déclarations si elles ont reçu un accueil plutôt favorable du côté russe, opinion qu'a réitéré S. Lavrov en visite diplomatique au Brésil, elles ont été froidement accueillies du côté ukrainien et états-uniens.
Cette visite du Président brésilien en Chine met en lumière l'évolution des rapports de forces au sein du système impérialiste. Le relatif déclin de la domination des États-Unis, s'accompagne de la constitution d'un pôle centré sur la Chine et qui entend tailler sa place dans l'ordre capitaliste mondial. Ce processus n'est évidemment pas simple car les intérêts des différentes puissances qui entendent contester l'ordre actuel ne sont pas spontanément alignés et de surcroît, cet ordre multi-polaire qui prend naissance et se développe dans un affrontement exacerbé des puissances capitalistes pour le contrôle des ressources naturelles, des voies de communications et de la force de travail, rentre en conflit avec une internationalisation de plus en plus marquée des forces productives. Il en résulte des affrontements de plus en plus violents allant de la guerre commerciale à la guerre tout court, le tout accompagné d'une politique de surarmement et de préparations militaires intenses. Montrer que le capitalisme génère ces affrontements est une absolue nécessité, comme il en est une de le combattre en ouvrant la perspective de sociétés sans exploitation de l'homme par l'homme, des sociétés de coopérations des producteurs et de leurs nations, ce que nous nommons le socialisme.
(1)BRICS: Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, ces pays coopèrent au plan économique et politique. Ils représentent en 2023 31,5% du PIB mondial
(2)https://fr.wikipedia.org/wiki/Dilma_Rousseff
Dossier international: le nouveau concept de politique étrangère de la Fédération de Russie
Un décret du 31 mars 2023 du Président de la Fédération de Russie décrit son nouveau concept de politique étrangère(3) .le concept est présenté comme :" un document de planification stratégique qui fournit une vision systémique des intérêts nationaux de la Fédération de Russie dans le domaine de la politique étrangère, des principes de base, des objectifs stratégiques, des objectifs majeurs et des domaines prioritaires de la politique étrangère russe."
Dès le chapitre I qui développe les dispositions générales, le document s'appuie sur l'histoire millénaire de la Russie: " Plus de mille ans d’indépendance, l’héritage culturel de l’ère précédente, les liens historiques profonds avec la culture européenne traditionnelle et les autres cultures eurasiennes, ainsi que la capacité à assurer la coexistence harmonieuse de différents peuples, groupes ethniques, religieux et linguistiques sur un territoire commun, qui s’est développée au cours de nombreux siècles, déterminent la position particulière de la Russie en tant que pays-civilisation unique et vaste puissance eurasienne et euro-pacifique qui rassemble le peuple russe et d’autres peuples appartenant à la communauté culturelle et civilisationnelle du monde russe." Ce raccourci historique, s'il idéalise une histoire qui fut marquée par une expansion coloniale territoriale à l'époque tsariste, tient à souligner le caractère à la fois occidental et asiatique de ses attaches. L'équilibre entre ses deux attaches a toujours fait l'objet de débat vigoureux en Russie. La suite du document montre que le penchant actuel est clairement eurasien. Tout en soulignant le fait que la Russie possède des ressources importantes, le texte rappelle sa place comme puissance nucléaire majeure et son rôle dans les relations internationales comme membre du conseil de sécurité de l'ONU. Le document affiche alors l'objectif stratégique de la Fédération de Russie celui de la construction d'un monde multipolaire : " la Russie est l’un des centres souverains du développement mondial qui remplit une mission historiquement unique visant à maintenir l’équilibre mondial des pouvoirs et à construire un système international multipolaire, ainsi qu’à garantir les conditions d’un développement pacifique et progressif de l’humanité sur la base d’un programme unificateur et constructif."
Dans le chapitre II qui traite du monde d’aujourd’hui : grandes tendances et perspectives d’évolution, le document s'emploie à montrer le caractère inédit des changements en cours : " La formation d’un ordre mondial multipolaire plus équitable est en cours. Le modèle déséquilibré de développement mondial qui, pendant des siècles, a assuré la croissance économique avancée des puissances coloniales par l’appropriation des ressources des territoires et des États dépendants d’Asie, d’Afrique et d’Occident, est irrémédiablement en train de disparaître. La souveraineté et les possibilités concurrentielles des puissances mondiales non occidentales et des pays leaders régionaux sont renforcées. La transformation structurelle de l’économie mondiale, son passage à une nouvelle base technologique, ... la croissance de la conscience nationale, la diversité culturelle et civilisationnelle et d’autres facteurs objectifs accélèrent le processus de déplacement du potentiel de développement vers de nouveaux centres de croissance économique et d’influence géopolitique et promeuvent la démocratisation des relations internationales." Se dessine ici les contours de ce nouveau pôle, constitué des puissances non occidentales en formation, appelé à concurrencer l'ancien.
La suite confirme cette approche sur la nature des deux grands pôles en formation et delà résistance de l'ancien à accepter cette nouvelle donne internationale :" Les changements qui s’opèrent actuellement ... ne sont cependant pas bien accueillis par un certain nombre d’États habitués à la logique de la domination mondiale et du néocolonialisme. Ces pays refusent de reconnaître les réalités d’un monde multipolaire." Le document souligne que cela entraîne de leur part la volonté de freiner le cours de l'histoire :" Un large éventail d’instruments et de méthodes illégales est utilisé, notamment l’introduction de mesures coercitives (sanctions) en contournant le Conseil de sécurité des Nations-Unies, la provocation de coups d’État et de conflits militaires, les menaces, le chantage, la manipulation de la conscience de certains groupes sociaux et de nations entières, les actions offensives et subversives dans l’espace de l’information. Une forme très répandue d’ingérence dans les affaires intérieures des États souverains est devenue l’imposition d’attitudes idéologiques néolibérales destructrices qui vont à l’encontre des valeurs spirituelles et morales traditionnelles. En conséquence, l’effet destructeur s’étend à toutes les sphères des relations internationales."
En prenant en compte ses considérations le document pointe la responsabilité des États qui aggravent la crise de mondialisation, la crise énergétique et : " Considérant le renforcement de la Russie comme l’un des principaux centres de développement du monde moderne et sa politique étrangère indépendante comme une menace pour l’hégémonie occidentale, les États-Unis d’Amérique (USA) et leurs satellites ont utilisé les mesures prises par la Fédération de Russie en ce qui concerne l’Ukraine pour protéger leurs intérêts vitaux comme prétexte pour aggraver la politique anti-russe de longue date et ont déclenché un nouveau type de guerre hybride. Elle vise à affaiblir la Russie par tous les moyens possibles, notamment en sapant son rôle civilisationnel constructif, sa puissance, ses capacités économiques et technologiques, en limitant sa souveraineté en matière de politique étrangère et intérieure et en violant son intégrité territoriale. Cette politique occidentale est devenue globale et est désormais inscrite dans la doctrine. Ce n’est pas le choix de la Fédération de Russie. La Russie ne se considère pas comme un ennemi de l’Occident, elle ne s’isole pas de l’Occident et n’a pas d’intentions hostiles à son égard".
Dans le chapitre III: Intérêts nationaux de la Fédération de Russie dans le domaine de la politique étrangère, objectifs stratégiques et tâches essentielles fixés par la politique étrangère de la Fédération de Russie, le document insiste sur la nécessaire préservation de l'État russe face aux menaces extérieures et le soutien aux pays amis situés dans son aire d'influence.
Le chapitre IV consacré aux Priorités de la Fédération de Russie en matière de politique étrangère s'emploie à définir les conditions de la mise en place d’un ordre mondial équitable et durable : "La Russie s’efforce de mettre en place un système de relations internationales qui garantisse une sécurité fiable, la préservation de son identité culturelle et civilisationnelle et l’égalité des chances de développement pour tous les États, indépendamment de leur situation géographique, de la taille de leur territoire, de leur démographie, de leurs ressources et de leur capacité militaire, ou de leur structure politique, économique et sociale. Pour répondre à ces critères, le système de relations internationales doit être multipolaire..." . La Russie entend : "renforcer la capacité et le rôle international de l’association interétatique des BRICS, de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), de la Communauté des États indépendants (CEI), de l’Union économique eurasienne (UEE), de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), de l’ICR (Russie, Inde, Chine) et d’autres associations interétatiques et organisations internationales, ainsi que des mécanismes à forte participation russe." Cette thématique est déclinée sous tous ses aspects, économiques, sociaux politiques et militaires. L'insistance à la coopération dans le cadre d'un monde multipolaire centré sur l'Eurasie est encore soulignée par la volonté de promouvoir:"...les processus d’intégration économique régionale et interrégionale qui servent les intérêts de la Russie, tout d’abord au sein de l’État de l’Union, de l’EAEU (Union économique eurasienne), de la CEI, de l’OCS et des BRICS, ainsi que dans la perspective de l’élaboration du Grand partenariat eurasien".
Le chapitre V développe les volets régionaux de la politique de la Fédération de Russie. Il s'agit en premier lieu de ce que la Russie nomme l'étranger proche, cet étranger proche recouvre les limites de l'ancienne URSS :" Le plus important pour la sécurité, la stabilité, l’intégrité territoriale et le développement social et économique de la Russie, renforçant sa position en tant que l’un des centres souverains influents du développement et de la civilisation mondiale, est d’assurer des relations de bon voisinage durables à long terme et de combiner les forces dans divers domaines avec les États membres de la CEI, qui sont liés à la Russie par des traditions séculaires d’État commun, d’interdépendance profonde dans divers domaines, d’une langue commune et de cultures proches. Afin de poursuivre la transformation de l’étranger proche en une zone de paix, de bon voisinage, de développement durable et de prospérité". Le texte décline ensuite l'ensemble du monde sans oublier les territoires Artique et Antartique. La partie consacrée à l'Eurasie et ll'Asie-Pacifique est particulièrement développée et souligne l'orientation stratégique de la construction d'un monde multipolaire centré sur l'alliance entre la Chine et la Russie: " Il est particulièrement important d’approfondir les liens et de renforcer la coordination avec les centres de pouvoir et de développement mondiaux souverains et amis, situés sur le continent eurasien et engagés dans des approches qui coïncident en principe avec les approches russes d’un ordre mondial futur et de solutions aux problèmes clés de la politique mondiale, pour atteindre les buts stratégiques et les principaux objectifs de la politique étrangère de la Fédération de Russie." Le document s'emploie à tracer les contours de cette coopération-intégration eurasienne :" l’établissement du vaste contour d’intégration du Grand Partenariat Eurasien en combinant le potentiel de tous les États, organisations régionales et associations eurasiennes, basé sur l’UEE, l’OCS et l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) ainsi que la conjonction des plans de développement de l’UEE et de l’initiative chinoise « One Belt One Road » tout en préservant la possibilité pour tous les États intéressés et les associations multilatérales du continent eurasien de participer à ce partenariat et – en conséquence – l’établissement d’un réseau d’organisations partenaires en Eurasie".
Les états européens sont considérés comme hostiles à la Russie tandis que les États-unis et le monde anglo-saxon sont appréciés comme le centre dirigeant d'un occident collectif : "L’attitude de la Russie à l’égard des États-Unis a un caractère combiné, compte tenu du rôle de cet État en tant que l’un des centres souverains influents du développement mondial et en même temps le principal inspirateur, organisateur et exécutant de la politique anti-russe agressive de l’Occident collectif, source de risques majeurs pour la sécurité de la Fédération de Russie, la paix internationale, un développement équilibré, équitable et progressif de l’humanité."
Le chapitre VI s'appuyant sur l'ensemble des analyses contenues dans le document et des considérations stratégiques qu'il contient s'emploie à résumer formation et la mise en œuvre de la politique étrangère de la Fédération de Russie.
Au bilan ce nouveau concept stratégique a pour fonction principale de définir les principes de la politique russe dans le contexte d'un système impérialiste du capitalisme mondialisé où la domination hégémonique d'un des acteurs, les États-Unis est remise en cause par l'émergence de nouveaux centres capitalistes puissants qui le concurrencent. Le choix de la Russie de s'arrimer à la Chine dans le contexte d'affrontements au sein de l'impérialisme est donc ici théorisé et les conséquences pratiques de ce choix sont clairement exprimées.
(3) texte officiel en russe http://kremlin.ru/events/president/news/70811 version en anglais https://www.mid.ru/en/foreign_policy/fundamental_documents/1860586/