Gantry 5

 

N° 810  01/03/2023  Le sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine. Israël a été prié de prendre la porte du sommet !

 Le sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine. 

La zone de libre-échange

Le Sommet de l’Union africaine (UA) s’est tenu, les 18 et 19 février derniers, à Addis-Abeba. Les dirigeants africains étaient appelés, à l’occasion de ce sommet, à discuter principalement de L’accélération de la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). L’idée est que les pays de l’UA « conjuguent leurs efforts pour concrétiser ce vieux rêve de l’intégration économique du continent ».

Les dirigeants africains regrettent que le volume des échanges intra-africains n’excède pas 15% des échanges globaux du continent et veulent s’attaquer à ce problème. Mais, pour ce faire, ils établissent une zone de libre-échange, un marché commun comme aux débuts de l’Union Européenne. Il s’agit donc de créer une zone dédiée à la promotion de l’intégration économique dans ses volets liés à la libre circulation des personnes et des marchandises.

Cet état des lieux, auquel il est compréhensible de vouloir remédier, s’explique par des facteurs historiques, politiques, économiques, l’inégalité du niveau de développement des pays africains, les convoitises dont le continent, théâtre de rivalités des grandes puissances impérialistes, est l’objet, l’absence de volonté politique de la part de certains dirigeants et des bourgeoisies compradores pour s’émanciper des influences extérieures, donc, en résumé par la place de grenier à matières premières et de main d’œuvre à bon marché que l’Afrique occupe dans l’organisation actuelle du capitalisme mondial au stade impérialiste.

Aujourd’hui, un certain nombre de dirigeants africains ont cessé de penser que le salut du continent ne pouvait venir que d’autres horizons. Et ceci, indépendamment de la conception qu’ils peuvent avoir de ce salut (celui de leurs capitalistes ou celui de leur peuple). Ceci explique à la fois la volonté de paix, sur laquelle nous reviendrons et la mise en place d’une zone de libre-échange.
Il est certain que l’Afrique est un continent plein de potentialités, autant humaines, avec une population majoritairement jeune et de plus en plus formée, qu’en richesses naturelles.
Pour autant, le but serait seulement que l’Afrique devienne : « une puissance économique, une voix diplomatique qui compte dans les relations internationales ».
Une Zone de libre-échange peut-elle régler les difficultés économiques et sociales dans lesquelles vivent nombre d’Africains ? Ce sont les Bourgeoisies des pays les plus engagés dans le processus capitaliste qui tireront les marrons du feu de la « libre circulation des hommes et des marchandises », aux dépens des travailleurs surtout des pays les plus pauvres et les moins industrialisés.
La Zone de libre-échange est aussi un moyen de ne surtout se poser la question de sortir du capitalisme. Qu’en auraient pensé les Lumumba, N’Krumah, Cabral, Sankara, Nasser ou Boumediene et autres ? Certainement pas du bien. Prenons le cas du Niger, un des pays les plus pauvres d’Afrique, bien que son sol soit riche en minerais et notamment en uranium. Qu’est-ce qui permettrait d’améliorer le sort des travailleurs et de la population du Niger ? Nationaliser ce sol, comme l’avaient fait Boumediene et les dirigeants algériens en 1971 avec les hydrocarbures ? Ou une Zone de libre-échange permettant à ces mêmes travailleurs pauvres d’aller gagner une misère dans des pays mieux lotis ?
Pour promouvoir cette fausse espérance, les dirigeants africains essaient de surfer sur une augmentation importante de l’idéologie panafricaine chez les jeunes et les moins jeunes dans certains pays. Mais, si l’on regarde ce qu’en disent ceux du Mali ou du Burkina Faso, manifestement, ce n’est pas d’une zone de libre-échange qu’ils rêvent.
Tous les États de l’Union Africaine ont signé pour cette ZLECAf, sauf l’Erythrée ; mais des pays comme le Mali ou le Burkina, ou encore la Guinée, ont renversé le pouvoir en place, pas certain qu’ils soient toujours partants.

Vers la Paix en Afrique ? Quelle paix ?
Le second chantier de ce sommet est d’avancer vers la paix, de résoudre les conflits inter africains et de « faire taire les armes » à l’horizon 2030. L’idée majoritaire chez les dirigeants africains est que l’Afrique doit faire son examen de conscience, faire la paix, pour elle-même, entre les enfants d’un même peuple entraînés dans des guerres civiles, ethniques ou religieuses d’un autre âge, alimentées de l’extérieur, ou entre des pays voisins, avec leurs cortèges de victimes, de destructions et de déplacement de populations. Pour autant, malgré les déclarations, il n’est pas certain qu’une majorité de dirigeants africains veuille se diriger vers la rupture avec les puissances impérialistes néocoloniales.

C’est d’abord en Libye que va pouvoir s’observer la capacité de l’UA à régler les conflits. Une commission, présidée par Denis Sassou Nguesso, président de la République du Congo, qui fut socialiste du temps de l’URSS et pro-français plus tard, a réuni à Tripoli les différentes parties et est en train de travailler avec eux sur la date et le lieu d’une conférence nationale sur la Libye, afin de sortir le pays du marasme.
Avant l’intervention en Libye des puissances impérialistes (France, Royaume Uni et USA) en 2011, qui a achevé de décrédibiliser l’ONU, et le renversement du régime de Mouammar Khadafi, ce pays était l’un des plus développé d’Afrique : pas de chômage, accueil de travailleurs venant des pays d’Afrique noire qui trouvaient un bon travail bien payé, condition des femmes probablement la meilleure de toute l’Afrique. Depuis, tout cela a été balayé, les multinationales ont repris la main sur le pétrole, les travailleurs africains subsahariens ont été massacrés ou vendus comme esclaves, les femmes remises au pas et des milices, des mercenaires, plusieurs seigneurs de la guerre se partagent le pays et se font la guerre. Il y a deux gouvernements, un à Tripoli, reconnu par l’ONU, qui contrôle l’ouest du pays, un autre à Syrte, qui contrôle presque tout le sud, enfin, un troisième larron, le "maréchal" Haftar, contrôle une partie du sud et tout l’est du pays. Tous ces gens sont les obligés des intérêts des puissances impérialistes.
Or réconcilier des ennemis dont le seul but est de se tailler une plus grosse part du gâteau, pour le plus grand bonheur des multinationales va s’avérer compliqué. Un double scrutin présidentiel et législatif, initialement prévu en décembre 2021 pour stabiliser le pays, a été reporté sine die, en raison de divergences entre les seigneurs de la guerre et pour empêcher les candidatures de partisans du colonel Khadafi.
Le succès de la médiation de l’UA est d’autant plus improbable que si la commission, et le sommet avec, réclame le départ des mercenaires, elle ne réclame pas celui des multinationales, qui sont le véritable problème, pas plus qu’elle ne s’exprime sur les raisons qui ont conduit la Libye dans cette triste situation, ni ne condamne les puissances impérialistes. Elle peut, au mieux, faire que les larrons s’entendent, mais cela ne changera rien pour la population libyenne.

Au-delà de la seule Libye, les conflits armés perdurent en Afrique. Sur le plan institutionnel, l’Union africaine s’est dotée de mécanismes de prévention et de règlement pacifique des conflits internes ou intra-africain. Il n’empêche, le langage des armes persiste. Pour le journal algérien "EL Watan" : « Les engagements pris solennellement par l’UA dans la voie de la pacification du continent en proie à des guerres fratricides dans certains pays, à l’instar du Mali, du Burkina Faso, de la Libye, de la République démocratique du Congo…, peinent à mettre les belligérants en face de leurs responsabilités ». Le secrétaire général de l’Union africaine, Moussa Faki, s’est félicité, hier, lors de son intervention devant le sommet africain, des « progrès enregistrés dans le processus de mise en œuvre de la feuille de route relative au projet de faire taire les armes à l’horizon 2030 ». Un optimisme loin d’être partagé par les populations des pays en conflit, qui vivent encore et toujours au quotidien les affres de la guerre.
La question, encore une fois, est plus complexe que ne le disent "El Watan" et le gouvernement algérien, chaud partisan de ce processus. En quoi les guerres au Mali et au Burkina Faso sont-elles fratricides ? Elles opposent les Maliens et les Burkinabés à des milices fascistes islamistes avec le concours des puissances impérialistes, la France et aussi les USA qui soutiennent une des milices au Mali. Quand-à la Guerre au nord-est de la RD du Congo, elle est alimentée par les gouvernements du Rwanda et probablement de l’Ouganda, véhicules de l’impérialisme US.
On ne fera pas la paix en Afrique sans dégager toutes les puissances impérialistes à commencer par la France et les USA.

La "démocratie"
Cette guerre à la guerre est minée, pas seulement en Libye, par le culte de la « démocratie », telle qu’elle est conçue par les capitalistes. Désormais, pour presque tous les dirigeants, le modèle euro-américain du nord est la panacée, on vote et c’est tout, et on ne renverse pas un pouvoir injuste s’il a été élu.
Là encore, "EL Watan" nous explique bien les choses : « Des régimes arrivés au pouvoir par la force, à la suite d’un putsch militaire, bien que non reconnus et condamnés par les textes fondateurs de l’UA, finissent toujours, avec le temps, par se faire accepter par les instances africaines sur la base de négociations d’une période de transition politique devant conduire à la restitution du pouvoir aux civils et au retour à l’ordre constitutionnel ». Cela signifie que l’ordre constitutionnel est immuable et que toute révolte armée est forcément un putsch militaire. Ce raisonnement est hors de la logique de la lutte des classes. C’est au nom de cette même logique que le sommet a maintenu la suspension de l’UA du Mali, du Burkina Faso, de la Guinée et du Soudan, qui ont connu une prise de pouvoir par les armes.
Ce mélange est vide de sens, entre la situation du Soudan où il s’agit de luttes internes entre possédants et les trois autres pays où des militaires ont pris le pouvoir avec le soutien de la population, pour en finir avec la corruption, chasser la puissance néocoloniale de tutelle et peut-être établir un régime dégagé au moins en partie des mécanismes du capitalisme.
En dénonçant « ce fléau qui menace la stabilité politique du continent », les dirigeants de l’UA mettent de côté trente ans d’histoire de la décolonisation, où des pouvoirs se sont installés à la suite de guerres de libération nationale (Algérie, Angola, Guinée Bissau et Cap Vert, Mozambique, Zimbabwe) ou des révoltes armées avec prises de pouvoir de militaires (Burkina Faso de Sankara, Ghana de N’Krumah puis de Rawlings, Libye de Khadafi, Egypte de Nasser, Ethiopie de Menghistu, etc.). Que ces gens-là aient été assassinés ou renversés, soient morts trop tôt ou aient viré de bord à la chute de l’URSS, il n’en demeure pas moins qu’ils ont contribué à bâtir des États progressistes, à chasser les colonisateurs.

Que dire après ce sommet de l’Union Africaine ?
Pour le Parti Révolutionnaire Communistes, le problème, ce n’est pas en soi la lutte armée ni la participation de militaires, c’est la lutte pour l’émancipation des peuples par tous les moyens, et la fin des oppressions néocoloniales ; fin qui, en Afrique, peut difficilement emprunter d’autres chemins que la prise du pouvoir pour renverser les compradores, comme au Mali et au Burkina Faso. Le combat que mènent les peuples de ces deux pays pour prendre leur destin en main et chasser définitivement la puissance impérialiste française a tout notre soutien.

Le sommet de l’Unité Africaine officialise une certaine normalisation de beaucoup de pays du continent, un oubli total du passé anticolonialiste, progressiste voire socialiste de nombre de pays africains, et n’ouvre guère de perspectives d’émancipation. Mais ce sont les peuples qui font l’Histoire et pas les chefs d’État ou de gouvernement, et en Afrique, un vent de poursuite de la décolonisation et de volonté de se débarrasser des pouvoirs installés depuis des lustres au service de leur propre Bourgeoisie ou des multinationales se lève.

Israël a été prié de prendre la porte du sommet !
L’État colonial d’Israël a tenté un coup au début du sommet. Le précédent sommet, en 2022, avait discuté de la possibilité d’accorder un statut d’observateur, mais avait renoncé à le faire, une majorité de pays se déclarant contre.
Or, le gouvernement israélien a reçu une invitation et a délégué au sommet d’Addis-Abeba une diplomate de haut rang, la directrice adjointe du ministère israélien des Affaires étrangères pour l'Afrique. Cette dernière, au moment de la cérémonie d’ouverture, a été accompagnée vers la sortie par les services de sécurité du sommet.
Israël a, on s’en doute, protesté en qualifiant l’expulsion de grave et en indiquant : « Il est regrettable de voir que l'UA a été prise en otage par un petit nombre de pays extrémistes comme l'Algérie et l'Afrique du Sud, motivés par la haine et contrôlés par l'Iran. ». Effectivement, les représentants algériens se sont vivement opposés à cette présence comme au statut d’observateur que l’Autorité Palestinienne demande à l’Union Africaine de ne pas accorder.
D’autres pays africains, très amis d’Israël, comme le Maroc, sont partisans de ce statut. Toutefois, aucun n’a dit quoi que ce soit pour protester contre l’expulsion.
Pour le Parti Communistes Révolutionnaire, l’État d’apartheid israélien doit être boycotté partout, il n’avait rien à faire au sommet de l’UA.

Imprimer ce résumé