Le 7 février, devant les stagiaires de la 27éme promotion de l’école de guerre, Macron a posé les bases de la stratégie de défense et de dissuasion de la France. Le choix n’est pas fortuit, il renvoie à l’intervention du Général de Gaulle qui : « aux premiers jours de la Vème République, dans un discours resté fameux, ...avait annoncé le 3 novembre 1959, il y a maintenant 60 ans, la création de ce qu’il avait alors appelé la « force de frappe » . Le discours de Macron se veut fondateur d’une stratégie dans son temps.

Si comme le rappelle Macron au début de son intervention : « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », il convient en premier lieu de porter une grande attention à la situation mondiale et à ses évolutions. Il note le dérèglement du monde et le fait que : « les équilibres stratégiques, politiques, économiques, technologiques, énergétiques et militaires, [sont] largement remis en cause » tandis qu’il constate : « [le] délitement accéléré de l’ordre juridique international et des institutions qui organisent les relations pacifiques entre États ». pour lui, ces dérèglements ont pour racine : « La maîtrise des ressources et des flux, qu’ils soient matériels ou immatériels, [qui] constitue le ferment de nouvelles stratégies de puissance ».

Un nouveau partage du monde est à l’œuvre et les affrontements au sein d’un système impérialiste qui domine le monde s’exacerbent. Macron ne dit pas autre chose. Il pointe que l’affrontement majeur se développe entre les USA et la Chine : « Une nouvelle hiérarchie des puissances se dessine, au prix d’une compétition stratégique globale, désinhibée, porteuse pour l’avenir de risques d’incidents et d’escalade militaire non maîtrisée. Plusieurs tendances lourdes, prévisibles, sont à l’œuvre. D’abord, la compétition globale engagée entre les États-Unis et la Chine est aujourd’hui un fait stratégique avéré, qui structure et structurera dorénavant les relations internationales ».

La question stratégique posée est donc celle du poids dont dispose la France, au sein de l’Union Européenne, dans ces affrontements inter-impérialistes. Convient-il de se mettre totalement à la remorque des USA, ou de s’en autonomiser relativement pour jouer un rôle spécifique dans l’Europe du fait de la force de dissuasion nucléaire opérationnelle que possède la France qui fait partie du groupe des cinq puissances nucléaires membres du conseil de sécurité de l’ONU ? La réponse à cette question est loin d’être simple. La France, comme la quasi-totalité des pays européens est membre de l’OTAN. A ce titre elle a participé et participe à des opérations conjointes sur des terrains extérieurs à l’Europe : en Libye, Irak, Afrique, Syrie...Mais pour les USA l’OTAN n’a de valeur que si elle au service exclusif des intérêts des USA, d’où leur insistance à en assurer le leadership et à exiger une augmentation significative des budgets militaires de ses alliés dans le cadre de l’OTAN. D’un point de vue stratégique il est clair aussi que les USA réorientent leur stratégie militaire vers l’Asie. De plus l’Union Européenne ne constitue pas un ensemble homogène du point de vue militaire et diplomatique, en son sein la concurrence entre les monopoles capitalistes et tout aussi féroce qu’avec le reste du monde.

Macron tente donc de monnayer sa place au sein de l’OTAN faisant même miroiter l’espace colonial français dans le Pacifique comme un apport à la stratégie globale des USA : « Puissance riveraine de l’Indo-Pacifique, la France entretient aussi des liens privilégiés avec l’Australie, l’Inde et le Japon pour préserver les souverainetés et la liberté de navigation dans cet espace géographique. Elle fait vivre au quotidien ses coopérations de défense, sa solidarité avec ses partenaires du golfe arabo- persique, méditerranéens ou du sud-est asiatique. Cet axe Indo-Pacifique que nous avons, ces deux dernières années, posé, expliqué, développé, consacre notre géographie, la réalité d’engagements militaires multiples que nous prenons depuis plusieurs années, des exercices inédits que nous conduisons dans la région, mais aussi une lecture du monde qu’il nous faut avoir. Nous sommes aussi une puissance Indo-Pacifique, avec des ressortissants, des bases, des intérêts. »

La question de la sécurité en Europe est tout aussi primordiale. Elle est obligée de prendre en compte la réalité de la puissance militaire de l’impérialisme russe. Elle se traduit à la fois par un alignement relatif sur la politique des USA vis-à-vis de la Russie mais aussi par une tentative de s’en éloigner pour s’ouvrir des marchés. Macron résume les choses ainsi : « Le troisième pilier de notre stratégie, en complément de la maîtrise des armements et des réseaux d’alliances, de partenariats et de relations diplomatiques, c’est l’ensemble des ambitions concrètes que nous voulons donner à la politique de sécurité et de défense de l’Europe ». Cependant, cette ambition se heurte à des intérêts économiques divergents au sein même des forces capitalistes dans l’Union Européenne et si Macron veut « monnayer » la force nucléaire française pour asseoir une relative domination de la France sur le continent européen, il doit faire face à des stratégies différentes des pays européens en direction de la Russie. Du coup, les propositions de la France ont été accueillies avec une certaine prudence par l’Allemagne, sans parler du Royaume-Uni dont la prise de grand large le rapproche encore plus des USA. Tout cela conduit à un renoncement complet d’indépendance qui conduit Macron à souhaiter: « ...que les Européens se réengagent et soient plus crédibles et efficaces dans l’OTAN. Ce rééquilibrage est d’ailleurs souhaité par les États-Unis.»
C’est pourquoi, les Européens doivent aujourd’hui assumer davantage cette Europe de la défense, ce pilier européen au sein de l’OTAN ».

La logique de cette politique conduit Macron à un renforcement de l’arsenal militaire français au sein de l’OTAN, citons le : « C’est pourquoi, afin d’arrêter la lente érosion de nos capacités militaires et de les adapter à ce nouvel environnement stratégique, j’ai décidé qu’un effort budgétaire inédit serait accompli dans le domaine de la défense. C’est un effort majeur et durable, je l’assume pleinement devant la Nation ».
Macron, en représentant des intérêts capitalistes ne néglige pas que la question de la puissance ne se résout pas dans la force de frappe et dans les capacités de projections de forces armées. Il affirme : « Mais la liberté d’action européenne, la défense et la sécurité de l’Europe, ne peuvent reposer sur une approche uniquement militaire. Pour construire l’Europe de demain, nos normes ne peuvent être sous contrôle américain, nos infrastructures, nos ports et aéroports sous capitaux chinois et nos réseaux numériques sous pression russe ». Nous voila donc bien revenu à l’essentiel ; les luttes au sein du système impérialiste pour s’assurer la suprématie technologique, celle de la production et des échanges.

Ce discours nous éclaire sur l’état des concurrences violentes qui sont à l’œuvre au sein de l’impérialisme et qui explique la montée en puissance des politiques de renforcement des arsenaux militaires et éclaire les conflits régionaux mais forcement internationalisés qui se déroule sous nos yeux. Quel rapport avec les mesures et lois anti-sociales que chaque pays capitaliste met en œuvre et qui soulèvent la colère des peuples? La réponse est simple : TOUT. En effet, c’est bien parce que la loi de développement du capitalisme est celle du profit maximum et de l’accumulation du capital que les puissances impérialistes à ce stade de développement sont amenées à une guerre sans merci pour contrôler les ressources matérielles et humaines les exploiter et qu’elles ont besoin d’aller encore plus loin dans la liquidation des conquêtes qui entravent à leurs yeux ces objectifs.

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