E. Macron déclarait le 14 septembre 2020 « Nous avons renforcé nos performances en matière d'innovation : la France 12e à l'indice mondial de l'innovation progresse également au classement de Shanghai car nous avons réorganisé nos acteurs publics, organismes de recherche et universités, dans une logique de campus »

« Nous devons aller plus loin et c'est l'objectif de la loi recherche qui est un investissement historique mais aussi une réorganisation de notre système sur le terrain pour être beaucoup plus attractifs ».
« Nous avons besoin d'innovations de rupture, mais nous ne pouvons pas demander au secteur privé de les porter seul, aucun système au monde ne finance l'innovation de rupture uniquement via le secteur privé »
En deux phrases le chef de l'État a résumé toute la finalité, la logique la cohérence de la Loi de Programmation de la Recherche (LPR).
Il ne s'agit pas comme certains se complaisent à le dire d’une loi structurée par une vision idéologique, qui serait celle de l'ultralibéralisme.
Beaucoup n'ont pas compris le sens de l'adjonction du terme innovation au titre du ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR). Ils s'en tiennent à une critique de la LPR qui se réduit pour l'essentiel à une insuffisance de moyens et au développement de la précarité.
Qu'est ce que l'innovation. Reportons nous à la définition donnée par Wikipédia que l'on ne peut classer décemment comme encyclopédie du marxisme. « Dans le domaine économique, l'innovation se traduit par la conception d'un nouveau produit, service, processus de fabrication ou d'organisation pouvant être directement implémenté dans l'appareil productif et répondant aux besoins du consommateur. Elle se distingue ainsi de l'invention ou de la découverte par le fait qu'elle puisse être immédiatement mise en œuvre par les entreprises dans le but d'obtenir un avantage compétitif ».
Être plus compétitif que ses concurrents c'est accumuler plus de profit que ces derniers. Ce qui est fondamental pour éviter d'être absorbé et de pouvoir absorber les autres. C'est en cela que réside la compétitivité des entreprises, c'est à dire l'innovation. Au terme innovation est souvent ajouté celui de rupture qui est mis en opposition à l'innovation incrémentale. L'innovation doit être suffisamment importante pour constituer un avantage décisif face à la concurrence.
La Recherche & Développement (R&D) est stratégique dans la lutte que se livrent les groupes privés. On peut le voir avec la 5G technologie dans laquelle la Chine a acquis une avance décisive. Les USA essayent de combler leur retard en interdisant sous peine de rétorsion l'utilisation de la technologie chinoise.
La lutte est sans pitié pour être le plus innovant en particulier dans les technologies en pleine évolution.
Le rôle de l'État dans un système capitaliste développé est de se mettre au service des groupes privés. Et en la matière, il s'agit de mettre le système de l'ESR au service de la R&D des groupes privés. Ceci pour deux raisons,

1) les dépenses de recherche sont prises sur le profit donc autant les faire prendre en charge par l'État

2) La recherche est par nature incertaine, et le capital n'aime pas l'incertitude, autant faire assurer cette incertitude par l'État.
Cette soumission de l'ESR à la recherche du profit n'est pas nouvelle. Nous avions eu en 1999 la Loi sur l'innovation de Cl. Allègre, puis en 2006 le Pacte pour la recherche, ensuite la 1er Loi de liberté et de Responsabilité des Universités (LRU) de V. Pécresse, suivie de la 2e LRU de G. Fioraso et maintenant voici la LPR de F Vidal.

La loi sur l'Innovation de 1999 facilitait déjà un rapprochement entre les laboratoires et les entreprises avec notamment la création de start up au sein des laboratoires publics de recherche, la création au sein des organismes et des universités des services d'activités industrielles et commerciales de droit privé (SAIC)
Le Pacte pour la recherche de 2006 a créé l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) et l’ Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), devenu le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) conçus comme outils de pilotage de la recherche.
La création de l'ANR accompagnée de l'effondrement des crédits récurrents a permis au Ministère de piloter les programmes de recherche par dessus les organismes. L'AERES est devenue l'outil de normalisation scientifique par l'introduction de critères quantitatifs copiés sur ceux des entreprises et de la marginalisation des instances scientifiques des organismes.
La Loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités de 2007 a instauré une logique de concurrence entre universités. En faisant miroiter à toutes les universités l’autonomie dans les domaines budgétaire et de gestion de personnels, elle conférait une logique d'entreprise aux universités qui les mettaient de facto en concurrence puisqu'il leur était demandé par cette autonomie de monter dans les classements internationaux notamment celui de Shanghai qui repose uniquement sur la recherche.
La loi Fioraso de 2013 a encore accru cette autonomie en trompe œil des universités.
Depuis, le ministère n'habilite plus les diplômes mais les établissements. Chaque établissement d'enseignement supérieur public et privé devait s'intégrer dans un regroupement territorial dont le chef de file était un établissement d'enseignement supérieur public. Ces regroupements pouvaient prendre la forme de fusion/association d'établissements ou la forme de communautés d’universités et établissements (Comue) qui devaient être liés par contrat au ministère.
En parallèle, le programme investissement d'avenir (PIA) créé en 2010 par le gouvernement visait a faire des universités françaises des concurrentes des universités anglo-saxonnes.
Le premier programme PIA fut suivi de deux autres, un quatrième est en préparation.
Les initiatives d'excellence et de site, Idex, Isite, ont consisté à regrouper sur un site plusieurs établissements d'enseignement supérieur et les laboratoires des organismes sur des thématiques.
La politique de ces pôles est assurée par la Direction de l'Idex et de l'Isite à travers notamment des appels d'offre internes. Aux Idex et Isite d'aller chercher des financements avec les entreprises régionales et les collectivités territoriales.
L'ordonnance du 12 décembre 2018 a permis aux regroupements territoriaux de l'ESR de constituer des établissements expérimentaux qui dérogent aux codes de l'éducation et de la recherche.
Toutes les composantes doivent à terme fusionner pour constituer une entité unique appelée « université de recherche ».
A partir de l'année prochaine les établissements expérimentaux pourront demander le statut de Grand Établissement qui leur permettra de ne plus être géré par les règles de la Fonction publique.
Cette réorganisation permanente de l'ESR est la copie conforme de ce qui se passe dans le monde de l'entreprise privée. Grossir en taille par fusion : absorption pour être plus grand que les concurrents et ainsi capter plus de moyens en étant plus attractifs pour les capitaux.
Le but est de territorialiser l'ESR autour des regroupements d'établissements d'enseignement du supérieur dans lequel les organismes de recherche sont réduits au rôle de pourvoyeurs de personnels afin de les lier aux entreprises de la région soit directement soit par l'intermédiaire des collectivités territoriales.
    • La LPR ne fait que poursuivre et accentuer les profondes restructurations engagées depuis 1999 : territorialisation de plus en plus poussée de la recherche,
    • effacement des organismes nationaux de recherche,
    • pilotage des thématiques par le financement sur contrat,
    • ciblage des financements vers la recherche finalisée et technologique,
    • mise à disposition des personnels des laboratoires pour la R&D des entreprises,
    • introduction d'une nouvelle forme de travail précarisé pour coller au mieux aux projets,
    • création d'une procédure de recrutement précoce pour des chercheurs orientés innovation.
Toute la recherche publique doit travailler à la compétitivité des entreprises.
Le monde de l'entreprise est celui de la compétition sans limite, de l'instabilité permanente. Pour nos gouvernants, il est celui du monde moderne, de la remise en cause permanente gage de l'efficacité. Ce monde est devenu celui de la recherche.
Alors que la recherche demande du temps de la stabilité, son asservissement à la compétitivité des entreprises l’entraîne dans un maelström de recomposition permanente, source d'inefficacité, de gâchis et de mal être au travail.
Cette déstabilisation est un mode de gestion des salariés. La réorganisation permanente dans un climat de compétition fragilise les collectifs de travail fait éclater les solidarités entre collègues, elle individualise les salariés en faisant exploser leurs repaires et renforce ainsi le poids de la hiérarchie. C'est a chaque salarié de s'adapter aux perpétuelles réorganisations dont la finalité lui échappe. Ainsi le public rejoint le privé dans la gestion des personnels.
Ce qui est dans l'ordre des choses puisque pour ceux qui gère l'État dans ce monde mondialisé le privé est l'exemple même de l'efficacité alors que l'État est entravé par les strates d'un « monde ancien », celui notamment de ses règles comptables du statut de fonctionnaire qui s'opposent à la nécessaire réactivité, mobilité.
Rapidement que contient la LPR ?
    • Les dispositions de la loi Allègre de 1999 sont élargies pour permettre aux personnels de recherche d'apporter leur concours aux entreprises
   • en facilitant le cumul d'activité, en autorisant les compléments de rémunérations, en s'affranchissant des demandes préalables de cumul d'activité, en promouvant les carrières des agents en détachement ou mis à disposition des entreprises, en prolongeant la carrière des porteurs de projets au delà de la retraite.

Une part importante des moyens nouveaux apporté par la LPR sera dédiée à l'innovation. Priorité à la création de start-up
15 pôles universitaires d'innovation (PUI) seront labellisés pour mettre en place au niveau d'un site une organisation facilitant le partenariat public privé.
Le nombre de conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre) sera augmenté de 50%, le nombre de chaires industrielles financées par l'ANR aussi
Le nombre de Labcom sera aussi augmenté

Un nouveau dispositif de « convention industrielle de mobilité en entreprise de chercheurs » sera lancé afin de faciliter la mobilité des chercheurs et enseignants chercheurs en entreprise.
Tous ces dispositifs doivent s'articuler avec le pacte productif, les stratégies de transition écologique, énergétique, numérique, ainsi que les grands défis d'innovation et de rupture soutenus dans le cadre des PIA.
Le financement par appels à projet en sera un outil majeur et l'ANR l'opérateur principal
La territorialisation de la recherche autour des grands établissements sera menée par le jury Idex , Isite du secrétariat général à l'investissement et par l'HCERES outil politique du ministère qui voit ses pouvoirs singulièrement renforcés par le statut d' « autorité publique indépendante » dotée d'un responsabilité morale. N'ayant plus de tutelle ministérielle, les décisions seront prises par sa structure de direction. Or, son prochain président sera très vraisemblablement Thierry Coulomb le conseiller du Macron pour l'ESR. Quand il dirigeait PSL il percevait un salaire mensuel net de 150 000 euros.

Concernant les personnels, la LPR est un outil de dérégulation du travail ;
Elle institue un contrat de droit doctoral de droit privé par lequel l'encadrement des doctorants sera sous la responsabilité exclusive des entreprises. Les durées maximales et minimales ne sont pas précisées. Elle instaure des « contrats à objet défini de recherche » régis par le code du travail. L'activité de recherche proposée doit fournir au salarié une expérience professionnelle complémentaire au doctorat. Ils ne bénéficieront pas des petites mesures d'encadrement prévus par le code du travail.
Le CDI de mission scientifique permet de contourner la règle des 6 ans de CDD conduisant à la Cdisation. Ce CDI est un CDD à durée non définie dont les conditions de rupture sont à la seule appréciation de la hiérarchie.

Les tenures tracks ou chaires de professeurs juniors. Elles constituent un changement de paradigme.
Les candidats seront sélectionnés au sein des écoles doctorales après un appel d'offre (sans aucun doute, les écoles doctorales universitaires du PIA3). La sélection constitue une rupture totale avec les critères de recrutements des chercheurs. « Il ne s'agira plus dévaluer l'activité passée notamment publications mais d'évaluer les projets de recherche et ou d'enseignement et ce que le candidat sera susceptible d'apporter à l'établissement ».
A la fin de la tenure il n'y a pas de concours mais une procédure d'examen en vue d'une titularisation. L'examen consistant à déterminer si les objectifs fixés contractuellement au début de la tenure (publications, cours dispensés, capacités à l'obtention de financements sur contrats, invitations à présenter ses résultats dans des conférences internationales) ont été atteints. Le bénéficiaire de la tenure, dispensé de l'Habilitation à Diriger des Recherches (HDR), aura une dotation de 250 000 euros pour trois ans financée par les collectivités locales et les entreprises. La durée du contrat est de 3 ans minimum, 6 ans maximum. Le recrutement en Directeur de Recherche (DR) ou Professeur ne devient effectif qu'après la thèse.
Un arrêté d'ouverture du recrutement est publié par chaque établissement. Le nombre de recrutement ne doit pas dépasser 20% des recrutements dans le corps de DR et Professeurs.
Le but est de créer des chercheurs ingénieurs tournés vers la R&D.

La R&D fait partie des missions de la Recherche publique, mais cette dernière ne peut être subordonnée aux besoins des entreprises. Cette subordination aux stratégies du capital est synonyme de déclin, car elle s'accompagne de l'abandon de champs entier de recherche.
Il est impératif de redonner la liberté de recherche aux scientifiques par une part très majoritaire de financement récurrent et en préservant le recrutement des personnels sur le statut protecteur de fonctionnaire. Cela passe aussi par des rémunérations à la hauteur des qualifications et un déroulement de carrière qui reconnaissent l'importance des missions de la recherche publique.
Mais pour cela il faut battre cette politique. Mais pour ce faire la condition nécessaire est de faire comprendre la nature profonde de la politique en cours. Ce que d'aucun se refuse, en en restant à la superficialité des choses. C'est le cas de l'ensemble des forces politiques et de nombreuses forces syndicales, qui militent pour un capitalisme social et éco-responsable comme si le capitalisme n’était pas par essence prédateur du travail et de la nature!
Expliquer la nature de classe de la LPR et des réformes précédentes de l'ESR est donc un impératif majeur de lutte.

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